Après les événements dramatiques de ce vendredi 4 mai à Victoriaville, nombre de questions se posent, notamment sur les responsabilités et stratégies des différents acteurs. À défaut d’informations complètes et validées, on peut quand même tenter quelques explications ou hypothèses.
Du fait d’une stratégie délibérée de fermeture et de provocations manifestement gagnante sur le plan électoral, le gouvernement Charest a une responsabilité morale et politique dans la tournure tragique des événements de Victoriaville, ainsi que dans les nombreux dérapages antérieurs. Malgré l’indépendance de principe des forces policières, peut-on exclure des interventions politiques et stratégiques de la part du gouvernement Charest à leur endroit ? À défaut d’être en mesure de répondre à cette question, il importe cependant d’examiner les responsabilités directes des acteurs en présence.
Il était évident que le congrès du PLQ, déplacé de Montréal à Victoriaville, serait l’objet de mesures et de stratégies de protection exceptionnelles. La majorité des membres du gouvernement étant sur place, il fallait même s’attendre à ce qu’il soit légitimement fait usage d’armes à feu si leur sécurité physique était directement menacée. C’est pourquoi, la fameuse barrière métallique, facilement renversée, ne pouvait avoir qu’un caractère symbolique. Certains avancent l’hypothèse selon laquelle la fragilité de cette ligne de défense faisait partie d’une stratégie de “provocation” de la part de la police. Si cette hypothèse est valide, cela suppose, sinon une coordination, du moins une collaboration implicite de la part des casseurs dans cette stratégie. Ceux-ci, pas plus que la police, ne rendent publiques leurs stratégies. Mais certains éléments se diffusent malgré tout, voir par exemple (NB : le contenu pourrait disparaître rapidement du net) :
http://moutonmarron.blogspot.ca/2012/05/la-manif-victo.html
L’interprétation des témoignages
Le fait d’être à un endroit précis d’une manifestation ne permet pas d’avoir une vue d’ensemble sur celle-ci, et encore moins de comprendre les stratégies antérieurement planifiées puis mises en œuvre sur le terrain de l’action, c’est pourquoi il faut se garder de tirer des conclusions à partir d’un seul témoignage : c’est ce type d’interprétation très partielle qui se répand sur internet, avec déformation des faits, ces déformations se propageant ensuite sous forme de rumeurs.
De plus, certains manifestants, pourtant pris en otages et utilisés comme boucliers humains par les casseurs, semblent atteints d’une sorte de syndrome de Stockholm, qui fait qu’ils se portent à la défense de ceux qui ont pourtant mis, cyniquement et délibérément, leur intégrité physique en péril. Pourquoi les casseurs n’organisent-ils pas leurs propres actions, sans boucliers humains ? Poser la question … c’est sans doute y répondre !
Stratégies de la police et stratégies des casseurs
On peut constater que les forces policières ont une vue d’ensemble, en temps réel, avec un hélicoptère et un système de communication et de commandement. La police a aussi divers services d’enquête et d’infiltration: elle est informée en bonne partie des projets, organisations et stratégies des casseurs, et elle peut tenter de les neutraliser avant le fait (arrestations avant les manifestations d’individus porteurs de projectiles, etc.), ou les laisser délibérément agir, voire même susciter des actions provocatrices (cf le Groupe Germinal), ou bien planifier l’action de ses propres casseurs (cf. Montebello, le G-20, etc.).
En ce qui concerne les enquêtes des services policiers, des ressources considérables sont mises en œuvre, avec une concertation des différentes unités : il s’agit des agences fédérales (SCRS, etc.), de la Sûreté du Québec, et de l’Escouade GAMMA (Guet des activités des mouvements marginaux et anarchistes) créée en 2011 au sein du SPVM.
Le Journal de Montréal («Printemps Québécois - Les groupes anarchistes surveillés de près», 6 mai 2012) indique que «des spécialistes du Service canadien de renseignement et de sécurité (SCRS) surveillent de très près ce qu’ils appellent eux-mêmes le «printemps québécois»», et que le SCRS, présent lors des événements de Victoriaville, «aurait à l’œil certains groupes d’anarchistes et des militants plus extrémistes qui prennent part» aux manifestations. Selon l’ex-directeur des services d’urgence de la Sûreté du Québec, «On a réellement eu affaire [à Victoriaville] à un groupe très bien organisé, qui s’était très bien préparé et qui avait un plan bien précis» (Journal de Montréal, 6 mai 2012).
