Hérouxville et le catholicisme perdu

Hérouxville - l'étincelle


Longtemps, l’identité des « Canadiens français » est passée par la religion catholique. « La foi gardienne de la langue, la langue gardienne de la foi », répétaient les curés. Le nationalisme était à peu près impensable, avant 1960, sans la religion catholique. Il allait de soi qu’un drapeau du Québec (1948) arbore la croix.
La religion catholique a forgé l’identité québécoise, celle des croyants comme celle des athées et des agnostiques. On peut être juif sans croire en Dieu, mais on ne peut pas être juif sans la religion juive. De même, la majorité nationale québécoise est « impensable » sans le catholicisme, même s’il a été largement rejeté et discrédité.
Où je veux en venir ? À Hérouxville, bien sûr, puisque tous les chemins mènent à ce village ces jours-ci, surtout les chemins du malentendu. Que veut dire cet ensemble de « normes de vie » votées par le conseil municipal de cette municipalité de 1338 habitants ? Que ces gens-là ont peur de ce qu’ils voient. Meilleure question : que signifie l’appui étonnant que ce conseil municipal a reçu du public ?
Dans la vague de courriels que j’ai reçus depuis lundi, je dirais qu’au moins un tiers approuvait entièrement la démarche. Un autre tiers déplorait « la forme » mais soutenait « le fond ». Quel fond ? Dire aux nouveaux arrivants : voici ce que nous sommes, et voici surtout ce que nous ne sommes pas.
J’ai assez dit ce que ce texte a de ridicule : on n’a pas à déclarer haut et fort que la lapidation n’a pas cours ici. C’est entendu par tout le monde.
Mais pourquoi les conseillers municipaux ont-ils été l’objet d’autant de sympathie ? Parce qu’il flotte dans l’air une sorte d’inquiétude identitaire. On laisse un sikh entrer à l’école avec son kirpan, on ajuste les séances de l’hôtel de ville de Montréal en fonction du sabbat, on ouvre un local à des musulmans dans une université pour qu’ils y prient.
Et pendant ce temps-là, on demande aux maires de Saguenay et de Laval de cesser la prière. Et on se demande quoi faire avec le crucifix de l’Assemblée nationale, qu’André Boisclair veut faire enlever – celui-là est sincère mais n’a décidément aucun instinct politique.
Les tenants de la laïcité à la française en concluent qu’il y a deux poids, deux mesures : les restes de notre religion historique sont repoussés, celles des autres prennent de plus en plus de place. Qu’importe le bien-fondé de l’argument, qu’importe la distinction, capitale, entre la laïcité de l’institution et celle de l’individu ; c’est ainsi que les choses sont ressenties. C’est physique : moins de crucifix s’offrent à la vue, plus de toutes sortes d’autres signes religieux nouveaux apparaissent. Songeons que depuis 10 ans, le Québec a accueilli 700 000 nouveaux arrivants. C’est énorme, pour un territoire d’un peu plus de 7 millions.
Pas étonnant, donc, que bien des gens, en particulier les moins jeunes, en particulier hors de Montréal, ne se reconnaissent plus dans le Québec qu’on leur montre aux nouvelles à travers une histoire de YMCA, de CLSC ou cours prénatal. J’ai déjà écrit assez souvent qu’on exagère, que les accommodements décidés par les tribunaux sont en définitive généralement très raisonnables, et qu’on n’empêchera pas les écoliers de fêter Noël. Je tente ici simplement de comprendre d’où vient cette inquiétude viscérale qui se manifeste depuis un an autour du sujet.
Je reviens à la religion. Une partie de l’agacement public autour des « accommodements » vient d’un sentiment d’injustice : on a l’impression que certains ont des passe-droits en raison de leur religion. Une partie vient d’un rejet de toutes les religions dans l’espace public. Une partie vient d’une méfiance face à l’étranger.
Mais j’avance qu’une partie vient d’un sentiment de perte d’identité lié à la perte de notre sentiment religieux. M’est avis qu’il y a, chez plusieurs d’entre nous, même ceux qui ont cessé de pratiquer depuis longtemps, une nostalgie religieuse, plus ou moins consciente, peut-être même une envie refoulée de ce qu’elle apporte aux autres. Quand la religion était oppressante, au moins elle était un repère identitaire et existentiel clair.
Ces sikhs, ces hindous, ces musulmans, ces juifs hassidiques, enfin tous ceux qui affirment fortement et visiblement leur religion, nous renvoient à notre propre désertion du catholicisme. Je ne dis pas que nous voulons y retourner : il ne manque pas de curés pour rien. Je dis qu’une partie de ce choc vient de notre propre sentiment d’abandon.
Nous sommes passés, en 40 ans, d’une société de devoirs (religieux) à une société de droits (et libertés). « Je n’aime pas beaucoup les droits, j’aime mieux les devoirs », disait justement le conseiller municipal André Drouin, de Hérouxville.
La religion nous faisait un programme précis d’interdits et d’obligations. Quelle morale l’a remplacée ? Celle des droits et libertés ? Ils sont censés nous garantir un espace d’autonomie, à l’abri des abus de pouvoir. Inversement, ils nous commandent le respect de l’autonomie des autres. Mais ils ne suffisent pas à dire qui nous sommes. À moins que nous ne soyons qu’un groupe de personnes qui respectent les droits fondamentaux des autres ?
La liberté de religion permet aux membres des minorités religieuses de vivre librement ce qu’ils sont. Mais si pour la plupart d’entre nous, il ne reste plus de sacré dans Noël qu’un sapin auquel s’accrocher, cette liberté fondamentale, elle est bien « pour les autres ». Et pour nous, une obligation.
Et voilà, il me semble, qui est aussi susceptible d’agacer, d’irriter, d’inquiéter, d’interroger.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé