Il n'a fait que passer

Boisclair démissionne


Au cours des dernières semaines, dans le climat de paranoïa intense dans lequel baignait le Parti québécois, la grande question était de savoir qui jouerait le rôle de Brutus et poignarderait André Boisclair. Finalement, il a fait ça tout seul, utilisant le couteau qu'il avait entre les dents au début de la campagne pour se faire hara-kiri.
Il a officialisé sa décision hier matin, mais il avait déjà signé sa lettre de démission vendredi en attaquant Gilles Duceppe. «Sa décision a été longuement mûrie», a dit hier midi le député Nicolas Girard, un des proches d'André Boisclair, laissant entendre que le chef démissionnaire savait fort bien ce qu'il faisait en s'en prenant au chef du Bloc.
Un suicide politique, donc, d'un chef cerné qui avait conclu, avec raison, qu'il était cuit. Avant de partir, il aurait donc décidé d'éclabousser Gilles Duceppe, ce qui risque de compliquer les choses pour ce dernier s'il tente de prendre la relève à la tête du Parti québécois. Les péquistes, députés et militants, n'avaient visiblement pas beaucoup d'affection pour M. Boisclair, mais ils aiment encore moins les régicides qui, encore une fois, plongent leur parti dans la tourmente. Ils sont nombreux au PQ à accuser le duo Gilles Duceppe-Louise Harel d'avoir du sang sur les mains.
Ce n'est pas tout à fait faux : Gilles Duceppe n'est pas aussi innocent dans cette affaire qu'il le dit. Il se cherchait une porte de sortie d'Ottawa, et redoutait de se faire coincer par de nouvelles élections hâtives à Ottawa. Ça pressait, donc, d'où les manoeuvres de certains membres de son entourage pour tenter de l'envoyer rapidement remplacer un André Boisclair fragilisé.
Cela dit, M. Duceppe et ses partisans n'ont fait que précipiter l'inévitable. Ils ont accéléré la mort du patient, mais ils ne sont pas responsables de la maladie.
On cherchera les coupables du départ précipité d'André Boisclair, moins de deux ans après son accession à la direction du PQ. On dira, encore une fois, que le Parti québécois est un ogre qui mange ses chefs; mais, en toute lucidité, il faut reconnaître qu'André Boisclair aura été, du début à la fin, l'artisan de son propre malheur.
D'abord, André Boisclair traînait, auprès de ses collègues députés et ex-ministres ainsi que des organisateurs, la réputation méritée d'un jeune homme brillant mais cassant et hautain. Réputation qu'il n'a pas fait mentir à son retour en politique, en 2005, après un an d'étude à Harvard. Ce n'est pas par hasard que si peu de députés se sont portés à sa défense au cours des derniers jours, alors que le plancher était en train de s'écrouler sous ses pieds. À part quelques députés très près de lui, M. Boisclair n'avait pas beaucoup d'amis au sein de son caucus et il ne faisait apparemment pas d'efforts pour se rapprocher de ses collègues. «André Boisclair ne se préoccupe que d'André Boisclair», résumait un député en privé il y a quelques semaines, après la débâcle du 26 mars.
M. Boisclair aimait bien rappeler qu'il avait réussi à rajeunir et à renouveler le membership du PQ, anémique depuis quelques années, à l'occasion de la course à la direction de 2005. Mais on n'a pas vu ce vent de jeunesse lors des dernières élections, et plusieurs adversaires de M. Boisclair affirmaient qu'il avait remporté la course en gagnant un concours de vente de cartes de membres dans les cégeps et les universités.
Sont arrivées ensuite ces histoires de consommation passée de cocaïne, histoires dont il n'a jamais su se dépêtrer et qui l'ont hanté pendant des mois. C'est aussi à ce moment que l'on a vu André Boisclair péter les plombs devant les journalistes un peu trop insistants à son goût, ce qui a soulevé quelques doutes sur ses capacités de résister à la pression.
On a beaucoup dit depuis le 26 mars que M. Boisclair avait mené une bonne campagne électorale, ce qui est vrai. Du moins, il ne s'est pas planté; il est resté calme même quand la question de son homosexualité est tombée sur le tapis de la campagne électorale; ce qui était déjà bien puisque bien du monde prévoyait une catastrophe. Mais ce n'était pas assez, de toute évidence, et le PQ a terminé troisième contre une ADQ qui n'allait nulle part et contre un premier ministre libéral extrêmement impopulaire.
Il faut dire aussi qu'André Boisclair a commis une grave erreur stratégique en fin de campagne, selon ses propres députés et candidats, en continuant contre toute logique à promettre un référendum même dans la perspective d'un gouvernement péquiste minoritaire. «Celle-là, vraiment, on n'en avait pas besoin; on perdait deux points par jour parce que le chef continuait de répéter ça», confiait récemment un député qui a réussi à sauver sa peau le 26 mars.
André Boisclair, donc, n'est pas le seul responsable des déboires du PQ, mais c'est tout de même lui qui était à la barre quand le bateau a frappé l'iceberg. Peut-être, aussi, parce qu'il a accepté, autre erreur, de suivre le programme politique décidé par son parti avant son arrivée à la direction. Il n'avait pas le choix, direz-vous. Chose certaine, il n'avait pas la prestance et la force de confronter les purs et durs et l'aile gauche du PQ pour imposer un changement de cap.
Reste à comprendre ce qui a bien pu se passer avec Gilles Duceppe. Les deux hommes n'ont jamais été de grands amis. Pas la même génération, pas le même genre. Et puis souvenez-vous de cet incident, en 2006, quand André Boisclair était sorti à Québec pour démolir le budget du gouvernement Harper que venait d'approuver Gilles Duceppe. Le chef du Bloc en a voulu à son allié pendant des mois.
Parlant de M. Duceppe, ira-t-il, n'ira-t-il pas? À l'entendre hier à la Chambre des communes, il semble bien qu'il ne lui reste qu'à écrire le communiqué de son départ du Bloc.
Il veut, c'est certain, mais il serait tout de même intéressant de le voir manoeuvrer si un mouvement pro-Pauline Marois appelait l'ancienne ministre à la rescousse. Dans tous les scénarios, Gilles Duceppe ne veut certainement pas d'une longue et déchirante course à la direction.
Il n'est pas le seul dans le mouvement souverainiste, mais un couronnement ne réglerait pas tous les problèmes existentiels du PQ.


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