Indeed !

Affaire Jan Wong et The Globe and Mail


La gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean, récidive. Pour une deuxième fois en une semaine, elle s'est permis d'intervenir dans le débat public pour, cette fois, presser les Québécois de cesser de se tourner vers ailleurs et de se «connecter» avec l'autre «solitude» du Canada. Ce faisant, elle s'est avancée sur un terrain miné où le risque d'accident est très élevé.


La fonction de gouverneur général est essentiellement honorifique. La personne qui l'occupe exprime la légitimité de l'État. Nous l'avons écrit dans cette page la semaine dernière pour rappeler à madame Jean que son devoir de réserve ne l'autorisait pas à se mêler du débat sur la présence militaire du Canada en Afghanistan. Comme titulaire de cette fonction, elle se doit de rester apolitique.
Qu'il en soit ainsi doit être source de frustration, car le gouverneur général, quel qu'il soit, n'est pas un être désincarné. Comme ses prédécesseurs, Michaëlle Jean voyage dans tout le Canada, rencontre ses concitoyens. Elle écoute et observe, mais il est entendu que le fruit de ses réflexions est pour ses «conseillers», c'est-à-dire les ministres du gouvernement et le premier ministre avec lequel elle s'entretient toutes les deux semaines. Ses interventions publiques, car il y en a tout de même, doivent être mesurées pour qu'elle ne se transforme pas en acteur politique.
Avec les propos qu'elle a tenus ce week-end sur le thème de l'unité nationale, c'est cette ligne qu'elle a franchie et qui lui a fait prendre pied sur un terrain où il lui aura suffi de quelques paroles de trop pour justement perdre pied.
On pourrait prétendre qu'à titre de chef de l'État canadien, madame Jean se doit de parler d'unité nationale. Bien sûr, mais tout dépendra de son propos. De fait, il n'y a rien à objecter à ce qu'elle constate que «les Canadiens qui vivent au Québec sont très déconnectés du reste du Canada». Quoi de plus banal que cette affirmation, si ce n'est qu'au cours de l'entrevue accordée à la Presse canadienne, elle semblait cibler les Québécois. Le lendemain, elle nuançait et généralisait la portée de sa remarque. Il y a lieu tout de même de rappeler que Mme Jean nous avait dit lors de son installation, il y a un an, qu'«il est fini le temps des "deux solitudes" qui a trop longtemps défini notre approche de ce pays».
Là où, imprudente, elle est allée trop loin, c'est lorsqu'elle ajoute que les Québécois ont tourné le dos au Canada anglais au profit du reste du monde, vers l'Europe, vers ailleurs. Le ton se fait ici sermonneur. Il y a une part de reproche : les Québécois ne réalisent pas les solidarités possibles ici. De la part de quelqu'un qui, à un moment de sa vie, a trouvé important de se tourner vers ailleurs en adoptant la nationalité française en sus de la nationalité canadienne, cela étonne.

Encore plus étonnant est le fait que Mme Jean semble se surprendre d'un phénomène que, comme journaliste ayant pratiqué son métier longtemps au Québec, elle connaît très bien, tout comme elle en connaît les causes profondes. Les deux solitudes sont une réalité qui se manifeste différemment d'il y a 30 ou 40 ans. Les sociétés québécoise et canadienne-anglaise suivent des trajectoires culturelles et sociales différentes qui ont tendance à s'écarter. Il y a une ignorance mutuelle que l'affaire Jan Wong a illustrée de façon éloquente ces derniers jours. Tant qu'à aborder cette question de l'unité nationale, pourquoi n'a-t-elle pas soulevé cette affaire ? A-t-elle jugé le terrain trop glissant ?
La fonction, dit-on souvent, transforme la personne qui l'occupe. On peut croire aujourd'hui qu'il n'y a pas que les Québécois qui soient déconnectés du reste du pays. Les liens de madame Jean avec la société québécoise s'étiolent. Déconnectée ? Indeed !
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bdescoteaux@ledevoir.ca


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