Avant de décrire les casseurs comme des “bons samaritains”, il n’est donc pas inutile de s’informer sur leurs stratégies. Celles-ci sont assez répétitives, même si les éléments stratégiques précis demeurent secrets, en dehors de toute perspective démocratique. Cependant, avec le temps, les stratégies des casseurs à l’emploi de la police finissent par être dévoilées, tout comme celles des provocateurs bénévoles au service du pouvoir. Par ailleurs, comme dans le cas du comité occulte d’organisation de la manifestation antipolicière du 15 mars 2010 qui mettait ses documents “secrets” sur internet, il est souvent possible d’avoir une idée de ce qui se prépare, en consultant Facebook (informations sur les actions et listes de manifestants … offertes aux services policiers sur les pages des événements …!) ou d’autres sites.
Conclusion
Le fait que l’idéologie des casseurs et l’utilisation de manifestants pacifiques comme boucliers humains soit à la mode dans certains milieux, cela a des explications sociologiques : radicalisation reliée au risque de déclassement pour une partie de la petite-bourgeoisie qui n’aura pas accès au même statut socioéconomique que la génération précédente, etc... Mais cette idéologie et ces stratégies n’ont aucune justification sur le plan moral et politique.
Il devient donc de plus en plus nécessaire de protéger les manifestations contre les casseurs. C’est ce que les manifestants de ce samedi 5 mai à Victoriaville se sont employés à faire en neutralisant les individus masqués, bien déterminés à ne pas être victimes des mêmes exactions que celles qui ont été perpétrées la veille, dans un contexte où il est possible que les casseurs, tout en provoquant la répression policière, aient atteint physiquement non seulement des policiers, mais aussi des manifestants, avec leurs projectiles potentiellement mortels. C’est d’ailleurs ce qui s’était produit lors du “Carnaval antipolicier” du 15 mars 2011 sur la rue St-Denis à Montréal, lorsqu’une manifestante avait reçu en plein visage une bouteille lancée par un casseur.
Pour conclure, et quitte à me répéter… Il ne suffit pas de dénoncer la répression policière, mais il faut aussi mettre fin, à celle, plus insidieuse, des casseurs ! Cela me paraît d’autant plus important que, s’il advenait que les étudiants se soient “fait passer un sapin” avec l’“entente” survenue entre le gouvernement et leurs associations, la mobilisation serait loin d’être terminée, et le climat encore plus tendu !
Yves Claudé
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6 commentaires
Archives de Vigile Répondre
8 mai 2012À Monsieur Laurent Desbois,
Je sous conseille, en relation avec les faits que vous rapportez, de prendre connaissance des éléments suivants, qui suggèrent une certaine collusion stratégique, au moins implicite :
http://moutonmarron.blogspot.ca/2012/05/la-manif-victo.html
Yves Claudé
Laurent Desbois Répondre
8 mai 2012Sur Claude Poirier LCN, 8 mai ce matin.
Un témoin à Victoria Ville vendredi disait qu’il avait un champ vacant de l’autre coté du chemin (200 pieds) plein de roches de toutes grosseurs et disponible aux manifestants(?).
De plus près de l’hôtel où était le congrès des libéraux, il y avait une palette de brique où un casseur brisait les briques en deux… pour les donner à des manifestants(?).
Claude Poirier dit qu’il a reçu plusieurs témoignages à cet effet et qu’il se pose de sérieuses questions concernant la sécurisation des lieux !!!!
La police n’a pas vu ça ???? MDR !!!
Jean-François-le-Québécois Répondre
8 mai 2012Soyons conscients que dans les médias, les casseurs sont identifiés au mouvement étudiant. Ce n'est pas anodin.
