Monsieur,
C’est avec intérêt que j’ai lu sur Vigile l’article de Marie-Andrée Chouinard relatif au jugement en première instance portant sur l’imposition du cours d’éthique et de culture religieuse. Ayant suivi l’affaire d’assez près, j’aimerais ajouter quelques détails qui pourraient éclairer l’analyse de Mme Chouinard.
Tout d’abord, il faut préciser la portée du jugement. Comme le rappelait le directeur général de la commission scolaire mise en cause, Yvan Aubé[[Voix de l'Est, mercredi 2 septembre 2009.]] : « C'était la cause de cette famille-là. Ça ne vient pas faire jurisprudence et nous allons continuer d'analyser les demandes des parents. » Il faut, en effet, se rappeler qu’il s’agit d’une demande d’exemption particulière avec ses motifs particuliers et qu’un seul manuel ECR a pu être déposé en preuve : celui du benjamin du couple de requérants. En outre, en s’appuyant fortement sur une interprétation catholique, on voit mal comment ce jugement pourra s’appliquer à des parents athées ou d’autres confessions.
Le magistrat écrit qu’« Il n’est pas tout de dire avec sincérité qu’on est catholique pratiquant pour prétendre qu’une présentation globale de différentes religions puisse nuire à celle que l’on pratique ». L’ennui c’est qu’il ne précise pas en quoi la démonstration des requérants péchait ni pour quelles raisons il n’a pas retenu les expertises venant appuyer les prétentions des parents. Expertises qui comprenaient les témoignages de deux théologiens, d’un philosophe et d’un sociologue. C’est pour le moins étonnant et peu convaincant. Il ne suffit pas d’isoler quelques phrases malhabiles de la mère et du fils aîné, tirées de longs interrogatoires répétés à trois reprises pour la mère, pour penser avoir fait la preuve que les griefs des parents et des experts sont non fondés. Prenons l’exemple du relativisme, le juge n’en dit mot alors que même le théologien engagé par le gouvernement pour s’opposer au droit d’exemption, Gilles Routhier, admettait dans une entrevue donnée le 1er septembre 2009 et rapportée par le Western Catholic Reporter qu’« il y a débat quant à savoir si le contenu du cours [ECR] est relativiste. » [[Voir http://www.wcr.ab.ca/news/2009/0907/parents090709.shtml.]] La décision sur le fond du magistrat est donc très peu motivée, le rejet des expertises en faveur des parents ne l’est pas du tout.
Notons que, contrairement à ce que d’aucuns ont affirmé, les parents n’ont jamais pensé que ce cours « ambitionne […] de produire de jeunes prosélytes » d’une autre foi, ce serait d’ailleurs contradictoire avec leur crainte liée aux risques de relativisme (aucune religion, aucune morale n’est vraie) ou de pluralisme normatif (plusieurs religions c’est mieux qu’une, chaque religion a du vrai, mais aucune n’est la vérité, vérité qu’on ne peut d’ailleurs jamais vraiment définir).
Quant à la contribution de l’expert Gilles Routhier – partisan d’une Église catholique qui devrait vivre sa Pâques et pour qui l’école païenne ne pose pas difficulté majeure[[Gilles Routhier sur Radio Ville-Marie le 9 avril 2009, retranscription et audio de l’émission ici : http://pouruneecolelibre.blogspot.com/2009/05/gilles-routhier-un-theologien-la-paques.html.]] – son interprétation est très sélective. D’une part, si le pape Jean-Paul II reconnaissait l'importance de la connaissance factuelle des religions, rien ne permet de conclure – bien au contraire – que cela devrait se faire dès six ans et encore moins dans la perspective du programme actuel. D’autre part, la partie adverse et le juge se sont opposés au dépôt d’un document émanant du Vatican quelques jours seulement avant l’ouverture du procès qui vient contredire l’interprétation de Gilles Routhier. Le cardinal Zenon Grocholewski, président de la Congrégation pour l'éducation de la foi, y rappelait longuement l'enseignement de Rome : responsabilité première des parents sur l'éducation de leurs enfants, avec droit à une aide complémentaire de l'école; préférence pour l'école catholique qui permet « d'éviter des tensions et des fractures dans le projet éducatif » ; différence et complémentarité entre catéchèse et enseignement religieux scolaire; droit des parents dans l'école non confessionnelle à un enseignement religieux conforme à leurs convictions. Ce document de la Congrégation pour l’éducation catholique déclarait également que « si l'enseignement religieux se limite à une exposition des différentes religions de manière comparative et “neutre”, cela peut être source de confusion, ou inciter au relativisme ou à l'indifférentisme. » Enfin, le document rappelait que « Les droits des parents se trouvent violés lorsque les enfants sont contraints de fréquenter des cours scolaires ne répondant pas à la conviction religieuse des parents ou quand est imposée une forme unique d'éducation d'où toute formation religieuse est exclue ». Un document d’une teneur tout autre de ce que le juge a retenu de l’expertise de l’« abbé Routhier ». Mais fallait-il même que le juge s’aventure sur le terrain de la doctrine catholique dont il n’est pas un expert alors que la Cour suprême s’est déjà explicitement prononcée contre le fait que l’État devienne l’« arbitre des dogmes religieux »[[Syndicat Northcrest c. Amselem, § 50.]] ?
Enfin, en ce qui concerne l’« accueil » des évêques du Québec, dans leur déclaration en 2008 , ils rappellent que leur préférence demeure pour les options en enseignement religieux, elle signale des « limites et difficultés » qui affectent le programme, « dont un certain nombre nous paraissent contournables »[[Voir http://www.eveques.qc.ca/documents/2008/ECRLettre%20Ministre11mars08.pdf]], ce qui implique que certaines ne le sont pas. Enfin, leur déclaration contient trois fois l'affirmation qu'ils sont devant un fait accompli. Ils sont donc loin d'approuver le programme. On peut comprendre leur fatigue quand on sait qu'ils se sont prononcés en faveur des options des dizaines de fois, notamment en 1997, 1999, 2000, 2005.
Espérant que cette analyse saura apporter quelques éléments au débat,
Cordialement,
Patrick Andries
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
10 septembre 2009Excellent résumé sur ce jugement. On comprend en filigrane que la pauvre journaliste du Devoir ne savait pas de quoi elle parlait.