Comment expliquer le recalage spontané subi par le public au profit du privé lorsque vient le temps de choisir une école secondaire? Dans cette course à la performance, l'égalité des chances prend du plomb dans l'aile. Il est temps de jeter les bases d'un nouveau «contrat social».
Parents et enfants errent ces jours-ci dans les couloirs des écoles secondaires à la recherche de la formation idéale. Ils se posent assurément cette question: «Où se cache la meilleure école?» Mais ont-ils songé à cette autre: «Si l'école du plus fort n'était pas toujours la meilleure?»
C'est une interrogation qui frappe dans le documentaire de Marie-Josée Cardinal, Les Enfants du palmarès, un film à voir, peu importe les convictions qui nous animent. La documentariste, elle, ne fait aucun mystère de son parti-pris: elle est contre cette «course folle à la sélection» dans laquelle on précipite nos enfants au moment de leur passage tourmenté du primaire vers le secondaire. Son fils Laurent, à qui elle dédie le film ainsi qu'à son père, feu Jean-Guy Cardinal, ex-ministre de l'Éducation, a beaucoup souffert d'avoir participé malgré lui à cette compétition qui fait «plus de perdants que de gagnants».
La caméra suit quelques familles dans l'épreuve que constitue la sélection d'une école secondaire: portes ouvertes, discussions familiales, stress précédant l'examen, tension du test d'admission, angoisse de l'attente, euphorie ou déception suivant la réponse du collège convoité. Un spectacle dominé par quelques évidences: au secondaire, une «psychose du public» a gagné la population, encouragée par des palmarès inéquitables. Désormais, le réseau public est d'emblée écarté et devient l'option sur laquelle on se rabat si le privé n'élit pas «notre» candidat. Un non-choix, boudé d'entrée de jeu.
Force est de l'admettre, la psychose s'accentue avec le temps. Elle amenuise ce que le réseau d'éducation du Québec devrait protéger: l'égalité des chances. D'un côté, il y a des écoles privées marquées par le sceau de l'abondance. De l'autre se trouvent des écoles publiques démunies, incapables -- ne serait-ce que sur le plan technique -- de rivaliser avec leurs voisines de quartier.
Les parents, alléchés par le privé, sont séduits par un environnement stimulant, un encadrement rigoureux, la promesse que les élèves, presque tous sans difficulté, seront sans cesse poussés vers le haut. Qui peut les blâmer? Le public, victime du dénigrement social, récolte des mines penaudes, les rejetés du privé, ceux qui «n'ont pas le choix».
Les détracteurs de l'école privée voudraient effacer cet écart en stoppant le soutien de l'État au privé. Hier, la Fédération autonome de l'enseignement a demandé à nouveau la fin de ce financement public. Le syndicat touche là un point sensible, un véritable malaise.
Mais les questions d'argent, si symboliques soient-elles, ne constituent pas l'aspect le plus préoccupant de cette cohabitation malsaine entre public et privé. Certains, comme le professeur Jean-Pierre Proulx, ont suggéré de retrouver l'«égalité» perdue en finançant le privé en échange d'une promesse de démocratisation: accès des élèves en difficulté, tirage au sort plutôt que sélection, bourses d'études aux familles moins nanties.
L'ancien président du Conseil supérieur de l'éducation propose en somme la signature d'un nouveau «contrat social» qui n'annonce ni la fin du réseau privé ni l'affaiblissement du réseau public, mais plutôt un voisinage sain installé sur des bases démocratiques. C'est une proposition qui mérite qu'on s'y attarde, avant que la psychose ne nous gagne tous.
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machouinard@ledevoir.com
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