Économie

Dîner sur le Titanic

Et si 2008 était l’année Titanic de l’économie américaine ! Est-ce que M. Jean Charest sera « prêt » ?

Chronique de Jean-Claude Pomerleau

M. Jean Charest veut mettre l’accent sur l’économie en 2008, il n’aura jamais si bien dit.
Économie ou identité québécoise, il semble que les deux soient
incompatibles selon les libéraux, qui s’y connaissent en économie comme on
le sait. C’est du moins ce qu’il veulent nous faire croire. D’ailleurs
leurs performances au pouvoir en sont la meilleure garantie : en 2003, ils
se sont faits élire sur une promesse de baisse d’impôt annuelle d’un
milliard. Cette promesse, qui s’appuyait sur un cadre financier validé par
4 experts, ne s’est pas réalisée, comme on le sait. Que s’est-il passé ? La
raison qui expliquerait cette déconvenue, selon un des experts qui a validé
ce cadre économique, M. Philip Merrigant, est que : [« la croissance
économique a été un peu plus faible que prévue. (…) Les projections du plan
étaient faites sur la base des revenus publiés à l'époque, soit en 2002. »->http://www.ledevoir.com/2007/02/21/commentaires/0702211323028.html ]

Notons que l’économie du Québec, qui était au-dessus de la moyenne
canadienne sous le PQ, est passée sous cette moyenne sous les libéraux. La
conjoncture, comme on dit en Afrique pour expliquer l’inexplicable.
Laissant à ses adversaires politiques la mission de défendre la culture
québécoise, M. Jean Charest a plutôt choisi de faire de 2008 une année de
priorité économique. Il nous reste à espérer que cette fois, il pourra dire
avec conviction : « Nous sommes prêts. » Parce qu'un méchant défi l’attend
: l’année 2008 risque d’être une année beaucoup plus sombre que ce que les
experts et analystes avaient prévu.
L’économie américaine devient une source d’inquiétude grandissante ; il
semble que la crise des crédits hypothécaires commence à contaminer les
institutions financières, ce qui risque de mettre à mal l’ensemble du
système économique, non seulement américain, mais bien planétaire. C’est du
moins l’impression que nous donne ce lundi (21-01-2008), au moment où les
marchés asiatiques et européens réagissent mal (baisse de 5 %) au Plan de
M. Bush pour contrer la crise qui s’annonce : trop peu, trop tard. Mais à
quoi d’autre s’attendre de celui-là même qui a créé cette crise.
Et si 2008 était l’année Titanic de l’économie américaine ! Est-ce que M.
Jean Charest sera « prêt » ?
Comme le Québec exporte 30 % de son PIB et que 80 % va aux États-Unis, il
serait peut-être temps de s’interroger sérieusement sur cette crise qui
semble prendre une ampleur que la plupart des experts et analystes semblent
incapables de mesurer. L’exemple le plus patent, le cas de [ce
prévisionniste de Wall Street qui, se fiant à son logiciel->http://www.marketwatch.com/news/story/merrill-estimates-shows-how-difficult/story.aspx?guid=%7B0A2525B1%2D18C0%2D4F4A%2D8F65%2D19559CCA9605%7D] (2), avait prévu
des profits pour une banque qui a en fait déclaré des pertes de plus de 10
milliards au trimestre début janvier. Méchant choc pour l’ego de l’analyste
en question !
Puisque ces experts et analystes s’autorisent une telle marge d’erreur et,
pendant que nos propres analystes semblent dormir à l’étage, il me vient
l’idée d’y aller de mes propres considérations sur ce qui s’annonce et...
non, ce n’est pas beau. Ce qui me guide au départ, c’est qu’il vaut mieux
prévoir le pire pour mieux y faire face, que de baigner dans le jovialisme
d’un dîner sur le Titanic.
Après tout, pourquoi achète-t-on une assurance pour sa maison ? Et
pourquoi y a-t-il des canots de sauvetage sur les bateaux de croisières ?
En fait il n’y en avait pas assez sur le Titanic.
La crise découle de la correction par le marché de la bulle immobilière
américaine, qui fut causée par la politique des bas taux d’intérêt de la
FED (M. Greenspan, s’étant transformé en activiste politique pour favoriser
le financement de la guerre en Irak et la réélection de son ami M. Bush, en
2004) ; ajoutez à cela le relâchement des conditions de crédit (!), et
vous avez les conditions objectives pour que la bulle immobilière surgisse.
Et comme le taux d’intérêt est demeuré anormalement bas suffisamment
longtemps (2003-2004), cette bulle a gonflé.
Les marchés produisent de ces bulles selon les cycles et les corrigent
plus ou moins péniblement. Ces corrections se font dans les mesures de
l’amplitude de ces bulles. Ce qu’il y a de particulier dans le cas de la
bulle immobilière américaine, c’est qu’elle est d’une amplitude jamais
égalée et que la correction en sera dans cette exacte mesure. La crise du
crédit (immobilier) : Il y a 45 millions de maisons aux États-Unis, 2
millions sont déjà saisies, et ce nombre passera à 3,7 millions dans
l’année qui vient. Cette crise devient une crise des institutions
financières ; la qualité d’une partie des 40 000 milliards de dollars de la
dette cumulée par les gouvernements, les entreprises, et les individus aux
États-Unis, en est affectée. Ce qui remet en question le système financier
lui-même. Cela devrait mener à une crise de plus grande magnitude que celle
de la Grande Dépression de 1929 : la Très Grande Dépression US.
C’est ce que prévoit le Global Europe Anticipation Bulletin (GEAB), et
pendant que nos experts et analystes s’interrogent sur une possible
récession, cet organisme y voit une « phase » du déroulement d’une crise du
système financier international, commencée depuis un bon moment déjà.
Voici
leur communiqué le plus récent :
« Phase de plein impact global de la Très Grande Dépression US

