AVANT D'APPUYER LA RÉSOLUTION SUR LA NATION QUÉBÉCOISE

Duceppe a obtenu l'accord des ténors souverainistes

La nation québécoise vue par les souverainistes québécois


Avant d'annoncer hier matin, à la surprise des partis fédéralistes aux Communes, que le Bloc québécois allait voter lundi en faveur de la résolution du gouvernement Harper sur la reconnaissance de la nation québécoise «au sein d'un Canada uni», Gilles Duceppe avait pris bien soin de d'obtenir la bénédiction des ténors de la souveraineté au Québec.
Dès jeudi soir, a appris La Presse, M. Duceppe et ses principaux lieutenants ont consulté plusieurs alliés politiques, multipliant les appels, notamment aux anciens premiers ministres Jacques Parizeau, Bernard Landry et Lucien Bouchard. Hier matin, Gilles Duceppe s'est également entretenu avec le chef du Parti québécois, André Boisclair.
Jusqu'à tard dans la nuit de jeudi à vendredi, l'état-major du Bloc a également consulté les Jean Royer, Jean-François Lisée et Gérald Larose, sans compter le bureau national de la formation politique, plusieurs députés et des éditorialistes de la presse écrite.
«Nous avons fait le tour du jardin pour être bien sûrs que nous avions l'appui de tout le monde», a confié à La Presse un stratège proche du chef.
Il est à noter que les bloquistes ont dû faire preuve de persuasion face à certains de leurs alliés qui, la veille, avaient condamné la motion du premier ministre canadien. C'est le cas par exemple de Gérald Larose, le président du Conseil de la souveraineté, qui a dénoncé jeudi le peu de sincérité de la motion de M. Harper. Il avait toutefois ajouté qu'elle allait faire avancer le débat. [Hier, M. Larose a publié un communiqué pour déclarer qu'il se rangeait à la décision de Gilles Duceppe.->3037]
Fort de cet appui, confirme notre source, M. Duceppe a téléphoné hier matin à 6 h 38 à un de ses principaux conseillers. Il n'avait qu'une chose à lui dire : «On y va, on retourne à Ottawa.» Un peu après 10 h, le chef du Bloc - qui est rarement au parlement le vendredi - a pris la parole à la Chambre des communes pour annoncer, dans un geste tout à fait inattendu, que son parti faisait volte-face et qu'il appuyait la résolution du premier ministre du Canada.
Étant donné la portée historique de la reconnaissance de la nation québécoise par le Canada et le caractère du vote de lundi, qui s'annonce unanime, il n'était pas question que le Bloc, selon un de ses hauts responsables, «fasse cela dans le dos» de ses alliés.
Même si, la veille, Gilles Duceppe avait dû se rendre dans la circonscription Honoré-Mercier pour assister à un cocktail-bénéfice, il a passé tout le reste de la soirée, jusqu'à minuit, au téléphone avec ses conseillers et diverses personnalités du mouvement souverainiste.
Il a aussi consulté des constitutionnalistes qui l'ont convaincu que la motion de M. Harper, même si elle contient l'expression «au sein d'un Canada uni», n'enlève absolument rien au concept de nation québécoise et à la capacité du Québec de devenir un jour un pays souverain.
Ce feuilleton, qui est loin d'être terminé, a en fait commencé l'été dernier, lorsque le Nouveau Parti démocratique a adopté en congrès une résolution reconnaissant la nation québécoise. Lors des fêtes de la Saint-Jean, le premier ministre Harper s'était aussi présenté à Québec en refusant de reconnaître que les Québécois formaient une nation - une décision qui avait mécontenté certains de ses élus québécois. Il y a eu encore ces derniers jours les déchirements sur l'existence de la nation québécoise au sein même du Parti libéral du Canada, dont l'aile québécoise du PLC met de l'avant une motion en ce sens afin qu'elle soit débattue au prochain congrès général. «Alors que tout le monde parlait de cette question, que le débat se faisait au Canada, le Bloc a réalisé qu'il était en dehors de la mêlée. Comment était-ce possible?» raconte un proche de M. Duceppe.
C'est à ce moment, il y a une dizaine de jours, que Gilles Duceppe a décidé de présenter une motion de son cru à la première occasion.
Le premier objectif du Bloc était que le Parlement du Canada reconnaisse ou rejette la notion de nation québécoise, «point, à la ligne». «Alors on a rédigé la motion comme ça, sans artifice, sans condition. Ça allait être propre. Il n'y aurait pas d'excuses. Ça allait être oui ou ça allait être non», raconte le stratège.
Le Bloc présente donc sa motion mardi, 48 heures avant la journée d'opposition qui lui est réservée, le jeudi. Le lendemain, vers 13 h 15, l'équipe de Gilles Duceppe apprend que M. Harper va faire une déclaration en Chambre à 15 h. Le Bloc s'attendait à ce que M. Harper annonce, après un grand discours, qu'il allait voter contre la motion du Bloc. Le premier ministre, contrairement aux traditions parlementaires, n'avait pas informé le Bloc du contenu de son intervention, c'est-à-dire de sa motion sur la nation «au sein d'un Canada uni».
«On nous l'a joué dans le dos», raconte le stratège bloquiste. Les libéraux et le NPD avaient reçu, eux, le libellé de la motion du premier ministre. Ils avaient même été consultés la veille.
Gilles Duceppe est obligé de réagir sur-le-champ aux Communes, à froid. Le Bloc décide alors de se donner un peu de temps pour voir où ira la motion de M. Harper. «On a laissé rouler la rondelle pour voir ce qui allait arriver avec les candidats à la direction du Parti libéral», raconte le stratège.
Les bloquistes ne s'attendaient pas à ce que Stéphane Dion et Bob Rae embarquent avec Harper. Les deux hommes s'étaient jusque-là toujours opposés à rouvrir cette discussion sur la nation. Jeudi soir, Bob Rae déclare qu'il est pour la résolution.
Il y a donc consensus, constate le Bloc jeudi soir; tous les fédéralistes à la Chambre des communes acceptent de reconnaître la nation québécoise. L'état-major du Bloc pense que les fédéralistes ne réalisent pas ce qu'ils sont en train de faire.
«Dans le fond, tout ce que les fédéralistes voulaient faire, c'est nous jouer un tour, c'était reconnaître la nation en pensant que nous voterions contre, ce qui leur aurait permis par la suite de faire campagne au Québec en disant que le Bloc avait rejeté la reconnaissance de la nation», estime le stratège bloquiste.
Le Bloc a donc attendu que les fédéralistes soient tous d'accord entre eux; il a attendu que les conservateurs présentent hier matin à 10 h la motion annoncée la veille par le premier ministre. «Nous voulions être certains du libellé de la motion une fois celle-ci déposée», affirme un responsable.
Et en guise de prime inattendue, ajoute ce responsable, le député libéral Mauril Bélanger rend encore un grand service au Bloc en posant dès hier matin la question préalable, une procédure qui interdit désormais tout amendement à la motion de M. Harper.
«La cage à castors était fermée!» conclut, triomphant, notre stratège. «Ce sont eux qui ont fermé le débat en pensant que la trappe allait se refermer sur nous. Mais elle s'est refermée sur eux. Le Canada reconnaîtra lundi la nation québécoise.»


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