Gaz de schiste - Le monstre caché

Gaz de schiste


Jeudi dernier, la ministre Nathalie Normandeau a répété ce qu'elle avait déjà lancé quelques jours plus tôt: l'exploration du gaz de schiste n'a rien de nouveau, le gouvernement ayant mis le débat sur la table il y a des années. Vraiment? Vérifions.
Interviewée par les journalistes en marge du Congrès mondial de l'énergie la semaine dernière, la ministre des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau, a justifié l'action du gouvernement dans le dossier du gaz de schiste en utilisant notamment l'argument suivant: «C'est clair dans notre Stratégie énergétique [2006-2015] que notre volonté est de mettre en valeur le gaz naturel qui existe au Québec pour diversifier et sécuriser nos approvisionnements.»
Ce n'était pas la première fois que la ministre évoquait la stratégie gouvernementale, rendue publique en mai 2006, pour minimiser la controverse qui a cours présentement. Hélas, vérification faite, la clarté n'existe que dans le regard de la ministre. On le constate de toutes les façons.
Il y a d'abord problème de vocabulaire: nulle part, dans ses 119 pages, la Stratégie énergétique ne mentionne l'expression «gaz de schiste» ou «schiste» tout court. C'est déjà un indice. Mais soyons généreux: le mot n'était sans doute pas à la mode il y a quatre ans.
Il faut donc se livrer à une lecture plus minutieuse du document. Elle permet de constater que, oui, il est question de gaz et d'exploration. Sauf que l'accent est résolument mis, carte à l'appui, sur la recherche d'hydrocarbures dans le golfe du Saint-Laurent. En fait, sur les 119 pages, on n'en trouve que 2 qui consacrent quelques lignes au fait que «le Québec bénéficie d'un contexte géologique favorable à la présence de gisements pétroliers et gaziers» et que «plusieurs investissements majeurs ont été annoncés ou sont en cours dans les régions terrestres du Québec». Suivent les noms de Talisman, Junex, Gastem, Petrolia qui ont entrepris, ou entreprendront sous peu, des essais d'exploration.
Voilà qui est clair? Non. Car cette page 84 de la stratégie est aussitôt suivie de la phrase: «Le potentiel en hydrocarbure du golfe et de l'estuaire du Saint-Laurent demeure tout de même celui qui présente le plus d'intérêt.» L'exposé clair dont la ministre Normandeau parle aujourd'hui s'arrête là. Il n'y a pas d'autre mention de l'exploration terrestre qui fait tant jaser aujourd'hui.
Et encore, ces quelques phrases doivent se lire dans le vaste ensemble de la Stratégie (dont la couverture s'illustre non pas d'une foreuse, mais d'éoliennes sur fond de ciel bleu) et de ce qui en avait été compris à l'époque, tant par les journalistes, commentateurs, éditorialistes, que par les acteurs du milieu de l'énergie, des environnementalistes jusqu'aux représentants de l'industrie. Qu'ont-ils retenu de la volonté du gouvernement de développer le gaz de schiste, de s'intéresser à notre «contexte géologique»? Rien du tout!
Car la Stratégie avait un axe clair: la filière hydroélectrique, des grands barrages aux petites centrales. Elle se complétait de diverses mesures, relevées dans différents articles et communiqués: ports méthaniers, énergie solaire, tarification différenciée de l'électricité, véhicules moins énergivores, addition d'éthanol à l'essence... Pas un mot sur Junex et consorts.
Il y a bien à l'époque Équiterre qui voit un «monstre sous le lit». Mais ce n'est pas au gaz de schiste que le groupe pense. Plutôt aux projets d'exploration gazière et pétrolière dans le Saint-Laurent. L'exploration terrestre que la ministre conçoit aujourd'hui très clairement aura donc échappé au regard perçant des militants et de journalistes aussi aguerris que notre spécialiste en environnement, Louis-Gilles Francoeur...
Le Québec, en fait, ne comprendra pleinement qu'en juin dernier que des compagnies privées se sont déjà partagé le territoire dans l'espoir d'exploiter le gaz qui repose dans notre sous-sol et de se remplir les poches sans se ruiner en redevances. Puisqu'il faut se reporter à la Stratégie de 2006, il faut en effet en retenir un petit bout de phrase qui, dans le contexte, ne manque pas de sel: «Il doit être clair qu'advenant des découvertes économiquement exploitables, le gouvernement respectera pleinement les règles du marché et de la libre entreprise.» La phrase conclut une section qui porte sur les hydrocarbures, mais elle correspond à l'approche générale de la Stratégie: l'enrichissement sera individuel, pas collectif.
Comment, dès lors, s'étonner de la méfiance populaire qui s'exprime et des critiques vives, émanant même de ses anciens dirigeants, au sujet du mandat réduit que le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement a reçu pour étudier ce dossier?
L'exploitation du gaz de schiste au Québec est traitée comme un projet sectoriel alors qu'il s'agit d'un vaste chantier, aux enjeux sociaux et environnementaux majeurs, qu'un gouvernement responsable devrait porter devant l'électorat. Au risque de mécontenter les amis du pouvoir qui ont pu avant nous tous se positionner pour mettre la main sur les richesses que notre sous-sol ferait miroiter.
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jboileau@ledevoir.ca


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