Discipliner les chiffres partisans

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La technocratie gestionnaire toute-puissante contre le politique

Le sujet n’a rien de bien érotisant : ça a rapport aux chiffres. Mais j’insiste : c’est très important!


Quoi? Les cadres financiers. Dans la prochaine campagne électorale, chaque parti va en déposer un. C’est devenu une sorte de rituel, un moment fort auquel nulle formation sérieuse ne peut échapper.


Il s’agit d’un essai budgétaire qui donne une vue d’ensemble des promesses de chaque parti, de leurs coûts, des manières de les financer.


Pour reprendre une expression chère au Parti libéral, c’est un «test de crédibilité».


Il force les formations politiques à faire un exercice de cohérence en agençant toutes les promesses égrenées tout au long de la campagne.


«Ce sont les pièces du puzzle que chaque parti doit mettre ensemble», a bien illustré l’économiste Jean-Pierre Aubry, ancien de la Banque du Canada, lors d’une journée de réflexion (à laquelle j’ai participé) vendredi au campus de Longueuil de l’Université de Sherbrooke (UdS).


Travailler comme reporter lors de la présentation d’un cadre financier — ça m’est arrivé à quelques reprises — n’est pas un exercice très agréable.


On sait d’avance que les colonnes des dépenses et des revenus qu’on nous présentera ce jour-là s’équilibreront comme par magie. C’est arrangé avec le gars des chiffres...


Encadrer les cadres


Dans ces moments, je tente de me calmer en me rappelant la phrase de l’historien et philosophe français Raymond Aron : le politicien «a rarement de la conjoncture un savoir qui autorise la combinaison rigoureuse de moyens en vue de fins. Ils parient et ne peuvent pas ne pas parier».


Voilà : les cadres financiers sont, en grande partie, des paris. Il faut en être conscient.


Mais des paris, ça s’encadre ! Or actuellement, chaque parti présente les chiffres comme il le souhaite, donc n’importe comment. Les nombreuses disparités entre les cadres rendent les comparaisons difficiles.


Pour que vous, électeurs, votiez en toute connaissance de cause, il faudrait pouvoir bien contraster les cadres, comparer des comparables avec précision.


D’où l’idée brillante de l’Association des économistes québécois (ASDEQ) et de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques (CRFFP) de l’UdS du professeur Luc Godbout : encadrer les cadres!


Forcer chaque parti à faire entrer ses prévisions financières, l’évolution des revenus, des dépenses, etc. dans un cadre préétabli portant sur le même nombre d’années : cinq. L’ASDEQ a déjà envoyé son document Excel aux 18 partis officiels au Québec!


(Cela s’ajouterait à l’autre nouveauté de 2018 qui pourrait faire progresser le débat électoral : le rapport préélectoral du ministère des Finances sur lequel la Vérificatrice générale donnera son avis le 20 août.)


Pour leurs cadres financiers, les partis accepteront-ils la proposition des économistes? L’ancien politicien Bernard Drainville, lorsque j’ai abordé le sujet à la radio, hier, se montrait sceptique.


Les stratèges préféreront se garder une réserve de flou, prédit-il. Ce serait très dommage. Espérons qu’ils opteront au contraire pour cette transparence qu’ils disent tant aimer par ailleurs...