Hypocrisie et colonialisme

Deux CHU à Montréal, un pour les Anglais, l’autre pour les colonisés. Un bien géré, l’autre mal géré.

Chronique de Louis Lapointe

Pour ceux qui ne s’en souviennent pas, il fut un temps pas si lointain à
Montréal où les femmes qui désiraient avorter devaient aller dans les
hôpitaux anglophones de l’ouest de l'île pour le faire. Au milieu des
années 1970, pendant qu’à Notre-Dame le comité thérapeutique était un
obstacle presque infranchissable, les femmes qui se présentaient au General
Hospital pouvaient y avorter sans plus de formalités.
Trente ans plus tard, on apprend que le Centre universitaire de santé
McGill (CUSM), est mieux géré que le CHUM et que pour cette raison, il a eu
droit à la subvention de 250 millions accordée par la Fondation canadienne
pour l’innovation alors que cette subvention a été refusée au CHUM. Le même
genre d’hypocrisie qui faisait que les riches Anglaises de l’ouest
pouvaient se faire avorter dans les hôpitaux anglophones pendant que les
hôpitaux francophones du Québec appliquaient le Code criminel à la lettre.
Le même relent de colonialisme dans lequel nous vivions jadis, tout cela
malgré l'avènement de la Révolution tranquille!
Comme dans certains pays colonisés d'Afrique, on a créé deux réseaux de
santé à Montréal, un pour les riches Anglais et l’autre pour les pauvres
francophones. Deux réseaux où la langue n’est pas la même, où les gens sont
traités différemment parce que les moyens n’y sont pas toujours les mêmes.
Nous savons tous que les fondations des hôpitaux et des universités
anglophones récoltent beaucoup plus d’argent pour la recherche que les
établissements francophones du même genre parce que les communautés qui
fréquentent les établissements anglophones sont beaucoup plus riches que la
clientèle francophone des hôpitaux de l’est de Montréal et du reste du
Québec. Qui dit riche clientèle, dit riches donateurs.
L’argent que récoltent ces fondations de recherche sert de bras de levier
pour aller chercher des subventions encore plus grosses provenant de fonds
publics. Qu’on le veuille ou non, l’argent demeurera toujours le nerf de la
guerre et comme il y a beaucoup moins de riches magnats francophones
qu’anglophones pour supporter les bonnes œuvres des établissements de
recherche francophones, nous ne pourrons donc jamais profiter de ce genre
d’avantages que procure l’aide de riches donateurs pour supporter nos
recherches. On parle ici de centaines de millions de dollars.
***
Cela me rappelle un soir d’octobre 1995, alors que je participais en
compagnie d’autres avocats au grand dîner des huîtres de l’association des
diplômés de la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Comment ne pas
discuter du référendum auxquels nous allions tous participer quelques jours
plus tard. J’avouai donc bien naïvement aux convives assis à notre table
que j’allais voter oui. Je savais ne pas être le seul dans ce cas à ma
table, mais personne d’autre ne s’afficha ouvertement comme je le fis. Une
de ces personnes est d’ailleurs devenue juge à la cour supérieure sans que
jamais personne ne sache qu’elle était indépendantiste.
La réaction ne se fit pas attendre, un confrère anglophone d’un grand
cabinet d’avocats de Montréal me prit aussitôt à partie. Effrontément, du
revers de sa main, il fit voler ma cravate et affirma avec hargne que sans
les Anglais, je ne serais rien aujourd’hui. Nous étions alors loin du
proverbial flegme qui caractérisait tant cette race supérieure. Ma cravate,
mon habit, ma montre, mon rythme de vie, je leur devais tout ça. Sans
eux, sans lui, sans ses ancêtres, sans leur argent, je ne serais pas le
directeur de l’École du Barreau, je ne serais rien, qu’un pauvre ignorant
sans le sou. Grâce à eux, j’étais devenu le parfait exemple du
petit-bourgeois québécois qui a réussi. Personne ne réagit à la table,
surtout pas ceux qui étaient secrètement indépendantistes. Il ne fallait
surtout pas que leurs clients sachent qu’ils avaient soutenu un confrère
indépendantiste. On peut défendre les libertés civiles pour de généreux
honoraires professionnels, mais pas par conviction personnelle, trop
dangereux pour l’avancement personnel et les affaires.
J’avais peut-être le droit de voter oui, mais pas de le dire. Aux yeux de
tous, peu importent leurs allégeances, c’était moi qui avais tort et
l’Anglais qui avait raison. Comme l’argent achète tout, même le silence, et
que majoritairement ce sont les Anglais qui l’ont, j’aurais mieux fait de
me la fermer ce soir-là. Je méritais bien cette insulte au nom de tous les
miens.
***
Nous assistons exactement au même genre de réaction de la classe politique
québécoise au sujet du CHUM, pour qui il est normal que la subvention du
FCI soit versée au meilleur établissement, surtout s’il est anglophone. Et
comme il est tout à fait normal que le CUSM soit mieux géré que le CHUM
parce que les Anglais sont meilleurs que nous, la subvention de la FCI doit
donc lui être versée. Personne ne pose de questions. Les Anglais ont droit
à leurs hôpitaux et tant mieux s’ils peuvent en plus recevoir de généreuses
donations. Nous sommes bien chanceux qu’ils nous permettent d’avoir nos
hôpitaux alors que dans le reste du Canada les francophones doivent se
battre pour être soignés en français.
C’est ça être colonisé, c’est accepter sans mot dire que le plus important
réseau d’hôpitaux universitaires francophones au Canada n’ait pas droit à
une subvention de 250 millions, même si la recherche qui s’y pratique, avec
les moyens qu’il a, le justifie amplement. On laisse une fondation du ROC
alimentée avec l’argent de nos taxes établir les normes pancanadiennes et
décider que le CUSM est mieux géré, peu importe la légitimité de ces
raisons, encore moins si cela a pour conséquence que le réseau francophone
de Montréal soit le grand oublié. Et comme si ce n’était pas assez, on a
besoin d’un bouc émissaire pour justifier cette rebuffade.
On s’apprête donc à congédier le directeur général du CHUM manu militari,
parce que tout ça, c’est de sa faute! Ce n’est surtout pas de la faute du
gouvernement québécois qui a changé trois fois la localisation au cours des
dernières années et qui a pris la décision d’avoir deux CHU à Montréal
plutôt qu’un seul comme la logique la plus élémentaire l’aurait commandé.
Mais comme les riches donateurs anglophones ne donneraient pas autant
d’argent à un réseau universitaire francophone intégré, nous en avons deux,
un pour les Anglais, un autre pour les colonisés. Un bien géré et un autre
mal géré. Un qui recueille de riches donations, l’autre, les miettes!
Louis Lapointe

