Des leçons du référendum grec de 2015 sur la dette pour les indépendantistes et pour tous ceux qui luttent contre le néolibéralisme

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Souveraineté : de l'idéalisme à la realpolitik

Le bilan des événements en Catalogne constituera certainement un trésor d’enseignements pour les indépendantistes québécois. Déjà, à moins d’avoir la naïveté de croire au « fair-play britannique » du Canada anglais, il est difficile d’imaginer une indépendance se réalisant sans une formidable mobilisation populaire et un contexte international favorable. Le 50%+1 est peut-être juridiquement suffisant, mais de toute évidence insuffisant du point de vue politique.


En attendant ce bilan exhaustif, il n’est pas inintéressant de revenir sur les événements, qui ont mené au référendum de 2015 sur la dette en Grèce, avec en toile de fond l’affrontement entre le gouvernement de Syriza et la troïka (Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI)). Tous ceux qui luttent contre le néolibéralisme et pour la défense de la souveraineté nationale peuvent y trouver matière à réflexion.


Ces négociations sont l’objet du livre « Conversations entre adultes. Dans les coulisses secrètes de l’Europe » (LLL) de Yanis Varoufakis, ministre des Finances dans le gouvernement d’Alexis Tsipras, qui a conduit les négociations sur la dette grecque jusqu’à sa démission au lendemain du référendum du 5 juillet 2015.


Déjà, en 2016, Varoufakis avait mis la table dans un livre remarquable « Et les faibles subissent ce qu’ils doivent? Comment l’Europe de l’austérité menace la stabilité du monde » (LLL). Dans la conclusion de ce livre, il promettait une plongée dans les arcanes du pouvoir européen. Promesse tenue avec « Conversation entre adultes »!


L’économiste avait prouvé, dans le premier livre, qu’il était un excellent vulgarisateur. L’homme politique, qu’il est devenu en tant que ministre des Finances, est aussi un brillant conteur. En plus de nous expliquer simplement comment le refinancement de la dette grecque n’était rien d’autre qu’une vaste opération visant à renflouer les banques européennes sur le bord de la faillite, il dévoile les pourparlers secrets entourant cette tragédie.


Au départ, Varoufakis reprend les thèses de son livre précédent. Il y a, écrit-il, bien entendu, « l’insuffisance du développement, la mauvaise gestion et la corruption endémiques de la Grèce qui expliquent sa fragilité économique permanente ». Cependant, « son insolvabilité, plus récente, est due aux défauts de fabrication fondamentale de l’Union européenne et de son union monétaire, autrement dit l’euro », soutient-il.


Il résume la situation ainsi : « Tant que la drachme (la monnaie grecque) était sous-évaluée, les déficits étaient maîtrisés. Mais le jour où la drachme a été remplacée par l’euro, les prêts des banques françaises et allemandes ont envoyé les déficits grecs dans la stratosphère ».


Puis, « le credit crunch (la pénurie de crédit) de 2008 qui a suivi l’effondrement de Wall Street a mené à la faillite des banquiers européens, qui ont cessé d’accorder des prêts en 2009. Incapable de refinancer ses dettes, la Grèce a sombré dans l’insolvabilité un peu plus tard cette année-là. Tout à coup, trois banques françaises se sont retrouvées confrontées à des pertes dues à une dette périphérique au moins deux fois plus importante que toute l’économie française ».


Pour bien comprendre le script des différents acteurs de la tragédie qui allaient se jouer, il est nécessaire de présenter les éléments suivants :


« Si le gouvernement grec ne pouvait assurer ses remboursements, les banquiers du monde entier auraient la frousse et cesseraient de prêter à l’État portugais, voire aux États italien et espagnol, de peur qu’ils ne soient les prochains à avoir trop d’arriérés » et ces trois pays auraient alors été soumis à une forte pression pour rembourser leurs prêts aux trois grandes banques françaises, à défaut de quoi elles se seraient retrouvées insolvables.


Varoufakis enchaîne en expliquant ce qui constitue, selon lui, le problème majeur de l’Union européenne.


« Pour combler le fossé, le gouvernement français aurait eu besoin de 562 milliards d’euros sur-le-champ. Mais, contrairement au gouvernement fédéral des États-Unis, qui peut transférer ce type de pertes sur sa banque centrale (la Fed), la France a démantelé sa banque centrale en 2000, lorsqu’elle a adopté la monnaie commune, et elle a été obligée de s’en remettre à la bonté de la banque commune de l’Europe, la Banque centrale européenne. Hélas, la BCE a été créée suivant un principe intangible : il est interdit de transférer les créances irrécouvrables gréco-latines, publiques ou privées, sur les comptes de la BCE. Point barre. Telle était la condition imposée par l’Allemagne, pour partager son cher Deutschmark avec les pique-assiette de l’Europe et lui donner le nom d’euro. »


Donc, incapable de dévaluer sa monnaie, ne restait qu’une issue à la Grèce : l’austérité. Le gouvernement grec a donc procédé à des compressions extrêmement draconiennes dans les services publics, les retraites et les emplois, en plus de privatisations tous azimuts.


