Radio-Canada change de ton

Le syndicat des journalistes s’inquiète des effets possibles sur l’information

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La descente aux enfers

Stéphane Baillargeon
Officiellement, selon les déclarations du service des communications, cette transformation ne cherche des effets concrets que dans le marketing et l’autopromotion du diffuseur. Un document du chef de la « stratégie du positionnement » énumère les secteurs touchés : « les autopublicités, les relations publiques, le graphisme, les communications interactives, les communications internes et le service à l’auditoire ».
Ce nouveau ton promotionnel fera son apparition sur différentes plateformes dans les prochaines semaines, d’abord à la radio en août, puis à la télé généraliste à la rentrée de septembre.
« Le chantier sur le changement de ton, c’est un chantier du secteur des communications qui est précisément axé sur les actions, les façons de communiquer auprès des auditoires pour être plus vivants et dynamiques, pour créer une plus grande proximité avec nos publics, explique Marie Tétreault, porte-parole de Radio-Canada. C’est un travail de l’équipe interne de l’autopublicité. »
Le ton journalistique
Seulement, selon plusieurs indices, la mutation devrait aussi affecter le ton des reportages et des émissions d’information. La direction réfléchirait par exemple à la possibilité d’accepter le tutoiement entre un animateur radio, ses collaborateurs ou ses invités afin d’introduire une atmosphère plus familière, comme celle qui prévaut sur les ondes privées. Il est également envisagé de systématiser les interventions en direct des reporters dans les créneaux d’information pour dynamiser le traitement de l’actualité, cette fois en s’inspirant du modèle qui prévaut déjà à RDI.
Les nouvelles émissions du matin et de fin d’après-midi dans la grille d’automne vont explorer à fond cette nouvelle manière de faire. Le 98,5 FM, principal et à vrai dire unique concurrent de la Première Chaîne à Montréal, utilise un ton moins gourmé. L’animatrice Marie-France Bazzo, qui remplacera René Homier-Roy à la barre de l’émission matinale montréalaise de la radio publique, a passé les dernières années comme chroniqueuse à Puisqu’il faut se lever du 98,5 et n’a jamais caché en avoir tiré des leçons.
Ces transformations appréhendées s’arriment évidemment au changement de nom imposé récemment pour les différents médias du diffuseur public. La volonté de modifier le branding de Radio-Canada autour de l’adverbe ICI a suscité un déluge de critiques et forcé des réajustements qui donnent notamment ICI Radio-Canada Première, ICI Radio-Canada Télé, ICI ARTV et ICI Explora.
La même idée explique ceci et cela, la direction voulant rajeunir et dynamiser son image. « C’est lié, c’est sûr,dit Mme Tétreault, en parlant du nom et du ton. Il faut maintenant trouver comment nous, aux communications, nous pouvons créer une proximité plus grande avec nos publics. »

On parle de quoi?

Mais qu’est-ce que le ton ? Un court texte envoyé récemment aux employés donne la réponse de Robert Baron, chef de la stratégie de positionnement. Pour lui, le ton, c’est aussi l’attitude, y compris celle des journalistes identifiés et nommés comme vecteurs potentiels d’un nouveau ton.
« Nous sommes à réfléchir sur une nouvelle attitude qui doit refléter ce que nous sommes en train de devenir, dit le chef Baron dans sa note intitulée Changer le ton !Le ton actuel de Radio-Canada est très fort. Un journaliste qui commence à travailler à l’information sait exactement quel ton il doit emprunter. Pour trouver un nouveau ton, il va falloir le nommer. »
Mme Tétreault est catégorique : ce virage ne concerne que la publicité ou la promotion et ne vise aucunement le contenu des émissions comme tel. « Le chantier qui s’appelle Changer de ton, dirigé par M. Baron, est directement applicable à nos outils de communication »,dit-elle.
Dans ce cadre, Robert Baron a dirigé en mai un « grand atelier » pendant lequel 45 personnes qui se sont « penchées sur la définition de ce nouveau ton ». Des exercices stimulés par un groupe d’animateurs professionnels ont permis de « commencer à cerner le ton futur des communications pour la Première Chaîne, la télévision et RDI », explique le même document qui ajoute que « les jeux permettaient de déterminer des qualificatifs de la chaîne et de créer un personnage qui pourrait exprimer toutes ces qualités ».
Le seul fait de consacrer des ressources à ce genre d’exercice désole le Syndicat des communications de Radio-Canada (SCRC), qui représente entre autres tous les journalistes du Québec et de Moncton. « Radio-Canada continue à gaspiller temps et argent à des balivernes, à des lubies de firmes de communications et de marketing, commente Alex Levasseur, président du SCRC, après avoir pris connaissance des intentions plus ou moins manifestes. Ça semble continuer. C’est désolant. Dans le contexte où nous avons toujours moins d’argent pour la programmation, nous, on dit d’arrêter de dépenser à toutes sortes de fins inutiles comme changer de ton. »
Il s’inquiète encore plus de la possibilité que cette transformation ait des effets sur le travail d’information de ses membres. « Le texte de M. Baron [cité par Le Devoir] fait référence aux journalistes,note le président. On veut quoi ? Un ton plus agressif ? Veut-on se démarquer ou ressembler encore et toujours davantage à la compétition ? Pour nous, c’est clair, si l’objectif est de changer le ton des médias pour aller dans le sens de la ressemblance avec nos compétiteurs, ça ne va pas. Nous pensons que le diffuseur public a un rôle à jouer en conservant son ton propre. »


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