Il ne s'appelle pas Mohamed, Rachid ou Mustapha. Il s'appelle Kimveer.

De nouveau, la machine de la stigmatisation et l'amalgame a été relancée

Québec - pluralité et intégration




Il ne s'appelle pas Mohamed, Rachid ou Mustapha. Il s'appelle Kimveer. Il n'est pas musulman. Son acte terroriste, posé deux jours après le 11 septembre dernier, ne se revendique d'aucune idéologie islamiste. Les experts invités dans les médias pour expliquer le geste horrible de ce jeune québécois de 25 ans, ne sont pas des analystes d'actes terroristes, mais des psychologues. Le mépris de la vie chez les uns s'explique mieux apparemment que chez d'autres !!
Alors que Kimveer préparait soigneusement son acte terroriste, comme il le laissait entendre lui-même sur son site, tous les médias étaient occupés à souligner le 5ième anniversaire du 11 septembre par un traitement médiatique franchement douteux qui a provoqué une vague de méfiance envers une ‘'catégorie'' de canadiens. De nouveau, la machine de la stigmatisation et l'amalgame a été relancée.
Selon les médias, nous ne serions pas à l'abri d'acte terroriste islamiste venant de citoyens canadiens musulmans. C'est arrivé en France, en Angleterre, en Espagne, ce n'est pas impossible que cela arrive ici. Une filière canadienne a été découverte par la police française. Cela contraste un peu avec la déclaration du Maire de Montréal qui, suite à la tuerie du Collège Dawson, s'est pressé de nous rappeler que le geste de Kimveer est isolé. Que Montréal demeure une ville sécuritaire. En tant que montréalais, je le crois. Mais si Kimveer était musulman, à quel genre de déclarations aurions-nous eu droit ?
Toute société a le droit et le devoir d'adopter la vigilance envers toute forme de violence. Je questionne les effets pervers de certaines méthodes.
Le 11 septembre est devenu un produit de consommation apparemment très payant pour la plus part des médias qui se sont fait un devoir, à l'occasion de ce 5ième anniversaire, de se déguiser en agences de sécurité. Chacun à sa manière et avec son style. Radio Canada (radio et télés confondues) ne fait pas mieux que les autres, ceux dits sensationnalistes. Nous sommes loin de la noble mission journalistique qui consiste à explorer les racines et les causes des évènements. Excepté les moments des lignes ouvertes de l'émission La Tribune, la plupart des émissions d'informations de Radio Canada se sont consacrées aux états d'âmes des chefs politiques, aux anecdotes des journalistes, aux retours sur le lieu du drame et à la peur que susciterait la présence des musulmans au Canada. L'obsession de sécurité telle que présentée par les médias, dont plusieurs émissions de Radio Canada, cache mal une vision étroite de l'appartenance et de l'identité.
À cette date anniversaire du 11 septembre, plus que jamais, dans la plupart des médias, le recul et la nuance ont brillé par leur absence. Nous avons été plutôt invités à nous sentir tous américains. Et pourtant, à juger par les lettres d'opinion et les lignes ouvertes, exprimées dans les cinq dernières années, notamment sur les ondes de Radio Canada, beaucoup de québécois se sont montrés capables de recul et de lucidité. Les analyses de certains auditeurs sur le 11 septembre sont plus brillantes et plus nuancées que celles des experts invités, presque toujours les mêmes d'ailleurs. Si le rôle de l'information est d'être le chien de garde de notre démocratie, j'ai peur qu'elle ne soit devenue dans certaines émissions un produit de consommation qui rajoute à l'ambiguïté et à l'amalgame.
Je trouve ironique que le dernier document spécial de Zone libre termine sur une citation d'Amine Malouf, tirée de son livre Les identités meurtrières, une de mes préférées: "C'est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs étroites appartenances, et c'est notre regard aussi qui peut les libérer...". Je crois que Zone libre a moins libéré le regard du téléspectateur et davantage consacré le ton justicier de Jean-François Lépine. Le journaliste et animateur vedette n'a interrogé que des policiers, des gendarmes, des musulmans frustrés et Fatima Houda Pépin qui continue à jouer la musulmane modérée de service.
Lépine a fait aussi appel à un journaliste algérien invité spécialement de Paris, où il vit comme réfugié politique, pour espionner les musulmans dans les mosquées de Montréal. Un petit tour sur internet vous apprendrait l'approche de Mohamed Sifaoui qui a développé une expertise dans l'espionnage sur les islamistes d'Algérie avant de s'attaquer aux islamistes en Europe. Néanmoins ses relations ambiguës avec le régime algérien, une suite de complicité et de règlements de comptes, remettent en question sa crédibilité. Quelle est la pertinence de faire appel à lui en particulier ?
Dans le spécial de Zone libre, aucun intellectuel, sociologue, historien, encore moins un psychologue, n'ont été interrogés. Et pourtant c'est dans notre intérêt suprême de comprendre pourquoi sommes-nous arrivés à confondre par exemple l'appartenance citoyenne et l'appartenance religieuse de certains canadiens ? Une confusion que le spécial de Zone libre exploite à fond.