Brossard

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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10 commentaires

  • Michel Guay Répondre

    22 août 2008

    De laisser croire que les anglophones se paient un CHUM parce qu'ils sont plus riches est totalement faux car en réalité les deux CHUMS sont payés à 90% par les francophones et seulement 10% par les anglophones car les anglophones sont 10%
    Donc si les deux CHUMS nous coûteront 3 milliards de $$$ , 90% seront payés par les francophones donc 2 milliards 700 millions sur 3 milliards et seulement 300 milliions seront payés par les supposés riches anglophones
    Nous ne sommes donc pas si pauvres que cela mais nous sommes plus colonisés et incapables de considérer la réalité plus intelligement que ce qui est dit par les propagandistes anti péquistes divisionnistes .

  • Georges-Étienne Cartier Répondre

    4 juillet 2008

    À GILLES BOUSQUET, JE FERAI REMARQUER QUE...
    1 ) Après la conquète , a) beaucoup de "riches" étaient
    rentrés en France;
    b) ceux qui voulaient faire des
    affaires n`avaient plus accès
    au capital de risque, et de ce
    fait n`étaient tout simplement
    plus de taille à compétitionner
    avec les anglais et les écossais
    qui, eux, n`en manquaient pas !
    2 ) MAIS IL Y A PLUS : les "FONDATIONS " anglo-écossases dont on vante aujourd`hui les généreuses largesses pour NOUS culpabiliser et ratatiner, sur quelle bases ont elles été instituées sinon à partir des fortune bâties sur le dos de " canadiens français" misérablement payés par les capitalistes des 200 ans qui ont suivi la conquête : ce qu`"on" ne dit jamais, par peur d`être accusé de "ressentiment" sans doute !
    Et pourtant, il y a bien de quoi !

  • Archives de Vigile Répondre

    4 juillet 2008

    Très intéressant article M. Lapointe sauf qu'on n'a pas à se "pomper" sur le fait que les anglophones sont plus riches que les francophones. L'écart entre ces 2 groupes s'est réduit considérablement pendant la gouverne du PQ mais pas assez pour disparaître.
    Chaque groupe dans une société tend à protéger SES membres en premier et tente d'imposer ses façons de faire et sa langue. Combien de francophones ont appris une langue indienne au Québec en 2008 ? Nous avons quelques ancêtres qui ont réussit la chose au début de la colonie quand il fallait parler indien pour commercer avec eux "des peaux pour un mousquet" mais, quand nous n'en avons plus eut besoin de peaux...rien.
    Ce n'est pas les anglais qui nous ont fait changer la localisation du CHUM de 3 à 4 fois, c'est la politique entre Québécois francophones. Pour faire changement, faudrait commencer à s'aider à la place de s'insulter comme font, entre eux, nos 2 partis d'opposition au provincial.

  • Archives de Vigile Répondre

    3 juillet 2008

    Vous avez raison M. Kimpan,
    Malheureusement, le régime actuel favorise une médicalisation du système de santé aux dépens des autres composantes non médicales comme la réadaptation.
    De même, les règles actuelles découragent l'éclosion de la recherche universitaire dans certains établissements plus petits et spécialisés, même si ces établissements sont prêts à se regrouper.
    Enfin, il est certain que la localisation de certains services et la répartition des fonds de recherche entre les grandes universités du Québec est l'objet de lobbys importants auprès des fonctionnaires de Québec. Si les fondations privées avantagent les universités anglophones, les fonctionnaires favorisent Québec.
    L.L.

