Il y a 40 ans aujourd’hui, à six jours d’un référendum historique sur la souveraineté-association, le premier ministre fédéral faisait l’une des plus célèbres promesses électorales de notre histoire. Le 14 mai 1980, à la faveur d’un grand rassemblement au Centre Paul-Sauvé, Pierre Trudeau invitait solennellement ses concitoyens à rejeter l’option indépendantiste: «Si la réponse à la question référendaire est non, nous avons tous dit que ce non sera interprété comme un mandat pour changer la Constitution, pour renouveler le fédéralisme... nous voulons du changement, nous mettons nos sièges en jeu pour avoir du changement!»
Cette déclaration a été entendue par presque tout le monde comme une ouverture à ce qu’on a appelé les demandes traditionnelles du Québec, c’est-à-dire des revendications exigeant plus de pouvoirs et une reconnaissance du peuple québécois en tant que nation. Pourtant, le lendemain du référendum, Trudeau a lancé un processus qui a mené à l’isolement du Québec dans le giron constitutionnel canadien. Il nous a donné le contraire de ce qu’il avait laissé entrevoir le 14 mai 1980 en nous enlevant des pouvoirs et en niant notre statut de peuple fondateur.
Si l’ancien premier ministre a pu arriver à ses fins, c’est grâce à la complicité de la Cour suprême. Comme je l’ai dévoilé dans La Bataille de Londres, deux juges, dont le juge en chef, ont passé de l’information au pouvoir politique alors que le plus haut tribunal se penchait sur la légalité du rapatriement. De plus, les magistrats fédéraux ont aussi fait perdre au Québec son droit de veto constitutionnel, donnant à Pierre Elliott Trudeau l’arme dont il avait besoin pour nous imposer sa démarche.
Justin Trudeau bloque les archives
L’ancien chef libéral s’est défendu pour le reste de sa vie d’avoir trompé les Québécois. Ses idées, en matière constitutionnelle, étaient bien connues, disait-il, et personne n’aurait dû être surpris de la réforme dont il a accouché. Pourtant, c’est bien ce qu’avait compris, entre autres, André Burelle, le conseiller qui a écrit le discours du 14 mai. Suite au rapatriement, il a conclu que son patron avait trompé les Québécois et, quelques années plus tard, a rejoint Brian Mulroney pour travailler à l’Accord du lac Meech.
L’ancien premier ministre l’a répété jusqu’à sa mort et son fils Justin le répète depuis: l’isolement du Québec est la faute de René Lévesque. Pourtant, tant les libéraux que les péquistes ou les caquistes ont depuis rejeté la Constitution de 82. De plus, si Lévesque est responsable de l’isolement des Québécois, pourquoi Justin Trudeau refuse-t-il, comme Harper avant lui, de rendre publiques les archives du rapatriement, comme l’a réclamé de façon unanime l’Assemblée nationale lors de la publication de La Bataille de Londres, en 2013? Si l’interprétation de notre premier ministre est bel et bien fondée, les archives viendront étayer ses dires.
Invalider les lois québécoises
Dans tout ce débat, Trudeau père a eu beau jeu de dire qu’il n’a jamais enlevé de pouvoirs à sa province, mais qu’il a plutôt donné à tous les Canadiens une merveilleuse charte des droits. Or, avec celle-ci, il a en réalité inventé de toutes pièces le prétendu droit fondamental d’étudier en anglais au Québec et en français dans le reste du Canada. Il a ainsi donné aux juges fédéraux le pouvoir d’invalider la loi 101, ce que la Cour suprême a fait à plusieurs reprises. Ces interventions se sont faites dans ce qui était jusqu’alors des compétences exclusives du Québec.
L’ancien premier ministre a aussi inclus dans sa charte l’article 27, une clause servant à faire la promotion du «patrimoine multiculturel des Canadiens». Cet ajout avait pour but de nier le fait que les Québécois constituent un des peuples fondateurs du pays. Le tout a aidé les tribunaux fédéraux à prendre toutes sortes de décisions visant à aider les immigrants à conserver leur culture, notamment par des accommodements religieux. Rappelons-nous entre autres la fameuse affaire Multani, en 2006, qui a donné à un élève sikh le droit d’aller à l’école avec un poignard, et ce, au détriment du droit des enfants à la sécurité. Aujourd’hui, la charte des droits est utilisée devant les juges fédéraux pour tenter d’invalider la loi 21.
Système de justice
Ce tour d’horizon serait incomplet sans parler des conséquences dramatiques du rapatriement sur notre système judiciaire. Des causes, souvent loufoques, se fondant sur la charte, engorgent nos tribunaux. Prétextant une violation de leur droit à un procès dans un délai raisonnable, la Cour suprême a ordonné la libération sans procès de présumés meurtriers, violeurs ou fraudeurs, comme elle l’a fait avec l’arrêt Jordan et l’arrêt Askov, au détriment de notre droit à la sécurité et du droit à la justice des victimes et de leurs proches. Ces manœuvres avaient pour but de créer un tollé pour forcer le pouvoir politique à embaucher plus de juges et à donner davantage de ressources au pouvoir judiciaire.
Les conséquences de la promesse trahie du 14 mai 1980 sont si nombreuses qu’on ne pourrait toutes les nommer ici. Hélas, depuis plusieurs années déjà, les politiciens québécois (souverainistes comme fédéralistes) ont hissé le drapeau blanc plutôt que de reprendre le combat constitutionnel. Il est plus que temps de relever la tête en forçant le Canada anglais à rouvrir la Constitution pour que le peuple québécois obtienne ne serait-ce qu’un début de réparation. C’est une question d’honneur et de justice.
L'historien et essayiste Frédéric Bastien est candidat à la direction du Parti québécois.