RÉGLEMENTATION DES VALEURS MOBILIÈRES

Fédéralisme judiciaire

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Le recours systématique aux tribunaux constitue la preuve ultime du dysfonctionnement du fédéralisme canadien

Voilà Québec contraint de retourner devant les tribunaux afin de faire respecter sa compétence en matière de réglementation des valeurs mobilières. Le fédéralisme canadien est devenu excessivement judiciaire, fonctionnant à coups de renvois, phénomène qui s’est accentué durant la décennie Harper.
La Constitution canadienne semble non modifiable. Les acteurs politiques ne veulent de toute façon plus aborder le sujet. Ne restent plus que les tribunaux pour influer sur l’évolution de la fédération canadienne. Situation risquée pour l’État du Québec.

La dernière preuve en date de ce contexte malsain, bloqué ? « Le Québec se doit de s’adresser encore une fois à la Cour d’appel », déclarait piteusement la ministre de la Justice Stéphanie Vallée, dans un communiqué mardi ; laissant transparaître un peu d’exaspération à l’égard de ce serpent de mer qu’est le projet fédéral de réglementation pancanadienne des valeurs mobilières.

Ce projet centralisateur, torontocentrique, est très ancien ; remonte au moins aux années 1960 si l’on se fie à l’historique fait par la Cour suprême dans un renvoi, en 2011. Tous les partis fédéraux — le Bloc excepté, évidemment — l’ont défendu à un moment ou à un autre. Le gouvernement Harper en a fait une obsession, malgré ses promesses de 2005 d’ouvrir une ère de « fédéralisme d’ouverture ». Il est d’ailleurs pour le moins comique aujourd’hui de voir un zélé nouveau venu comme Gérard Deltell, candidat conservateur dans Louis–Saint-Laurent, soutenir comme il l’a fait fin juin que le gouvernement Harper avait fait preuve de « respect » pour les compétences des provinces (il dénonçait le NPD dont le programme « empiète sur les responsabilités provinciales »).

Comique, car dans son renvoi de 2011, la Cour suprême concluait très clairement que le projet du gouvernement Harper violait la Constitution dans sa dimension du partage des pouvoirs. À l’article 92 de l’Acte de 1867, ce sont les provinces qui se voient confiées le pouvoir de légiférer en matière de « propriété et de droits civils sur leur territoire ». Ce sont donc elles qui doivent réglementer les valeurs mobilières.

Malgré cette rebuffade, le gouvernement Harper n’abandonna aucunement ses desseins d’empiétement et relança son projet de réglementation pancanadienne des valeurs mobilières. Le ministre des Finances Joe Oliver a déposé en septembre 2014 une ébauche de projet de loi fédéral en forme de protocole d’entente à signer par les provinces (l’Ontario en tête) disposées à participer à l’« effort » de centralisation.

Il faut dire qu’en 2011, la Cour suprême, dans un passage surprenant, lui avait presque montré comment contourner cet aspect de la Constitution pour arriver à ses fins ! Après avoir dit que le projet Harper-Flaherty (ministre des Finances de l’époque) était inconstitutionnel, elle ajoutait : « Rien n’interdit une démarche coopérative qui, tout en reconnaissant la nature essentiellement provinciale de la réglementation des valeurs mobilières, habiliterait le Parlement à traiter des enjeux véritablement nationaux. » Enjeux « nationaux » ? Oui, lorsqu’il s’agit de réglementer les « risques systémiques » comme ceux qui ont ébranlé l’économie mondiale en 2008, et recueillir des données financières partout dans la fédération, Ottawa serait en droit d’agir. Ainsi, l’ébauche dévoilée par Joe Oliver s’intitule-t-il « Loi sur la stabilité des marchés des capitaux » (LSMC). On veut donner le change, laisser croire que le gouvernement Harper a réussi à tirer les leçons du renvoi de 2011.

Mais selon Québec, il n’en est rien. La LSMC prévoit des « lois provinciales uniformes et une loi fédérale complémentaire s’appliquant même aux provinces non participantes au projet de commission pancanadienne » ! Le fédéral détiendrait aussi un « droit de veto au sein de l’organisme responsable de l’administration de ce régime ».

Comme souvent, les principes du fédéralisme ne semblent pas tellement intéresser les provinces du Rest of Canada (à l’exception de l’Alberta). Plus de cinq d’entre elles ont embarqué avec le fédéral. Pour elles, Ottawa est le gouvernement national. Pourtant, avec les institutions actuelles, le Canada s’était montré plutôt stable après la crise de 2008. Malgré tout, celle-ci devient un prétexte pour centraliser encore plus les choses. Québec refuse. Et ce sont des juges exclusivement nommés par Ottawa qui auront le dernier mot.


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