Extrême fatigue

Sondage CROP-La Presse - Mars 2008

Il était inévitable que le renvoi du référendum aux calendes grecques provoque une énième «crise existentielle» au Bloc québécois.
Le dernier sondage CROP, qui place les bloquistes à égalité avec les conservateurs, a simplement ravivé un malaise récurrent depuis des années. Un malaise qui affecte l'ensemble de la famille souverainiste, mais avec lequel il est bien plus facile de vivre à Québec qu'à Ottawa.
En «suspendant» l'obligation de tenir un référendum le plus rapidement possible dans un premier mandat, le récent conseil national du PQ s'est finalement résigné à concilier le programme du parti et la réalité politique, en crevant la bulle dans laquelle s'étaient enfermés les délégués au congrès de juin 2005.
Ce congrès fatal à Bernard Landry s'était déroulé dans un climat surréaliste. La souveraineté avait beau atteindre des sommets inégalés dans les sondages de l'époque, il était manifeste que le scandale des commandites et l'insatisfaction chronique à l'endroit du gouvernement Charest faussaient toutes les données.
Même si le PQ avait repris le pouvoir l'an dernier, André Boisclair n'aurait pas été plus en mesure de tenir un référendum que Pauline Marois estime pouvoir le faire si elle devient éventuellement première ministre.
Là encore, les chiffres de CROP en disent long: malgré la mauvaise foi criante des conservateurs en matière de protection de l'environnement, l'impopularité de la guerre l'Afghanistan, les insuffisances du budget Flaherty, l'affaire de Chalk River, l'affaire Cadman et tout le reste, 55 % des Québécois se disent satisfaits du gouvernement Harper. La bonne entente à tout prix.
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On peut comprendre que la bulle soit plus difficile à crever au Bloc. Bien des députés péquistes ont troqué à regret la tenue du référendum pour un nouvel épisode de «bon gouvernement». Précisément, pour leurs homologues bloquistes, il ne peut pas y avoir de gouvernement, bon ou mauvais.
Les propositions que l'exécutif du Bloc propose d'inscrire dans le plan d'action qui sera soumis au congrès d'octobre sont autant de voeux pieux, dont la réalisation dépend exclusivement du bon plaisir des autres. C'est bien beau de défendre les intérêts et les valeurs du Québec, mais quelqu'un pense-t-il sérieusement voir le jour où les dispositions de la loi 101 seront étendues aux domaines de compétence fédérale?
Le Journal de Montréal rapportait hier les propos de la députée de Québec, [Christiane Gagnon, qui se désolait de constater que le Bloc «améliore le fédéralisme». Les propos de son collègue de Rosemont, Bernard Bigras->12701], allaient dans le même sens.
Il ne faudrait tout de même pas exagérer. Depuis dix-huit ans, le Bloc a sans aucun doute été un porte-parole efficace des revendications québécoises à Ottawa, mais le Canada n'a pas vraiment besoin de lui pour démontrer qu'il n'est pas le Goulag.
Sans nier son utilité, les quelques concessions arrachées à Ottawa au fil des ans ont été le résultat des pressions exercées par l'ensemble de la société québécoise et du désir d'éviter que les nationalistes modérés ne basculent dans le camp souverainiste.
Il est cependant vrai que la présence d'un gouvernement aussi inconditionnellement fédéraliste à Québec pose un problème au Bloc, dans la mesure où le gouvernement Harper en donne parfois plus que n'en demandent les libéraux de Jean Charest.
Gilles Duceppe avait raison de souligner les limites de la motion présentée à la Chambre des Communes pour reconnaître l'existence d'une nation québécoise au sein du Canada. À partir du moment où le gouvernement légitime du Québec se pinçait pour s'assurer qu'il ne rêvait pas, le Bloc était toutefois condamné à applaudir à son tour, accréditant l'impression d'une grande victoire.
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Selon Bernard Bigras, «le défi, c'est de remettre la souveraineté au coeur de notre plate-forme électorale». Personne ne demande au Bloc de se convertir au fédéralisme, mais il ne faut pas se tromper de tribune non plus. Dans l'état actuel de l'opinion publique, il ne semble pas évident qu'une plate-forme axée exclusivement sur la souveraineté serait plus profitable au Bloc qu'au PQ.
Quand le PQ est retourné dans l'opposition en 2003, certains se sont peut-être imaginé que le Bloc pourrait le suppléer comme locomotive de la souveraineté, mais la partie ne peut se jouer qu'à Québec.
Il ne s'agit surtout pas de choisir entre la promotion de la souveraineté et le retour à la maison. En quoi abandonner tout le terrain aux partis fédéralistes ferait-il avancer les choses? Pour l'heure, l'ensemble du mouvement souverainiste est acculé à la défensive. La présence du Bloc à la Chambre des communes reprendrait cependant tout son sens si le PQ était porté au pouvoir, avec ou sans référendum à l'horizon.
Même si elle demeure dans les limites de la légalité constitutionnelle, la «gouvernance nationale» promise par le PQ teintera inévitablement les relations avec le reste du pays d'antagonisme. Dans un scénario comme celui-là, le Bloc n'aurait pas à craindre de contribuer au renouvellement du fédéralisme. Il s'agirait plutôt de bien doser l'huile à jeter sur le feu.
En réalité, on a l'impression que les députés bloquistes en ont surtout assez de jouer les seconds violons dans un concert qui pourrait bien ne jamais avoir lieu. Quand Gilles Duceppe a décidé de succéder à André Boisclair, tout le monde au Québec et dans le caucus bloquiste a bien compris qu'il en avait assez de poireauter à Ottawa. Et c'est lui qui a de loin le meilleur emploi au Bloc.
Les salaires et les pensions des députés fédéraux sont peut-être intéressants, mais cela n'a pas empêché le départ des meilleurs éléments du Bloc au cours des dernières années. Finalement, cela ressemble moins à une crise qu'à un cas d'extrême fatigue.
mdavid@ledevoir.com


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