L'an dernier, ceux qui voient la ville en rose, en particulier quand il est question de langue, étaient tombés à bras raccourcis sur Le Journal de Montréal, dont une enquête avait révélé qu'il était très facile d'être engagé dans un commerce du centre-ville sans parler un mot de français.
Il était de bon ton de fustiger cette incorrigible feuille de chou qui avait monté en épingle des données qui n'avaient rien de scientifique, tripoté les chiffres, caché le nom des établissements prétendument fautifs, etc.
Même si la grand majorité des commerces compte moins de 50 employés et, de ce fait, n'est pas soumise aux dispositions de la Charte de la langue française, il demeurait pourtant assez choquant de constater que 55 établissements sur 97 étaient disposés à embaucher la journaliste, qui se disait unilingue anglaise.
Heureusement, une étude récente du Conseil québécois du commerce de détail avait permis de trouver une explication autre que le manque de respect pour le français. Déjà, les propriétaires de commerce avaient du mal à recruter du personnel et l'enquête du Journal avait été menée durant la période des Fêtes, ce qui pouvait expliquer qu'ils aient tourné les coins un peu rond. Il était également possible que les francophones abandonnent aux nouveaux arrivants ces emplois souvent mal rémunérés.
Curieusement, malgré cette pénurie de personnel, il semble que de nombreux commerces du centre-ville boudent les francophones unilingues. Seulement 8 établissements sur 97 avaient jeté la demande d'emploi de la journaliste, alors qu'elle se prétendait unilingue anglaise, mais 20 sur 101 lui ont opposé une fin de non-recevoir, quand elle s'est transformée en unilingue française. Sans doute une fâcheuse conséquence du ralentissement de l'économie.
«Ce n'est pas normal que tout le personnel doive être bilingue, même à Montréal», a commenté le président du Conseil supérieur de la langue française (CLSF), Conrad Ouellon. M. Ouellon a tout à fait raison, mais ce que montre l'enquête du Journal est bien pire: pour trouver un emploi dans un commerce du centre-ville, il est plus important de savoir parler l'anglais que le français.
Alors que l'article 4 de la Charte de la langue française stipule que «les travailleurs ont le droit d'exercer leurs activités en français», il est plutôt inquiétant d'apprendre du président du CSLF qu'il existe peu de données permettant d'évaluer dans quelle mesure la connaissance de l'anglais est exigée dans les entreprises québécoises.
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Même au plus fort de la lutte féroce qu'il livrait aux souverainistes, Stéphane Dion n'a jamais cessé de vanter les mérites de la loi 101, qu'il a toujours perçue comme une condition de l'unité canadienne.
Dans un article publié en 1991 sous le titre «Le nationalisme dans la convergence culturelle», le professeur Dion avait expliqué que la modernisation de la société québécoise depuis la Révolution tranquille avait effacé l'essentiel des différences culturelles entre le Québec et le reste du Canada, sauf sur un point: la langue.
Pour la réussite de leur projet, il recommandait aux souverainistes de «faire en sorte que la vigilance linguistique soit clairement perçue comme leur apanage». Inversement, le camp fédéraliste avait intérêt à «sécuriser le Québec francophone en lui donnant les meilleures garanties linguistiques possibles».
Dix-sept ans plus tard, ces remarques n'ont rien perdu de leur pertinence. Quand on arrive à distinguer l'essentiel de l'accessoire, c'est la question linguistique qui demeure le fondement du projet souverainiste.
Quoi qu'en pense Gilles Duceppe, sur des enjeux comme la santé, l'économie, l'environnement, l'Afghanistan ou le financement public de la culture, les «valeurs québécoises» ne sont pas si différentes de celles des autres Canadiens. Ultimement, la présence du Bloc québécois à la Chambre des communes n'a de sens que dans la mesure où il est l'expression politique d'une «nation» de langue française, mais cela devrait largement suffire à justifier son existence.
Jusqu'à présent, les tentatives du Bloc d'introduire la question linguistique dans la campagne fédérale ont fait long feu. Depuis un an, son projet de loi visant à forcer les organismes fédéraux et les entreprises assujetties au Code canadien du travail à respecter les dispositions de la loi 101 n'a pas eu beaucoup d'écho dans la population, même si cela concerne 240 000 travailleurs sur le territoire.
Une enquête comme celle du Journal de Montréal a l'avantage de présenter les choses de façon concrète, en démontrant que, dans le cadre constitutionnel actuel, le français n'a pas suffisamment de poids pour s'imposer au centre-ville.
Certes, la langue de travail dans les commerces ne relève pas d'Ottawa, mais l'important est le message qui est envoyé. Par la Loi sur les langues officielles et la politique du multiculturalisme, le gouvernement fédéral agit comme un contrepoids à la Charte de la langue française. Notez bien qu'en dépit de ce qu'il écrivait en 1991, Stéphane Dion a voté contre le projet du Bloc québécois au printemps dernier.
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mdavid@ledevoir.com
Downtown
Par la Loi sur les langues officielles et la politique du multiculturalisme, le gouvernement fédéral agit comme un contrepoids à la Charte de la langue française.
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