Au lendemain de l'accession de Stéphane Dion à la tête du PLC, convenait-il d'être saisi de stupeur? L'événement était-il si inattendu, si déconcertant, comme semblait le croire tout le monde? Peut-être que notre ébahissement provenait du fait que nous, Québécois, n'avions ni le goût ni l'envie, d'une part, de prendre acte de l'état d'esprit du Canada anglais à notre égard et, d'autre part, de prendre la mesure de l'incrustation, au sein du PLC, de la vision invariable d'un État central puissant et transcendant. La clairvoyance nous effraie et la lucidité nous angoisse. Le choix de Stéphane Dion aura-t-il pour effet de nous dessiller les yeux et de mettre un terme à notre aveuglement volontaire? On verra bien!
Il faut dire que le principal mérite du débat sur l'existence de la nation québécoise aura été de nous montrer que le Canada anglais, de façon très majoritaire, considère toujours (après trois référendums) que le Québec est une province comme les autres et que la plus insignifiante reconnaissance de la spécificité québécoise est une aberration politique. Il faudra bien, un jour, se rendre à l'évidence: le "love-in" de 1995, à la veille du référendum, ne fut qu'une brève amourette de circonstance. Le gouvernement du Québec, aujourd'hui encore, ressortirait du classeur l'Accord du lac Meech que le train constitutionnel déraillerait aussitôt. Le plus minuscule effort visant à considérer les Québécois comme un peuple est irrémédiablement voué à l'échec. Et, quand on s'efforce de comprendre la dynamique d'édification de la nation canadienne ("nation building"), en cours depuis la Seconde Guerre mondiale, tout devient clair.
On se doit alors de constater que la théorie des deux peuples fondateurs et de l'État bi-national est un mythe qui n'a aucune résonance ni signification au Canada anglais. C'est une pure légende. Pour les Canadiens anglais, les Québécois constituent tout au plus une grosse minorité linguistique, remuante et vindicative.
Vision dominante
Or, cette vision, dominante au Canada anglais, a toujours été portée et incarnée par le Parti libéral et, de façon exemplaire, par Pierre Elliott Trudeau et Jean Chrétien. Les libéraux étaient (et sont toujours) si profondément convaincus de la justesse et de la vérité de cette conception du Canada qu'ils n'ont pas trouvé répréhensible l'utilisation massive de fonds publics, afin de nous incruster dans le cerveau leur vision du Canada. Ce fut le scandale des commandites dont on a fini par oublier les origines profondes; nous nous sommes laisser distraire par ses péripéties croustillantes.
Le choix de Stéphane Dion comme chef du PLC apparaît, dans ce contexte, comme l'expression de la volonté des libéraux de maintenir la lignée et d'assurer la filiation en matière d'"unité nationale". Trudeau-Chrétien-Dion, même combat, même vision! Le Canada anglais devait à tout prix bloquer la dérive autonomiste préconisée par Ignatieff.
Lune de miel
Nous sommes maintenant dans la séquence "opération charme". Avec la complaisance des médias, toujours acquise en période traditionnelle de lune de miel, tout est mis en oeuvre pour humaniser ce personnage austère, rigoriste et ayant autant de charisme qu'un iceberg, qu'a toujours été Stéphane Dion! On évoque son enfance, on parle à sa maman, on braque les projecteurs sur son épouse, on se souvient de son père, intello tourmenté, on range son armure de Chevalier du Canada uni et on lui fabrique une image d'écolo de choc.
Pendant combien de temps va-t-on réussir à laisser au vestiaire son catéchisme d'ardent missionnaire d'un fédéralisme arrogant et dominateur?
À mon avis, il ne devrait pas tarder à sortir ses réprimandes anti-séparatistes. N'oublions pas qu'il est un des rares fédéralistes à être profondément convaincu que la fédération canadienne est l'une des plus décentralisée au monde. Ce qui n'est pas banal!
Stephen Harper n'a qu'à présenter un budget comportant des baisses massives d'impôts assorties d'un projet convenable de règlement du déséquilibre fiscal, et vous verrez vite surgir le vrai Stéphane Dion, inflexible, rigide et arrogant.
Pour le moment, les Québécois semblent frappés d'amnésie collective; ils ne voient en lui qu'un des leurs, sympathique, intelligent, habile et compréhensif.
Il n'y a pas à dire, du subconscient d'un peuple surgissent parfois des pulsions et des réactions stupéfiantes.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé