Des chiffres trompeurs

«De 50 à 60% des gens qui ont connu une période de faible revenu pendant une année n’étaient plus dans cette situation l’année suivante », note Michel Kelly-Gagnon.

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Canada - Propagande Canada


Des données alarmistes publiées par Statistique Canada ont permis à de nombreux médias de clamer, encore une fois, le 1er mai, que «les pauvres s'appauvrissent et les riches s'enrichissent».

Selon cette étude, le salaire médian des Canadiens, en dollars ajustés pour tenir compte de l'inflation, n'aurait augmenté que de 53$ de 1980 à 2005. Les 20% les plus pauvres n'auraient même pas bénéficié de cette maigre augmentation, puisque leur salaire réel aurait diminué de 20% pendant cette même période. Les 20% les plus riches quant à eux auraient vu leur salaire s'accroître de 16%.
Ces données ont suscité de nombreuses réactions qui ont permis d'apporter un éclairage beaucoup plus nuancé de la situation. D'ailleurs, Statistique Canada a publié une autre étude cinq jours plus tard contredisant en partie cette conclusion pessimiste. Malheureusement, les médias n'y ont pas porté la même attention.
Il est tout simplement faux de prétendre que les pauvres se sont appauvris au Canada depuis 25 ans, et ce, pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, les personnes qui sont pauvres d'une année à l'autre ne sont pas les mêmes. Chaque année, des étudiants et de jeunes travailleurs arrivent sur le marché du travail au bas de l'échelle et ont naturellement de bas salaires. Ils n'y restent pas longtemps.
En fait, de 50 à 60% des gens qui ont connu une période de faible revenu pendant une année n'étaient plus dans cette situation l'année suivante. Selon une analyse de Statistique Canada faite durant les années 90, si l'on observe la situation sur une période de six années, ce sont seulement 3,3% des Canadiens qui sont restés pauvres durant toute cette période.
Les données récentes de l'organisme fédéral doivent aussi être prises avec un grain de sel. Tout d'abord, elles ne tiennent compte que du salaire avant impôt, qui ne reflète pas vraiment le niveau de vie réel des gens. En effet, les plus pauvres paient très peu d'impôt et une partie importante de leur revenu total provient de programmes sociaux. Lorsqu'on inclut les transferts de l'État, la situation est bien différente. Les 20% les plus pauvres ont vu au contraire leur revenu médian passer de 21 100$ par année à 25 000$ aujourd'hui en dollars réels (donc en tenant compte de l'inflation).
La situation se complique encore plus lorsqu'on parle de ménages plutôt que d'individus. Comme 87% des Canadiens vivent au sein d'une famille, cette donnée est beaucoup plus pertinente que le salaire individuel pour évaluer la situation concrète des gens.
En effet, depuis 25 ans, les femmes ont continué à entrer en plus grand nombres sur le marché du travail. Et pendant ce temps, les hommes ont eu tendance à faire un peu moins d'heures, même ceux qui travaillent à temps plein. D'une certaine façon, il y a eu un transfert des sources de revenus au sein des familles.
Cette évolution a fait en sorte que le revenu salarial de toutes les familles n'a cessé de croître depuis 1980, même si les salaires des individus sont restés relativement stables. Pour reprendre le cas des deux extrêmes, les 20% les plus pauvres ont vu leur revenu familial augmenter de 15% en dollars réels de 1980 à 2005, alors que les 20% les plus riches bénéficiaient d'un gain de 23%. On parle ici des salaires uniquement, avant les autres transferts. Bref, le scénario marxiste d'une concentration toujours plus poussée de la richesse aux mains d'une petite élite paraît tout à coup bien moins évident!
Enfin, il faut relativiser la notion de «dollars réels». Même en ajustant ces montants pour tenir compte de l'inflation, lorsqu'on compare des données sur une période de plusieurs décennies, on ne parle plus de la même économie. Et cela fait une différence.
Un montant de 1000$ vous permet aujourd'hui d'acheter un ordinateur portatif, un écran de télévision plat, et beaucoup d'autres choses qui n'existaient pas il y a 25 ans. Avec le même montant de 1000$ (ajusté pour l'inflation) en 1980, ou même avec plus, vous n'auriez pu vous offrir aucun de ces biens et services qui contribuent à votre niveau de vie aujourd'hui.
À cause des échanges internationaux, des améliorations technologiques, de l'évolution relative des prix et de nombreux autres facteurs, la comparaison devient très difficile sur de longues périodes.
(Photo David Boily, La Presse)

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Michel Kelly-Gagnon
L'auteur est président du Conseil du patronat (www.cpq.qc.ca).


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