Un observateur étranger, apercevant les renversements d'appui à la souveraineté, se dit sans aucun doute: «Ils sont fous ces Québécois!» Comment justifier que sur un sujet aussi important que la fondation d'un pays l'appui à la souveraineté, qui dépassait la barre du 50% il y a trois ans, se retrouve à présent avec un maigre 35%, du moins selon le dernier sondage CROP. (...)
Un examen des données de sondage sur une longue période montre que la récente chute n'est pas exceptionnelle. Le mouvement qui soutient cette cause, du moins depuis le référendum de 1980, est marqué par des contractions qui suivent des périodes d'expansions. Le mouvement aurait l'allure d'un accordéon.
Les hésitations d'un peuple, tout comme celles des individus, semblent bizarres aussi longtemps qu'on ne prend pas en compte les différents critères qui motivent une décision. Dans le cas de la souveraineté, la variation des appuis témoigne de la présence d'au moins deux critères relevant de registres distincts: d'une part, la volonté de faire un pays et, d'autre part, le désir de riposter aux affronts d'Ottawa ou du Canada anglais. Le premier est structurel. Bon an mal an, ce groupe fait de 25% à 30% de l'électorat. Le second, au contraire, est nettement conjoncturel: quand les relations Ottawa-Québec ne sont pas houleuses, ce segment est d'une dizaine de points. À l'opposé, en période de crise, il peut dépasser le 30%. En mai 1991, l'appui à la souveraineté a totalisé 64%, selon un sondage Léger Marketing!
En fait, quand l'affront est manifeste - échec de Meech (1990), plan B de Stéphane Dion (1997) et scandale des commandites (2004) - ce deuxième groupe utilise la souveraineté pour montrer un ras-le-bol et la brandit comme une ultime menace. Quand l'affront quitte l'actualité, ou est puni par un changement de gouvernement - victoire de Brian Mulroney (1984) et de Stephen Harper (2006), l'appui à la souveraineté se dégonfle: la colère ponctuelle ayant été évacuée, tout le mouvement se contracte, ne reposant alors que sur ceux et celles du premier groupe, pour qui la volonté de faire un pays transcende les chefs et les injures.
Les Québécois ne sont donc pas fous parce que les variations ne sont pas aléatoires; elles s'expliquent par le caractère réactif d'une portion du mouvement qui supporte le PQ et le Bloc.
Que faire?
Que peuvent faire les souverainistes? Le malheur des souverainistes, c'est qu'ils n'ont pas le contrôle de l'ordre du jour quand la souveraineté dépasse le 50%. Et quand la chute est marquée, les leaders souverainistes subissent les contrecoups de ces soubresauts. Il en va de même de la base militante qui vit la déception. Des tiraillements surgissent au sein des formations souverainistes, mais chaque fois, ils se sont adaptés: le «beau risque» de René Lévesque (1984) ou l'«affirmation nationale» de Pierre Marc Johnson (1986) étaient des stratégies qui prenaient en compte la contraction du moment.
Pauline Marois a donc fait de même en se débarrassant de l'obligation de tenir un référendum. Elle a aussi marqué des points en exerçant un leadership fort au sein de son parti; il lui fallait combattre l'idée d'un parti ingouvernable, rempli de Brutus.
Au cours de la dernière année, elle a aussi tenté d'occuper tout le terrain du nationalisme défensif avec des thèmes aussi variés que le «nous», la promotion du français et la citoyenneté québécoise. Ces efforts du PQ pour devenir à nouveau le porte-voix de ce noyau dur de la culture politique québécoise s'avèrent cependant très mitigés puisque le parti de Pauline Marois se retrouve selon les derniers sondages avec un score à peine supérieur à celui obtenu par André Boisclair.
Pis encore pour les souverainistes, le gouvernement Charest obtient un taux de satisfaction record qui autorise les libéraux à espérer un troisième mandat, une situation inédite depuis 1960. Les péquistes demeurent certes premiers chez les francophones, mais l'avance dont ils disposent n'est plus que de cinq ou six points. Il suffirait que Jean Charest poursuive son recentrage et maintienne ses distances avec Ottawa, pour gagner d'autres points auprès de certains segments nationalistes.
Chez les bloquistes, la situation est plus périlleuse: selon le dernier sondage, ils se retrouvent nez à nez avec le Parti conservateur, une perte de plus de 10 points depuis l'élection de 2006. Cela est d'autant plus stupéfiant que la performance du gouvernement Harper n'a rien de formidable. (...)
Tous ces éléments indiquent une contraction de l'accordéon souverainiste. Le mouvement qui avait pris de l'expansion avec le scandale des commandites en février 2004 se comprime sérieusement depuis deux ans. En fait, au-delà des corrections stratégiques déjà faites, les souverainistes sont placés dans une situation attentiste, coincés entre la base militante qui souhaite une forme de prosélytisme et l'électorat fatigué, lui, de cette éternelle question. Que doivent-ils faire de plus? Il leur faudra beaucoup d'imagination ou, encore, un nouvel affront d'Ottawa, pour retrouver leur souffle.
(Archives La Presse)
Jean-Herman Guay
L'auteur est professeur de sciences politiques et directeur de l'École de politique appliquée à l'Université de Sherbrooke.
L'accordéon souverainiste
Le malheur des souverainistes, dont Pauline Marois, c'est qu'ils n'ont pas le contrôle de l'ordre du jour quand la souveraineté dépasse les 50%.
Sondage CROP-La Presse - Mars 2008
Jean-Herman Guay30 articles
L'auteur est professeur de sciences politiques à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke.
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