  • Archives de Vigile Répondre

    3 juillet 2008

    Entièrement en accord avec vous, M. Lapointe. Les Charest, Couillard, Dubuc et même les autres partis, ne se sont pas mis ensemble pour exiger des FCI de voir...leur devoir. Si la même chose avait défavorisé le CUSM et favorisé le CHUM, je peux vous garantir que le DG + le CA du CUSM ainsi que l'Université McGill auraient levé les barricades contre les FCI. Les FCI ne connaissent rien dans la gestion d'hôpitaux et encore moins que rien lorsque trois sites hospitaliers d'importance majeurs sont à considérer.Mais où sont les chercheurs médicaux québecois du CHUM et de l'UdM ? Où sont les partis politiques (PQ, ADQ, BQ, QS, PI ...). Où est la mobilisation pour répliquer avec force ? Le DG du CHUM n'est pas responsable. Il a une feuille de route exceptionnelle. Je suis trop souvent découragé de ces mauvaises nouvelles et si j'en ajoute quelques unes (ex. le 400 ième du Canada à Québec, la propagande militaire, les discours révulsants de Michaelle Jean et de Harper...), je n'aurai d'autres choix que de décrocherai.

  • Archives de Vigile Répondre

    3 juillet 2008

    C'est que l'on prétend. En réalité on oublie de dire que la mauvaise gestion vient d'en haut et des gens à Québec. Vous savez ce qu'il y a à faire. Les personnes impliquées doivent cogner sur la table et se mobiliser comme dans le dossier de l'UQAM. Et ces enfoirés de l'opposition officielle, cet imposteur et cette grosse nullité de Mario Dumont, agent-double libéral fédéraliste et colonisé, ce vendu, il n'a rien à dire sur ce dossier critique ? Ah oui j'avais oublié. Monsieur Dumont a obtenu son diplôme de Concordia University.

  • Archives de Vigile Répondre

    3 juillet 2008

    Deux point importants à mon avis:
    - les donnations aux œuvres de charités étant déductibles d'impôt, c'est l'ensemble des contribuables Québécois qui financent les donations au CHU anglophone. En fait, les anglophones préferent contribuer à leurs propres hopitaux ethniques plutôt qu'aux institutions publiques québécoise.
    - N'était-ce pas Jacques Parizeau qui était au pouvoir lorsque le projet de CHU anglophone a été lancé? Pourquoi a-t-il donné son aval à un projet aussi peu civique?

  • Archives de Vigile Répondre

    3 juillet 2008


    Dans l’affaire de ce CHU anglais, j’ai eu l’occasion, il y a quelques années d’en parler avec Mme Marois , alors que j’étais président de circonscription du PQ ( je ne suis plus membre de ce parti).
    Je lui demandais alors ce qu’elle en pensait, qu’elle ne fut pas ma surprise, de me faire répondre que ce n’était pas grave, que de toute façon l’on se ferait servir en français, et qu’elle n’avait pas de problèmes avec ça.
    Lamentable. Quand on connaît la situation du français à Montréal, l’afflux énorme de l’immigration anglicisante, non-contrôlé par le Québec, se faire répondre par une pas encore cheffe d’un parti supposément défendre les intérêts supérieurs du Québec, mais en faisant parti de la caste dirigeante, cela démontre une incompétence crasse.
    Et la voilà maintenant cheffe de parti.
    Je vous félicite pour votre courage politique, lors de ce dîner. Cela devrait en inspirer plus d’une….

  • Archives de Vigile Répondre

    3 juillet 2008

    Sans commentaire
    A. « Philippe Couillard a annoncé le 25 juin 2008, lors d'une conférence de presse en compagnie du premier ministre Jean Charest, qu'il abandonne la vie politique et qu'il démissionne à la fois de son poste de ministre de la Santé, de celui de ministre responsable de la région de la Capitale-Nationale, ainsi que de son poste de député de la circonscription de Jean-Talon ».
    B. « Le Dr Denis Roy, directeur du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM), a remis sa démission ».
    C. « Le Dr Henri Elbaz, directeur général à la retraite de l'Hôpital général juif et conseiller aux urgences du CHUM depuis quelques mois, le remplacerait de façon intérimaire ».
    JLP
    Vive le Québec libre de caciques, de tricheurs de la politique, de traîtres et de pilleurs des ressources fiscales et naturelles
    ______________________
    Note : Pour plus d'information sur ce cas de comptabilité créative, de subventions et de corruption, consulter :
    A. Couillard tire sa révérence (25/06/2008, Radio-Canada Nouvelles)
    ***
    B. Le directeur général du CHUM démissionne (02/07/2008, Cyberpresse)
    ***
    C. CHUM: un pas vers un changement de cap? (03/07/2008, Cyberpresse)

  • Archives de Vigile Répondre

    3 juillet 2008

    Il faut que ces réalités soient affirmées haut et fort.
    Merci de le faire.
    C'est un non-sens que ces 2 structures :CHUM et CUSM voient le jours.
    Mylène Piché