Chronique d'un scrutin équivoque (4)

Québec 2007 - réalignement politique



On ne pourra pas dire du Québec qu'il a souffert d'amnésie cette fois-ci. La province comptait 77% d'insatisfaits à l'été 2005. Deux ans plus tard, quelque 67 % exprimaient leur mécontentement dans l'isoloir. L'ADQ passe ainsi de 5 à 41 députés, alors que Jean Charest reste aux commandes malgré la secousse. Les yeux se tournent maintenant vers le PQ : la bête est ébranlée, blessée peut-être, comment va-t-elle réagir ? Le collectif IQ propose un retour sur cet étrange scrutin équivoque; dont le message précis reste encore à décoder.
L'ADQ ou le discours en chantier
Mario Dumont a suivi un plan de campagne strict; il a livré des promesses ciblées à des clientèles précises (aînés, banlieusards, etc.) Les médias ont bien sûr raillé ses idées, mais rien ne fut dit sur le fond. Si bien qu'au lendemain du vote on se retrouve avec un parti idéologiquement « vierge » aux yeux de bien des électeurs. Tout un chacun s'active maintenant à fixer la pensée adéquiste dans l'espace public.
Voici deux spins entendus ces jours-ci :
1) L'autonomisme est un souverainisme
La position autonomiste de Mario Dumont fut d'abord écartée sans même subir un examen sérieux. « Quadrature du cercle », avaient dit les uns. « Assis entre deux chaises », avaient dit les autres.
Mais ô combien vite les dictionnaires se sont ouverts au lendemain des élections. On y découvre avec ébahissement que… l'autonomisme est un souverainisme! Il n'y a qu'à voir la définition du Petit Robert : « Autonomiste : partisan de l'autonomie […]  indépendantiste, nationaliste, sécessionniste, séparatiste. »
Loin d'être aussi radicale, la proposition adéquiste demeure tout de même costaude. Elle prévoit le rapatriement d'une kyrielle de compétences fédérales, la perception complète des impôts sur le territoire, l'adoption d'une constitution québécoise, et de « province » nous deviendrions « l'État autonome du Québec ».
En y regardant de plus près, on croirait effectivement y reconnaître la souveraineté-association de René Lévesque, mais sans le casse-tête d'un référendum. Il reste à savoir comment Dumont compte s'y prendre concrètement pour atteindre de tels objectifs.
2) L'ADQ, dépositaire de l'identité québécoise
Contester les accommodements raisonnables est devenu au Québec une manière de se définir par le contre-exemple : c'est-à-dire que nous utilisons la présence d'une minorité d'immigrants pour affirmer haut et fort ce que nous ne sommes pas’: « non, nous ne sommes pas voilés », « non, nous n'avons pas la peau basanée », etc.
Dumont a saisi la balle au bond en exhortant les Québécois à « mettre leurs culottes » dans cette affaire. Du coup, son parti et lui sont devenus les dépositaires de l'identité québécoise sur la scène politique. Permettons-nous d'inscrire une dissidence à ce chapitre.
L'identité québécoise telle que nous la concevons dépasse la stricte perspective conservatrice de l'ADQ. La réflexion identitaire envisagée par le collectif IQ devrait pouvoir inclure un volet progressiste; où l'expertise syndicale, le discours féministe et les mises en garde écologistes sont pris au sérieux. Cette réflexion devrait aussi miser sur un volet culturel; où la création visuelle, littéraire et cinématographique façonne notre figure collective. Cette réflexion devrait enfin porter sur le territoire. Les expertises régionales sont trop peu connues à l'échelle nationale, alors qu'elles devraient incarner notre imaginaire collectif.
L'ADQ est loin d'envisager une telle réflexion selon nous; et c'est pourquoi il faudra veiller à ce qu'elle ne s'accapare pas tout le discours identitaire.
À défaut d'un pays, le PQ comme mince consolation
La poussée adéquiste force le Parti québécois à se repositionner. À court terme, il est prévisible qu’André Boisclair mette en veilleuse l’option souverainiste tout en se rapprochant du centre. Mais ce choix ne saurait être que temporaire, car il indispose bien des gens et ne satisfait tout à fait personne.
La question demeure entière : quelles avenues s'offrent encore au Parti québécois ? Peut-être celles qu'il n'a pas encore osé prendre… Revoir l'approche étapiste vient en tête de liste. Le Mouvement pour une Élection sur la Souveraineté (MES) propose une marche vers l’indépendance progressive mais irréversible, jalonnée par des « gestes de rupture ». Mais le PQ refuse d’en parler. Renouer avec une gauche modérée serait également avisé. Bien des jeunes adultes cherchent encore l'écho de leurs préoccupations sociales et environnementales dans la sphère politique. Le PQ pourrait leur offrir une option crédible en ce sens; une option à la portée du pouvoir.
Le PLQ pris les culottes baissées (avec seulement 20 % du vote francophone)
Le Parti libéral connaîtra son questionnement lui aussi, car son score électoral laisse songeur. Comment se fait-il qu'au Québec un gouvernement puisse prendre le pouvoir avec seulement 20 % d'appuis chez les électeurs francophones?
On a souvent dit que le projet souverainiste s'adressait aux « pures laines » et qu'en ce sens il divisait les Québécois. Si la remarque vaut pour l'un, elle vaut pour l'autre… Jean Charest aura maintenant fort à faire pour changer la perception qu'il sert avant tout l'intérêt des populations anglophone et allophone du Québec.
Le scrutin du 26 mars n'est peut-être pas une si mauvaise nouvelle, après tout. Le pire a été évité, ne serait-ce que de reconduire un gouvernement majoritaire libéral à ce point impopulaire. La percée autonomiste séduira peut-être, à long terme, les indépendantistes de droite; laissant au PQ le champ libre sur sa gauche. Patience et détermination seraient alors de mise, quitte à enjamber la génération des X, agglutinés à l'ADQ et personnifiés par Jeff Fillion, pour reprendre le germe révolutionnaire là où il se trouve : autour d'un projet social-démocrate d'indépendance nationale. À moins que le PQ passe à la vitesse supérieure et choisisse l'indépendance « comme première priorité » lors d'une prochaine campagne, comme le suggère Louis Bernard à qui veut bien l’entendre…


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