"J'ai vraiment voté pour ça!"

Québec 2007 - réalignement politique


Le réflexe premier, après la tempête électorale de lundi, ce sera de conclure que nous nous dirigeons vers des mois ou des années d'instabilité et d'inaction, parce que le gouvernement Charest, désavoué et minoritaire, sera menotté, et que la dynamique d'une Assemblée nationale à trois mènera à la paralysie.
Cela risque d'être exactement le contraire. La percée électorale de Mario Dumont brasse la cage, et il est fort possible que cet électrochoc aide le Québec à se libérer de ses carcans, qu'il force le monde politique à sortir de son immobilisme. Un nouveau contexte qui peut amener le vent de changement auquel on ne croyait plus.
Paradoxalement, le gouvernement Charest, malgré les contraintes qu'impose un gouvernement minoritaire, pourrait se retrouver dans une meilleure situation qu'avant. Qu'est-ce qui est le pire pour les libéraux? Être minoritaires face à l'ADQ, ou être majoritaires, comme en 2003, devant une opposition péquiste qui se retrouve dans la rue avec les syndicats et les groupes populaires pour paralyser le gouvernement?
Au lieu d'être sans cesse entravé, le gouvernement sera plutôt poussé à aller plus loin sur le chemin des réformes. Parce qu'il y a une convergence des idées des grands partis. Et parce que la dynamique à trois à l'Assemblée nationale forcera les partis à bouger et à innover.
Souvenons-nous du slogan qui a hanté les libéraux, "J'ai jamais voté pour ça!" qui symbolisait le vent d'opposition féroce qui, dans bien des dossiers, a littéralement paralysé le gouvernement.
Cette fois-ci, il sera facile de rappeler qu'aux 33% des Québécois qui ont choisi les libéraux, on peut ajouter un autre 31% qui a voté pour l'ADQ. 64% des électeurs ont donc appuyé des partis qui veulent repenser l'État, créer de la richesse, remettre en cause les dogmes du modèle québécois et de la variante syndicalo-péquiste de la social-démocratie. 64% des gens pourront dire: "J'ai vraiment voté pour ça."
Cela donnera à plusieurs politiques du gouvernement Charest une légitimité qu'on ne leur reconnaissait pas. Par exemple, dans le dossier des droits de scolarité, il est assez évident que l'ADQ, qui était contre le gel, appuiera les libéraux dans leur intention d'augmenter graduellement les droits. Et les étudiants, s'ils veulent manifester, savent qu'ils le feront contre un gouvernement qui peut se réclamer d'un appui populaire.
C'est un exemple parmi d'autres des changements qu'amènera la convergence idéologique qu'on a pu observer pendant la campagne. L'ADQ de Mario Dumont a mis de l'eau dans son vin et s'est éloigné du radicalisme néolibéral de ses débuts. Le PQ d'André Boisclair a fait un virage important vers une logique de croissance. Tant et si bien que tout le monde se retrouve, sur les questions économiques, pas loin des libéraux.
La lecture des programmes électoraux des trois partis est éloquente. "La prospérité et la solidarité vont de pair". Qui a dit cela? L'ADQ. "Nous n'aurons donc d'autre choix que de produire plus et mieux, si nous voulons voir progresser le niveau de vie des Québécois." Et ça? C'est le PQ! "Créer plus de richesse au bénéfice de tous les Québécois, dans une perspective de développement durable." Ça, c'est le PLQ. C'est pareil. Mêmes mots, mêmes objectifs, mêmes solutions: recherche, innovation, éducation, formation, investissements.
Cette convergence aurait, même sans les résultats spectaculaires de lundi, modifié radicalement la dynamique politique. Si les trois partis, qui représentent 92% des voix, s'entendent sur certains constats et certains objectifs, le débat politique doit nécessairement prendre d'autres formes parce que les clivages idéologiques seront moins marqués. Certaines batailles perdent leur sens, par exemple la croisade péquiste contre la réingénierie de l'État. Et parce qu'ils se retrouvent sur le même terrain, chaque parti doit plutôt s'affirmer en montrant qu'il ferait mieux que les autres.
C'est cette dynamique d'émulation qui sera amplifiée par la composition de l'Assemblée nationale. Les libéraux, pour rependre le chemin perdu, devront faire autre chose que le petit train-train qu'ils proposaient en campagne, et montrer qu'ils peuvent agir. L'ADQ, qui aspire au pouvoir, devra proposer un projet plus audacieux que celui des libéraux. Quant au PQ, tout dépend s'il choisit le repli ou s'il accepte les réformes que voudra proposer André Boisclair.
Depuis plus d'un an, le débat autour du manifeste des lucides, ou les réflexions sur la création de la richesse, se heurtaient à un même mur. Nous savons que le Québec a des problèmes, nous avons une bonne idée des réformes nécessaires pour les résoudre, mais la paralysie politique est telle que le Québec semble incapable de bouger. C'est cette impasse qui va peut-être se dénouer.


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