L'échec du multiculturalisme

Il ne s'agit pas de remettre en question les bons sentiments qui animent les multiculturalistes, mais de constater l'échec flagrant de leurs politiques un peu partout dans le monde.

Port de signes religieux

«Je viens d'une famille laïque, mais on ne cesse de me qualifier de musulmane. Avant d'arriver ici, je ne m'étais pourtant jamais perçue à travers l'islam. Le multiculturalisme exagère. Ça ne rend pas service aux immigrants.»
Lorsque le débat sur le voile islamique est reparti de plus belle au Québec, je n'ai pu m'empêcher de songer à ces mots que m'avait confiés l'an dernier Senay Ozdemir. Cette jeune journaliste turque qui vit aux Pays-Bas a fondé le magazine SEN, qui s'adresse aux femmes immigrantes. Elle a notamment combattu les campagnes de recrutement que menait la police néerlandaise aux portes des mosquées afin de recruter de jeunes musulmans. «Recruter des immigrants dans les mosquées, c'est laisser croire que l'islam est une identité en soi, disait-elle. Il faut cesser d'identifier les immigrants à l'islam.»
Par ces quelques phrases, elle illustrait une des conséquences les plus perverses de l'idéologie multiculturelle dont les Pays-Bas ont été le porte-étendard le plus extrême, mais qui a aussi fleuri en Grande-Bretagne, au Canada et au Québec. Senay ne craignait pas d'affirmer qu'en séparant les immigrants en «communautés», le multiculturalisme ne faisait que retarder leur intégration et fabriquer des ghettos ethniques et religieux.
Il est stupéfiant de constater qu'une partie des jeunes filles qui portent le voile aux Pays-Bas et au Canada ne le portaient pas dans leur pays d'origine. Et que leurs mères ne l'avaient jamais porté! La franchise de Senay montre bien que l'intégrisme musulman n'est pas seulement un produit d'importation, mais aussi le fruit des politiques des pays d'accueil qui classent les immigrants en «communautés» au lieu de les traiter comme des citoyens égaux.
C'est exactement ce que font les bonnes âmes de la Fédération des femmes du Québec en érigeant en principe le droit de porter le voile dans la fonction publique. Ce voile n'est revendiqué que par quelques extrémistes. Il heurte la majorité des Québécois, attachée à l'égalité des sexes et à une fonction publique neutre dans ses gestes et sa représentation. Qu'importe! Au lieu de demander poliment à quelques uns de se plier aux us et coutumes locaux, comme s'attendent à le faire tous les immigrants un peu sensés, la FFQ décide d'inventer de toutes pièces une «communauté musulmane» et de lui octroyer un droit absolu qui n'existait pas et que seuls quelques extrémistes revendiquaient.
La présidente de la FFQ devrait aller faire un tour aux Pays-Bas, patrie s'il en est de cette tolérance idéalisée. Le pays est aujourd'hui en crise. Il faut visiter le ghetto de Slotervaart, où a grandi le jeune Marocain qui a poignardé le cinéaste Theo van Gogh pour saisir la profondeur du traumatisme. Certes, la France a aussi ses banlieues défavorisées. Mais elles ne revendiquent jamais un caractère ethnique et encore moins religieux. C'est pourquoi on y a facilement accepté l'interdiction du voile à l'école.
Après les assassinats de Theo van Gogh, par un islamiste radical, et de Pim Fortuyn, par un écologiste qui voulait défendre les musulmans, l'introspection était inévitable. «Le modèle de tolérance néerlandais a échoué», titrait la presse néerlandaise en décembre dernier. Ce jugement ne venait pas d'un sombre parti d'extrême droite, mais de Lilianne Ploumen, présidente de la principale formation de gauche du pays, le Parti travailliste néerlandais (PvdA). Pour une fois, la sociale démocratie acceptait de regarder la réalité en face sans craindre les anathèmes que distribue le nouveau clergé multiculturel.
«Plus jamais nous ne tairons nos critiques des cultures et des religions sous prétexte de tolérance», disait la Pauline Marois néerlandaise. Elle reconnaissait le sentiment de «perte et d'étouffement» que ressentaient ses concitoyens face à une minorité grandissante qui faisait souvent peu de cas de sa langue, de ses lois et de ses traditions. Il faut cesser de «victimiser» les immigrants, concluait-elle et accepter de «défendre nos valeurs» même si elles entrent parfois en confrontation avec certains. Contrairement au discours naïf de la FFQ, Ploumen affirme que le travail et l'éducation ne suffisent pas à garantir l'intégration. Encore faut-il la vouloir.
Il n'est pas surprenant que dans le Parti travailliste néerlandais, on cite aujourd'hui la France en exemple. Non pas parce que ce modèle serait parfait et ses mesures transposables partout. Mais, parce que les Français, moins obnubilés par la culpabilité ambiante, n'ont pas craint d'affirmer leurs valeurs. Cela a pris la forme d'une Charte de la laïcité qui exprime un véritable consensus national et que les services publics sont tenus d'afficher. On y lit que «tout agent public a un devoir de stricte neutralité. Il doit traiter également toutes les personnes et respecter leur liberté de conscience. Le fait pour un agent public de manifester ses convictions religieuses dans l'exercice de ses fonctions constitue un manquement à ses obligations» (http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/laicite.pdf).
Il ne s'agit pas de remettre en question les bons sentiments qui animent les multiculturalistes, mais de constater l'échec flagrant de leurs politiques un peu partout dans le monde.
crioux@ledevoir.com


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