Kyoto: Baird sort ses épouvantails

Le respect du protocole entraînerait une récession, selon les conservateurs

De Kyoto à Bali

Ottawa - Le gouvernement conservateur fait le pari de la peur. Afin de justifier son refus de respecter le protocole de Kyoto sur les changements climatiques, le ministre fédéral de l'Environnement, John Baird, a brandi hier des scénarios catastrophe, escalade des coût de l'énergie et taux de chômage débridés à la clé. Cette tactique a aussitôt été ridiculisée par les environnementalistes et l'opposition parlementaire à Ottawa, qui y voient une campagne de propagande maladroite.
S'appuyant sur une étude aux origines gouvernementales nébuleuses qu'il a commandée afin de chiffrer l'impact d'une application stricte du traité international de Kyoto, le ministre Baird a prédit une récession aussi grave que celle qui avait frappé au début des années 1980. Selon lui, le PIB diminuerait de 4,2 % en 2008 par rapport à 2007. Les coûts de chauffage au gaz naturel doubleraient. Le prix de l'essence augmenterait de 60 %, et celui de l'électricité, de 50 %. Le revenu réel des familles diminuerait de 4000 $ par année. Le taux de chômage augmenterait de 25 % et 275 000 emplois disparaîtraient.
En ce qui a trait à la réduction du tiers des émissions canadiennes de gaz à effet de serre (GES), «il n'y a qu'une seule façon d'y parvenir: le gouvernement devrait créer une récession de toute pièce», a déclaré hier matin le ministre Baird devant un comité du Sénat. Ce comité étudie le projet de loi privé du libéral Pablo Rodriguez enjoignant à Ottawa de se conformer au protocole de Kyoto.
Le ministre Baird est l'architecte de son propre malheur. En effet, l'étude qu'il cite repose sur une prémisse de base contestée de toute part. Ainsi, pour inciter les gens à consommer moins d'énergies polluantes, une taxe de 195 $ par tonne d'émission de gaz à effet de serre serait imposée. Personne auparavant n'avait suggéré une taxe aussi élevée. À titre de comparaison, le PLC de Stéphane Dion propose une taxe, remboursable, de 20 $ la tonne.
En retenant un chiffre aussi élevé, le gouvernement s'assure d'une hausse généralisée des coûts de production et d'une baisse du niveau de vie des Canadiens. Une telle taxe procurerait en outre des revenus de... 105 milliards de dollars à Ottawa, soit près de la moitié des revenus actuels du gouvernement fédéral! Le gouvernement reconnaît qu'il n'aurait pas besoin de tout cet argent. «On suppose [que la taxe va] être recyclée en majorité sous la forme d'une diminution du fardeau fiscal des entreprises et des particuliers», est-il écrit dans l'étude Baird.
Autre prémisse contestée: le gouvernement s'impose, pour fins de prédictions, de réduire de 33 % ses émissions de GES dans à peine huit mois. Certes, la première période réglementaire prévue au protocole de Kyoto commence le 1er janvier 2008. Mais l'obligation internationale de ramener à 6 % sous leurs niveaux de 1990 les émissions de GES est une moyenne calculée pendant la période 2008-12. Le Canada pourrait très bien ne pas atteindre cet objectif en 2008 s'il le surpassait plus tard au cours de cette période.
C'est au nom de cette même urgence de résultats que le rapport Baird écarte aussi le recours à presque toutes les mesures prévues au protocole de Kyoto pour en faciliter le respect, notamment les échanges de crédits internes et internationaux, qu'il n'est pas «réaliste» de mettre en place d'ici un an.
N'empêche, le premier ministre Stephen Harper a persisté et signé à la période de questions hier. «Ce parti n'a aucune intention de faire disparaître des emplois au Canada ou de nuire à la bonne santé de notre économie», a-t-il dit.
Les partis d'opposition ont été unanimes à condamner cette sortie alarmiste du ministre de l'Environnement. «Ces études-là sont tout à fait irresponsables parce qu'elles ne font pas mention des conséquences de la poursuite de la détérioration de notre environnement sur l'économie», estime le chef du NPD, Jack Layton. «Il utilise l'arme des faibles: la peur», a lancé le député Pablo Rodriguez. Son collègue sénateur Fernand Robichaud n'en croyait pas ses oreilles. «Dois-je en rire ou en pleurer? Ce document frise le ridicule», a-t-il lancé au ministre en comité.
Il y avait d'ailleurs de l'électricité dans l'air à ce comité. M. Baird, un ministre agressif et arrogant, a à plusieurs reprises répliqué aux sénateurs libéraux de façon cinglante, ne ratant pas une occasion de faire valoir sa légitimité démocratique supérieure du fait qu'il est, contrairement aux sénateurs, élu par le peuple. «Vous pourriez dépenser beaucoup d'énergie en vous présentant [«run» en anglais] à un scrutin», a-t-il notamment lancé au sénateur Grant Mitchell en mimant quelqu'un en train de faire son jogging.
La Chambre des communes a déjà adopté le projet de loi de M. Rodriguez et son adoption par le Sénat, à majorité libérale, relève de la formalité parlementaire. Le gouvernement conservateur le redoute, ne sachant pas si des citoyens pourraient le poursuivre pour non-respect de sa législation, d'où son entreprise de discrédit.
Il a été impossible de savoir qui a préparé l'étude présentée par le ministre Baird. Le sigle du gouvernement du Canada y apparaît, mais pas celui du ministère de l'Environnement, d'où il émane en théorie. Les fonctionnaires ont-ils préparé un tel document? Le ministère refusait de répondre aux appels des journalistes à ce sujet tandis que personne au cabinet du ministre Baird n'a rappelé Le Devoir hier.
On sait seulement que cinq personnes y ont apporté leur caution morale. Il s'agit de Don Drummond, économiste en chef à la Banque TD, ainsi que des professeurs Jean-Thomas Bernard, Christopher Green, Mark Jaccard et Carl Sonnen (Informetrica). Ces gens n'ont pas rédigé ce rapport et n'en ont pas fourni les paramètres. Ils confirment seulement que le modèle économique utilisé pour appliquer les prémisses retenues est valide.
Pour le chef du Bloc, Gilles Duceppe, ces cautions n'ont pas beaucoup de poids. «Où elle est, cette démonstration économique? Il n'y en a pas. Ce n'est pas la première fois que certains économistes, en fonction de l'orientation politique qu'ils ont, veulent imposer, sous le couvert de leurs diplômes, des scénarios comme celui qu'ils nous proposent.»
Plusieurs députés ont en outre rappelé que chaque fois qu'on envisage de donner un coup de barre pour contrer un grave problème environnemental, de telles études alarmistes font surface. Ce fut le cas pour l'élimination des additifs dans l'essence et des CFC pour protéger la couche d'ozone ou encore pour la lutte contre les pluies acides, d'ailleurs menées par les troupes conservatrices de Brian Mulroney.
À ce sujet, le député libéral David McGuinty s'est fait un plaisir de rappeler l'éloge environnementaliste qu'avait servi M. Harper pour féliciter M. Mulroney de son combat. «Les alarmistes avaient dit que cela créerait une terrible récession. Au contraire, l'économie nord-américaine prospère, affichant la période de croissance la plus longue et la plus soutenue de son histoire, a cité M. McGuinty. Le ministre de l'Environnement est-il devenu l'alarmiste en chef du gouvernement? Puis-je demander à Penny la poule si le ciel serait en train de tomber?»


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