Depuis la sortie de Fatima Houda Pépin pour dénoncer sans nuance les groupuscules islamistes au Québec, la tendance est de culpabiliser ceux qu'on appelle les musulmans modérés parce qu'ils n'oseraient pas se dissocier publiquement des musulmans extrémistes. C'est par peur de représailles qu'ils auraient peur de s'exprimer. Je trouve irresponsable et incohérente un telle démarche, parce qu'implicitement elle consacre le communautarisme de certains musulmans que les bien pensants voudraient voir disparaître. D'autre part, il divise les musulmans en deux catégories, les bons et des méchants.
Cette démarche contient une ignorance crasse d'une réalité canadienne. Les musulmans du Canada sont aussi des canadiens. Si leur intégration est réellement désirée, les médias devraient cesser de les caser dans une communauté. Les musulmans du Québec et du Canada sont d'origines différentes, de cultures différentes et de langues différentes. Ils ne sont pas arrivés au Canada tous à la même date et n'habitent pas tous les mêmes quartiers. Au risque de surprendre certains, ils ne sont pas tous croyants et pratiquants. Je reconnais que certains canadiens musulmans militent pour projeter une image monolithique des musulmans du Canada. Les journalistes se sentent-ils obligés de les croire ?
Je trouve maladroites, pour ne pas dire facile et niaiseux, certaines personnalités québécoises d'origine arabo-musulmane qui tombent dans le piège de l'amalgame en acceptent naïvement de répondre à l'invitation de certaines émissions où ils sont appelés à dire ce que les animateurs voudraient entendre, parce que ces derniers n'ose pas le dire eux-mêmes. En participant au cirque médiatique qui met en scène un musulman tapant un autre musulman, ils font preuve de la même intolérance, de la même étroitesse d'esprit que ceux-là mêmes qu'ils voudraient dénoncer.
La meilleure façon pour un citoyen canadien musulman, de se dissocier de certains propos ou comportements violents venant de quelques groupuscules que ce soit, islamistes, gothiques, gang de rue ou autre, ne serait-il pas de rappeler simplement son adhésion à ces valeurs non négociables. À savoir, la non violence, l'égalité des sexes, la laïcité, le respect des lois, le respect de l'autre, la liberté d'expression, la paix sociale.. etc ? Mais une démarche aussi nuancée n'est pas assez vendable médiatiquement.
Le recul face au 11 septembre se résume à une simple question : Pourquoi cela est-il arrivé ? La réponse est moins simple, mais elle porte en elle des faits et des vérités qui nous feraient peut-être encore plus mal. À savoir notre part de responsabilité dans toutes ces attaques terroristes dans des pays occidentaux. Notre tolérance face aux crimes d'Israël et surtout notre aveuglement, notre indifférence devant la misère qui produit la haine. Mais l'heure est aux hommages, à la mémoire des victimes. L'heure est au repli sur soi. Une brillante façon de nous détourner de nous-mêmes.
Il est reconnu maintenant que la non arrestation d'Osama Ben Laden est une volonté politique de l'État américain, en toute complicité avec certains états européens, dans le but de laisser planer la peur. Tant que l'ennemi terroriste court, cela justifie des abus. Les libertés individuelles sont affectées. Le patriot act est mieux supporté. Les invasions et les ripostes démesurées sont tolérées. Le budget militaire est augmenté. Pour 2006, 44 milliards de dollars ont été affectés aux agences des services de renseignement au USA. Feu vert aux lancements des missiles. "Si Ben Laden n'existait pas, Bush l'aurait inventé".
Médias et gouvernements occidentaux persistent à faire croire que seule la force militaire peut régler des problèmes qui sont fondamentalement d'ordre économique, politique et historique. Le lancement de tous les missiles du monde n'arrivera pas à soulager le mal des familles des victimes de New York. Il ne fait qu'accroître les morts et la souffrance humaine depuis 5 ans dans toutes les régions du monde visées par la guerre au terrorisme. Particulièrement en Irak, en Afghanistan, en Palestine et au Liban.
Le recul face au 13 septembre 2006, date de la tuerie du Collège Dawson se résume à la même question : Pourquoi cela est-il arrivé ? Déjà au lendemain de la tragédie, j'entends dans les médias des réponses nuancées venant de toutes sortes de spécialistes et d'intervenants. J'entends des phrases comme "Il faut revoir notre vie en communauté".
Aucun acte terroriste islamiste n'a été posé encore au Canada. La meilleure façon de le prévenir n'est-ce pas en remettant réellement en question notre vie en communauté et notre façon de libérer certains concitoyens de leur étroite appartenance ?
PS: L'émission Zone libre consacrera son prochain spécial au phénomène des gangs de rue. Devrais-je rappeler aux responsables de cette émission que les jeunes membres des gangs de rue sont aussi des canadiens dont la détresse découle fondamentalement aussi d'un problème d'appartenance?
Publié par Mohamed Lotfi le 16 septembre 2006

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Journaliste et réalisateur de l'émission radiophonique Souverains anonymes avec les détenus de la prison de Bordeaux





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