Pierre Falardeau, l'homme filiforme et à la mèche rebelle, rejoint la longue lignée de ces audacieux combattants de la liberté. «Falardeau», comme on l'appelait tous, était un battant, un combattant de la première heure. Un bout de cigarette pend sur les lèvres d'un visage émacié couvert d'une barbe mal taillée et, de plus, une tête aux cheveux ébouriffés. C'est un peu l'image qui restera gravée dans la mémoire collective.
Ce Pierre Falardeau se disait homme d'un autre temps, sans doute celui des valeurs qui s'enracinent dans le dur labeur des idées à incarner, dans ces mots crus et sans artifice à faire entendre au nom de ce que l'on croit être la liberté. Pas de demi-mesure pour ce routier des chemins abrupts et des collines revêches.
Il aura été fidèle à ses convictions, à temps et à contretemps; en fait, à lui-même, jusqu'au bout. Battre en retraite n'était pas dans sa nature et encore moins dans son vocabulaire peu recommandable aux oreilles sensibles. Publiquement, sa réputation le précédait et il ne jouait jamais dans la dentelle. Falardeau le savait et son entourage aussi. Pierre, le trouble-fête de l'ordre établi, dérangeait l'establishment de ce monde bien feutré et aseptisé de politiques somnifères. Il faut tout de même reconnaître son courage qui parfois frôlait l'obstination; il est malheureux que ses coups de gueule l'aient rendu si souvent antipathique et difficile.
Propagandiste
J'ai croisé cet homme à trois reprises. Il donna sa dernière entrevue le 25 mai dernier sur les ondes de Radio Ville-Marie. Il est clair que son passage sur ces ondes a soulevé quelques réactions vives chez l'auditoire lorsque son langage quelque peu rustre laissa tomber deux jurons bien de chez nous. Mais il y avait dans cette entrevue, animée par Jean Carette et Michel Rioux, une sorte de rencontre-vérité sur l'homme et sa destinée.
Ce cinéaste, auteur et polémiste de chez nous se passionna très tôt pour le mouvement indépendantiste et en deviendra un ardent propagandiste. Il y avait quelque chose du Che Guevara chez cet artiste montréalais. Ethnologue de formation, il savait combien les racines d'un peuple ne meurent pas si elles sont nourries parfois du sang de la liberté.
L'oeuvre cinématographique de ce polémiste plus grand que nature ne passera pas inaperçue dans l'histoire artistique du Québec. Le cinéma fut sans contredit pour lui un instrument privilégié de son combat, de ses prises de position énergiques et souvent outrancières. À sa manière, il avait quelque chose d'un Jean le baptiste criant dans le désert de l'indifférence et de la soumission. Il était assoiffé d'un espace libre et tous les moyens à sa disposition faisaient claironner haut et fort la nécessité d'une terre bien à nous, petit peuple francophone du vaste continent américain.
Sa filmographie compte une vingtaine de réalisations et il a écrit une vingtaine d'ouvrages. Il préférait la plume à l'ordinateur, le poêle à bois au chauffage au mazout. Oui, il était d'un autre temps, de ce temps où les êtres humains ne se compliquaient pas la vie avec des discours ampoulés pour faire oublier la vérité toute simple. Il y a de ces aspirations profondes qui mobilisent toute une vie et embrasent plus que soi-même.
Libres penseurs
Pierre Falardeau, polémiste énergique et pamphlétaire notoire, laissera sans doute l'empreinte publique d'un être parfois troublant et quelque peu disgracieux. Pourtant, dans l'intimité des rencontres se dégageait un homme sensible, attentif et d'une grande gentillesse. Le Québec aura toujours besoin de libres penseurs qui font rêver à plus grand que soi, de réacteurs sociaux qui secouent la routine de fonctionnaires tout-puissants et qui nous sortent de l'étroitesse du nombrilisme, d'artistes qui révèlent sur grand écran l'envers de la médaille et la face cachée de nos beautés et de nos travers.
Oui, la quête de l'inaccessible étoile dépasse largement notre entendement et surprend toujours le pèlerin au détour de son parcours terrestre. Il s'appelait Pierre Falardeau, il poursuivra son combat dans un ailleurs où il trouvera enfin pour l'éternité la liberté absolue. Bon voyage!
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Jean-Guy Roy, Directeur général de la station 91,3 FM
Il s'appelait Pierre
Pierre, le trouble-fête de l'ordre établi, dérangeait l'establishment de ce monde bien feutré et aseptisé de politiques somnifères
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