C’est dans ce contexte qu’est arrivé au pouvoir en janvier 2015 le parti de gauche Syriza, dirigé par Alexis Tsipras, avec des échéances de remboursements à court terme de la dette qu’il ne pouvait rencontrer. Tsipras a demandé à Yanis Varoufakis, qui enseignait alors à Austin au Texas, de faire partie de son gouvernement à titre de ministre des Finances. Pour sortir la Grèce du pétrin, Varoufakis avait développé un plan, axé principalement sur le rééchelonnement de la dette. Le plan ne prévoyait pas la sortie de la Grèce de la zone euro, mais ne l’excluait pas en dernier recours s’il devenait impossible de s’entendre avec la troïka.



L’Allemagne mène le jeu


Ce sont ces négociations que Varoufakis décrit dans le détail. On y voit l’hypocrisie des représentants français, tels le ministre des Finances Michel Sapin et le commissaire européen Pierre Moscovici. Le premier se montre sympathique aux propositions de Varoufakis en privé avant de tenir des propos contraires quelques minutes plus tard en conférence de presse, alors que le deuxième s’écrase devant les politiciens allemands, illustrant bien le rapport de force qui prévaut au sein de l’Union européenne.


La figure dominante de ce ballet de négociations est le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble, entouré de ses « cheerleaders » – comme les appelle Varoufakis –, soit les ministres des Finances des pays d’Europe de l’Est. Schäuble a présenté à Varoufakis « sa théorie suivant laquelle le modèle social européen, ‘‘trop généreux’’ était intenable et bon à jeter aux orties ».


« Comparant le coût du maintien des États-providences avec la situation en Inde ou en Chine, où il n’y a aucune protection sociale, il estimait que l’Europe perdait en compétitivité et était vouée à stagner si on ne sabrait pas massivement dans les prestations sociales. Sous-entendu, il fallait bien commercer quelque part, et ce quelque part pouvait être la Grèce », raconte Varoufakis.


Une embellie apparaît quand Varoufakis convainc la Chine de s’engager à acheter 1,4 milliard d’euros de bons du Trésor de la Grèce en échange de l’accélération de la privatisation du port du Pirée. Mais, au moment prévu pour la transaction, il apprend que la Chine n’achète que pour 100 millions de bons. Que s’était-il passé? « Apparemment, rapporte Varoufakis, Berlin avait appelé Pékin avec un message clair : évitez de commercer avec les Grecs avant que nous en ayons fini avec eux » !!!


Wofgang Schäuble joue certes un rôle important, mais le véritable meneur du jeu est la chancelière allemande Angela Merkel. Elle réussit à écarter Varoufakis des négociations en proposant à Tsipras de mettre hors-jeu les deux ministres des Finances (Schäuble et Varoufakis). Rapidement, Tsipras passe sous sa coupe.


En désespoir de cause, après l’échec des négociations avec la troïka, Tsipras organise un référendum sur la proposition de la troïka. Le Non, c’est-à-dire le rejet de la proposition, l’emporte avec 61,3 % des suffrages. Cependant, selon Varoufakis, Tsipras et son cabinet souhaitaient plutôt une défaite !!! Aussi, à peine un mois plus tard, il cède sous la pression, trahit le mandat populaire et présente au Parlement un « plan de sauvetage », qui reprend les exigences de la troïka.


Comment expliquer ce revirement? La réponse réside peut-être dans ce passage du livre de Varoufakis : « Alexis (Tsipras) m’a dit quelque chose qui m’a vraiment surpris. Il avait peur qu’on nous inflige un sort à la ‘‘Goudi’’ – une référence à l’exécution de six responsables politiques et militaires en 1922. J’ai écarté cette idée en riant et lui ai répondu que, s’ils nous exécutaient alors que nous avions obtenu 61,3% des voix, notre place dans l’histoire était assurée. Puis il a laissé entendre qu’un coup d’État était possible, que le président de la République, Stournaras, les services secrets et des membres du gouvernement ‘‘se tenaient prêts’’ ».


Ce qui donne de la crédibilité à cette théorie est le fait qu’au cours des négociations, de faux rapports des services secrets laissaient croire que Varoufakis négociait avec Schäuble une sortie de l’euro – ce qui était faux – et qu’une campagne est toujours en cours pour réunir un tribunal spécial où il serait accusé de haute trahison! On ne s’attaque pas impunément à l’oligarchie financière.


Pour tous ceux qui abordent avec sérieux les questions politiques – et plus particulièrement l’accession du Québec à l’indépendance – la « conversation entre adultes » de Varoufakis est une lecture incontournable.