LES ARTISTES ET LA SOUVERAINETÉ

"Ich bin ein Lepage"

La souveraineté n'est pas une religion, et si elle en était une il ne faudrait surtout pas qu'elle devienne un intégrisme!

2006 textes seuls

Ce pastiche du célèbre Ich bin ein Berliner de John F. Kennedy traduit- si j'ose dire!- le caractère universel de la confusion identitaire des Québécois à l'étranger. Souverainiste convaincu depuis plus de 20 ans et ex-diplomate québécois, je me suis moi- même souvent senti comme Robert Lepage le décrivait lundi dernier.
Trois grandes raisons expliquent cette confusion des genres; une principale et deux subsidiaires, celles-ci découlant d'ailleurs de celle-là.
Le Canada est un pays souverain. Le Québec est une région d'un pays souverain. Qu'on l'appelle " province ", " État ", " nation ", " peuple " ou " patrie ", le Québec à l'étranger n'est qu'une région du Canada. En termes de branding- car c'est bien de cela qu'il s'agit- l'adhésion à l'Organisation des Nations unies fait des miracles! Le Québec ne fait pas partie de ce club sélect et, par conséquent, n'existe pas sur la scène mondiale. En dehors de France (où, à toute fin pratique, il jouit d'un statut de pays), point de salut pour la marque Québec. En d'autres termes, cette confusion identitaire est davantage l'effet que la cause. L'effet international de notre statut régional actuel. Certainement pas la cause d'une soi-disant déchéance du sentiment national québécois. À mon sens, ce fut toujours le contraire. Cet effet, qui occulte la personnalité unique du Québec sur la scène internationale est- et devrait être- au centre de notre désir d'émancipation nationale.
En second lieu, il arrive souvent qu'avec l'éloignement les appartenances changent graduellement de couleurs. Ainsi, à Toronto je suis très Montréalais et assez Québécois. À Vancouver je suis Québécois mais aussi passablement " Easterner ". À New York, je suis beaucoup Québécois et un peu Canadien. En Europe- hors-France- je suis Québécois mais aussi parfois Canadien et très souvent davantage Nord-Américain! Au Japon ou en Chine, honnêtement, je suis très peu Québécois. Et contrairement à Marc Garneau, j'ai l'impression que dans la stratosphère je serais d'abord et avant tout Terrien! Mais que je sois en mer de la Tranquilité ou en mer Méditérranée je suis toujours souverainiste! (...)
La troisième et dernière raison réside dans le fait que le gouvernement fédéral canadien investit massivement en affaires étrangères. Non pas que cet effort remarquable des Canadiens soit mauvais en soi mais bien parce qu'il a souvent pour effet- volontairement ou non- de " canadianiser " les succès québécois à l'étranger. Malgré le travail acharné- bien que sous-équipé- des as de la diplomatie québécoise, la plupart du temps c'est du dramaturge " canadien " qu'on parle dans le Nihon Shinbum. (...) Ce n'est pas très étonnant que de réceptions en premières à l'ambassade, les artistes et autres dignitaires québécois à l'étranger finissent par se sentir un peu Canadiens... (...)
Deux choses différentes
Robert Lepage a commenté sur son sentiment d'appartenance. Il a aussi abordé la question de la souveraineté. Ce sont deux choses bien différentes. On peut se sentir Canadien en Chine et demeurer souverainiste. Comme on peut se sentir Québécois à Paris et être fédéraliste.
Que M. Lepage s'interroge sur la justesse du discours souverainiste moderne ne me choque ni ne me décourage. La souveraineté n'est pas une religion, et si elle en était une il ne faudrait surtout pas qu'elle devienne un intégrisme! Qu'un des hommes de théâtre les plus brillants et les plus modernes au monde dise qu'il a " encore en " lui " un reste de sentiment souverainiste " et qu'il ne demande qu'à " être convaincu de nouveau " constitue pour moi à la fois un gage de la pertinence contemporaine du projet souverainiste et une grande source de motivation! À l'évidence, l'inclination naturelle de ce visionnaire est souverainiste. Peut-être l'avons-nous un peu trop tenu pour acquis...
L'auteur est un ex- délégué général du Québec à Londres.

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Daniel Audet6 articles

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Ancien délégué général du Québec à Londres, l’auteur est revenu en politique en juin 2006, comme conseiller spécial du chef du Parti québécois, André Boisclair. Dans les années 1990, il a pratiqué le droit au cabinet Lapointe Rosenstein, a été directeur de cabinet du vice-premier ministre Bernard Landry, puis est devenu vice-président de Vidéotron, en 1997. Avant de replonger dans l’univers politique, il a dirigé le Cabinet de relations publiques National à Montréal. Il est maintenant premier vice-président du Conseil du patronat du Québec.





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