En politique, la course en solitaire est une discipline assez particulière. Il n'est pas facile de brasser des idées quand personne n'est là pour donner la réplique. Peut-on vraiment gagner sans adversaire?
Il est vrai que le PQ a une longue expérience des couronnements, mais ni Lucien Bouchard ni Bernard Landry n'avaient l'intention de modifier en profondeur le programme du parti. Il leur fallait surtout se préparer à gouverner.
Seul Jacques Parizeau était résolu à un virage majeur, après la dérive du «beau risque» et de «l'affirmation nationale». D'ailleurs, la perspective d'un long séjour dans l'opposition lui en laissait tout le loisir.
On oublie généralement qu'il a failli avoir une adversaire en 1988. Pendant une dizaine de jours, Pauline Marois a sérieusement songé à lui contester la succession de Pierre Marc Johnson. Elle soutenait que M. Parizeau n'était «pas l'homme de la situation» et qu'il aurait intérêt à «corriger son langage vis-à-vis les femmes».
Bon prince, l'ancien premier ministre ne lui en a jamais tenu rigueur. Au contraire, il a toujours favorisé l'avancement de Mme Marois, dont il vantait continuellement les mérites, aussi bien en public qu'en privé.
Son désistement avait laissé M. Parizeau seul en piste. Il s'était alors lancé dans ce qu'il appelait lui-même un «strip-tease intellectuel». Pendant des semaines, d'assemblée en entrevue, il avait dévoilé, pièce à pièce, les contours, puis les détails de sa pensée.
À défaut d'adversaire, Mme Marois devra se transformer elle aussi en effeuilleuse. En annonçant officiellement son entrée dans la course, elle a indiqué les grandes lignes de la réorientation qu'elle propose, mais la mise en veilleuse du référendum et la modernisation de social-démocratie ne constituent que des têtes de chapitre.
Sur quelles bases Mme Marois compte-t-elle reprendre la promotion de la souveraineté et que signifiera concrètement pour un gouvernement péquiste, par exemple dans le secteur de la santé, la mise à jour de la social-démocratie?
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Avant que la crise déclenchée par le budget de Monique Jérôme-Forget ne monopolise toute l'attention, quelques voix inquiètes avaient commencé à s'élever au sein du PQ et dans le mouvement souverainiste en général.
Au nom du SPQ Libre, Marc Laviolette et Pierre Dubuc ont voulu «remettre les pendules à l'heure» dans un texte publié dans Le Devoir le 19 mai dernier. À aucun moment, ils ne s'en prenaient explicitement à Mme Marois, mais il suffisait de lire entre les lignes. «Tout recentrage vers la droite et toute dérive vers l'autonomisme seraient suicidaires» écrivaient-ils, ironisant sur ceux qui venaient de découvrir la classe moyenne.
Bien entendu, la future chef du PQ n'a jamais parlé de virage à droite, mais tout le monde a bien compris que son insistance sur la nécessité de «créer de la richesse afin de bâtir la vraie solidarité» marquait une rupture avec le programme de juin 2005.
Certes, la souveraineté demeurera l'objectif du PQ, mais Mme Marois a clairement laissé entendre qu'il donnerait son appui à un gouvernement adéquiste qui tenterait d'arracher de nouveaux pouvoirs à Ottawa.
MM. Laviolette et Dubuc évoquaient les «circonstances exceptionnelles où un gouvernement majoritaire du PQ ne pourrait déclencher un référendum». Pour Mme Marois, ce serait plutôt le contraire: à moins de circonstances exceptionnellement favorables, le gouvernement qu'elle dirigerait n'en déclencherait pas.
Dans son esprit, il serait «suicidaire» pour le PQ de refuser de gouverner une «province», alors que les dirigeants du SPQ Libre veulent s'en tenir à un programme de gouvernement «minimal» dans le cadre fédéral canadien.
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Celui que M. Parizeau avait fait adopter au congrès de Saint-Hyacinthe, en novembre 1988, était certainement le plus étapiste de l'histoire du PQ, mais les militants péquistes étaient prêts à tout pour faire oublier l'épisode Pierre Marc Johnson.
Mme Marois se retrouve dans une situation analogue. La descente aux enfers que le PQ a vécue avec André Boisclair a été si traumatisante qu'elle peut se permettre de passer outre aux objections des «purs et durs». Pour le moment, du moins.
Le sondage Léger Marketing-Le Devoir publié le 27 mai dernier donnait la mesure de sa marge de manoeuvre: 60 % des Québécois et surtout 83 % des électeurs péquistes approuvaient la mise en veilleuse du référendum. Curieusement, 55 % des libéraux s'y opposaient. C'est à demander s'ils ne préfèrent pas le pouvoir à l'unité du pays!
Les électeurs péquistes sont également les plus favorables (87 %) à la révision de la social-démocratie. Là encore, les libéraux sont les plus nombreux à s'y opposer (21 %), comme s'ils craignaient de voir le PQ se mettre au diapason de la population.
Les sondages ont leur utilité, et on peut penser que l'opinion des membres du PQ rejoint dans une large mesure celle des électeurs péquistes. Il aurait pourtant été intéressant qu'ils se prononcent clairement sur les orientations proposées par Mme Marois dans le cadre d'une course au leadership. Ceux qui s'y opposent sont cependant trop malins pour se soumettre à un tel jugement.
En conclusion de son récent livre intitulé Le Parti de René Lévesque. Retour aux sources, André Larocque, qui vouait une admiration sans borne au père fondateur, écrit: «Le Parti québécois est devenu une histoire de pédagogie élitiste où on attend qu'un peuple finisse par adhérer à un projet de parti politique.» Dans quelle mesure Pauline Marois réussira-t-elle à changer cet esprit?
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mdavid@ledevoir.com
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