-- Communiqué public GEAB N°21 (15 janvier 2008) -
Il y a un an, LEAP/E2020 annonçait que 2007 marquerait l'entrée des
États-Unis dans ce que notre équipe avait appelé, « la Très Grande
Dépression US ». À l'époque, l'esprit dominant était largement euphorique.
Le mot « subprime » était inconnu du grand public et les experts estimaient
que la crise immobilière américaine resterait sans conséquence pour le
reste de l'économie américaine (les mêmes se refusant à simplement imaginer
qu'elle puisse avoir un impact global).
Au cours de l'année 2007, les faits ont pourtant largement démontré qu'une
crise systémique globale était bien en train de mettre à bas tous les
fondamentaux sur lesquels repose l'économie mondiale depuis 1945. Et, comme
décrit dans le GEAB N°17 en Septembre 2007, les sept séquences de la phase
d'impact de la crise systémique globale vont bien atteindre simultanément
leur pic au cours de l'année 2008.
L'un des aspects, et tout à la fois l'un des catalyseurs, de cette crise
systémique globale, est bien l'entrée des États-Unis en 2007 dans une crise
socio-économique sans précédent, touchant durement les ménages via
l'explosion de la bulle immobilière et leur insolvabilité croissante ainsi
que les opérateurs financiers du fait de l'évaporation pure et simple de la
valeur de plusieurs centaines de milliards USD d'actifs.
À ces deux catégories d'acteurs américains, 2008 va ajouter les
entreprises qui vont être prises en tenaille entre le « credit crunch » et
l'effondrement de la consommation des ménages ainsi que l'ensemble des
institutions publiques dont les revenus fiscaux s'effondrent. En
particulier d'ici l'été 2008, la crise financière initiée par les prêts
immobiliers américains « subprime » va se transformer en une crise de
beaucoup plus grande ampleur avec l'implosion du marché des Credit Default
Swaps (CDS). Cela marquera un nouveau point d'inflexion de la phase
d'impact de la crise systémique globale. (….) ».