C'est de la propagande digne du journal nazi Der Sturmer, qui rendait les Juifs responsables de tous les maux, en Allemagne... On répète à la télévision «étudiants» en montrant des scènes de grabuge et d'individus vêtus de noir et cagoulés.
À répéter le même mensonge, la même grossière généralisation ad nauseam, les médias et Patapouf veulent que la population se retourne contre les étudiants, alors qu'elle devrait les appuyer... Et beaucoup trop de Québécois n'y voient que du feu!
Archives de Vigile Répondre
8 mai 2012En fait rien de nouveau en matière de fonctionnement policier. Je veux parler des provocations. Elles sont de deux sortes : soit directement l'oeuvre de policiers déguisés en manifestants ou de pauvres bougres manipulés par les policiers, soit d'élements non contrôlés par la police ou les manifestants (s'entend qui viennent sur d'autres bases que les revendications du moment portées par la manifestation)mais qui, par leur attitude parasitaire permette et justifie l'intervention musclée de la police. Objectivement, l'une et l'autre ont pour but de discréditer le mouvement et donc les revendications qu'il porte en introduisant la violence là où il devrait y avoir écoute et négociation. Une manière pour les décideurs de se défaire d'un problème : mais ça marche ou ça ne marche pas, tout dépend. Tout dépend en fait des mnifestants s'ils acceptent ou non de se soumettre à la pression des provocations. Nous sommes bien d'accord, il y a provocation lorsque l'ensemble des manifestants n'a pas accepté de porter ou de cautionner la violence en toute conscience politique, en connaissance de cause. Car nous pouvons très bien voir des manifestants qui acceptent et portent la violence face à la violence sociale d'un gouvernement appliquée par sa police(voir en Grèce par exemple). Pour reprendre donc le contrôle des manifestations, il faut isoler et, au besoin, mettre hors état de nuire les provocateurs quelqu'ils soient, parfois même en usant de violence. S'il s'agit de policiers déguisés ou d'agents manipulés il faudra les prendre et les exposer à la presse. S'il s'agit d'élements non contrôlés, il faudra leur proposer soit de rejoindre les rangs de la manifestations en acceptant le contrôle de celle-ci sur leurs actes soit, de les pousser loin de la manifestation. Mais pour faire tout cela il faut un service d'ordre des manifestants. C'est à dire des personnes qui seront désignées, qui seront chargées de défendre la manifestation et de faire front contre toute attaque afin de la contenir, pour éviter la débandade. C'est un poste de confiance et pas uniquement de gros bras.
Archives de Vigile Répondre
8 mai 2012Il y a aussi les agents provocateurs de la police qu'on ne doit pas oubliés.
Il y a les barrières qu'un vent aurait pu jeter à terre parce que ceux qui les ont montées n'avaient pas assez de tie rap pour les faire tenir.Était ce volontaire qu'elles tombent aux premiers secouements de celles-ci?
C'est vrai que ce n'était que les ministres du gouvernement québécois, leurs véritables patrons, qui étaient présents, pas si important que ça!
Donc la SQ est si peu organisée qu'elle n'est plus capable d'organiser une zone sécurisée sans qu'elle soit investie dès les premières...secondes?
Nous avons assisté à un véritable coup monté de la part des autorités autant politiques que policières.
Jean Archambault Répondre
7 mai 2012Vous passez sous silence l'utilisation de balles en plastique par la SQ. Cette arme agressive a été dénoncée dès 2001 par la Ligue des droits et libertés du Québec. Cet organisme demande qu'elle soit bannie vu que son utilisation peut être mortelle. Comment expliquez-vous que les journalistes mentionnent encore les mots balles en caoutchouc alors que ce sont de balles en plastique ? Rien ne justifie le recours à une telle arme. Le fait que des experts en sécurité nationale ou anti-terroriste se soient déplacés pour voir ces affrontements prévisibles me laisse à penser que nous avons assisté à une mise-en-scène pour évaluer les moyens dissuasifs à mettre en action. Vous sous-évaluez la raison d'état. Lorsqu'elles sont utilisées, les balles en plastique deviennent une menace mortelle pour tout manifestant. Une revue de littérature succincte nous permet de confirmer que de simples spectateurs ont été tuée par ces projectiles.