Il serait peut être temps que nos experts et analystes économiques
s’abonnent au bulletin du GEAB, je serais anxieux de connaître la suite car
cette crise s’annonce pour la durée et elle commandera des stratégies
d’état d’envergures à condition d’abord de savoir qu’elle existe.
***
[À cet effet se tiendra jeudi à Davos une rencontre d’une grande importance
pour la suite des choses->http://www.marketwatch.com/news/story/credit-crisis-looms-large-over/story.aspx?guid=%7B77C864B4%2D844C%2D4342%2DA9A3%2DDB86927E25DC%7D], entre le Secrétaire au Trésor américain (M. Henry
Paulson) et le Président de la Banque Centrale Européenne (BCE) (M. Jean
Claude Trichet). Le thème de la rencontre :
“Systemic financial risk”. Toutes divergences entre les Banques
centrales sur un plan concerté pour contingenter la crise serait très
inquiétantes pour la suite de l’histoire.
Mais le Québec n’a pas à s’inquiéter puisque que M. Jean Charest, aidé de
son ministre M. André Bachand, veille au grain et ne semble pas s’en faire
avec une éventuelle récession... Quelle récession ? « M. Charest a
toutefois souligné que ce qui se produit aux États-Unis en ce moment est un
« ralentissement » économique qui ne dégénérera pas nécessairement en «
récession ». ». La définition de la récession, comme le prix de la pinte de
lait, M. André Bachand, c’est le cas de le dire, il s’en « sacre ».
Comme le temps passe vite, c’est déjà l’heure du lunch… Allons dîner
André.
Ce n’est pas tous les jours que l’on dîne sur le Titanic.
Jean Claude Pomerleau





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    31 janvier 2009

    The Guardian fait une liste de 25 responsables de la crise. M Greenspan est au haut de la liste; pour exactement les 2 raisons évoquées dans mon texte:
    http://www.guardian.co.uk/business/2009/jan/26/road-ruin-recession-individuals-economy
    jcpomerleau

  • Archives de Vigile Répondre

    13 mai 2008

    !3 Mai 2008.
    Un excellent résumer de la situation, en anglais:
    "How this crisis develops
    First, US mortgages default, Jan to June 07. Then, the credit securities back of them collapse in value July 07 to present. Then the banks and others holding these have to take huge losses/writedowns. Then those institutions have to raise capital. Then credit insurers have to pay off (coming in the next several months). Then as they go bankrupt, all the rated securities they insure will be downgraded, as the supposed insurance that was purchased is now worthless, as the insurer is insolvent. Then a new cycle of losses as the newly downgraded credit securities have to be marked down.
    Then - here is the rub – banks and such have to stop lending, and you get a system wide freeze of new credit. We are right in the middle of this part. HSBC, for example, has stated they are going to pull back lending in the US, as they have been badly hit in the mortgage markets. Consider this, and see credit contraction in the US increasing across lenders. As I said, Citi stated they need to raise $30 billion of capital.
    Main source of credit now totally dead
    What's more, the source of most of the credit in the last 5 years, securitized credit, is literally disappearing. As that entire sector becomes discredited, the source of most of the money coming into the world's bubble economies, securitized debt, is drying up.
    As banks are forced to raise capital and stop lending, consumers find new credit hard to get or not available at all. The same goes for businesses. You then get system wide credit collapse, and the resultant collapse in economic growth. And if no recovery is made quickly, you get a depression. Not a recession, a depression, due to collapsing economic demand."
    (http://www.opednews.com/articles/opedne_chris_ri_080510_the_great_depression.htm
    JCPomerleau

  • Archives de Vigile Répondre

    25 janvier 2008

    Correction: Non pas André Bachand mais bien Raymond Bachand.
    jcp