Croix et bannière

Que des femmes qui exigent de porter le voile, signe non équivoque de soumission, se prétendent féministes est au mieux une illusion et au pire une imposture nourrie d'arrière-pensées.

Port de signes religieux

Voilà donc que par l'habileté, le sens politique et l'aveuglement idéologique qu'on lui reconnaît à l'usage, la Fédération des femmes du Québec (FFQ), ci-devant féministe militante qui, comme son nom l'indique, s'affiche le porte-voix des femmes du Québec, a relancé, à la torche acétylène, le débat sur le voile.
Le dérapage de féministes radicales devant les revendications de groupes islamiques n'est pas nouveau au Canada. Pour mémoire, le rapport qui recommandait l'instauration en Ontario de tribunaux islamiques en matière de divorce, de mariage et de succession, la charia, en d'autres mots, était l'oeuvre de Marion Boyd, ancienne ministre de la Condition féminine et ancienne procureure générale dans le gouvernement de Bob Rae.
À croire que certaines militantes de la cause des femmes se voilent la figure quand il s'agit de porter un jugement sur des pratiques qui concernent exclusivement l'islam (les Églises chrétiennes, elles, subissent systématiquement leur vindicte), par peur de discriminer ces femmes. Or ces militantes, qui sont aussi si empressées souvent d'accabler les hommes, scandalisent la majorité des femmes qu'elles ont la prétention de représenter.
Clarifions d'emblée les faits. On ne peut pas confondre la situation des femmes vivant sous le joug des théocraties du monde musulman avec celle des femmes qui ont choisi de venir chez nous pour fuir, on le suppose, les affres de ces systèmes moyenâgeux. Le choix d'un pays d'accueil n'a rien de banal et devrait être indicateur d'une volonté de changer de destin. L'importation de pratiques symboliques qui heurtent les fondements mêmes de la société d'accueil pose problème.
Que des femmes qui exigent de porter le voile, signe non équivoque de soumission, se prétendent féministes est au mieux une illusion et au pire une imposture nourrie d'arrière-pensées. Michèle Asselin, présidente de la FFQ, répète qu'elle ne veut pas écarter ces femmes, ériger un mur entre elles et nous. Mais s'interroge-t-elle sur le choix de ces femmes d'ériger elles-mêmes cette barrière en forme de voile, signe non seulement de différence, mais d'offense à ce que nous sommes devenues au prix de luttes où le rejet et le mépris devaient être surmontés au quotidien?
La FFQ refuse de reconnaître que les femmes peuvent être leurs propres bourreaux. Alors, il faut rappeler à ces dirigeantes qu'au moment de l'affranchissement des esclaves aux États-Unis, certains Noirs souhaitaient demeurer sous la tutelle de leurs maîtres. Fallait-il leur donner raison? La FFQ va-t-elle, dans la foulée de sa prise de position, accepter les pratiques de l'excision et l'infibulation faites par des femmes, au seul motif de ne pas les écarter de nous? L'argument est outrancier? Moins qu'il n'y paraît.
Un certain discours féministe laisse souvent entendre, subconsciemment peut-être, que toute action de femme doit être à l'abri de la critique. Il y a là une forme d'infantilisation de la femme qui ne dit pas son nom. Ces femmes voilées qui revendiquent de l'être sous prétexte de religion sont des combattantes qui ont compris deux traits marquants de notre culture: la culpabilité et la tolérance molle. Elles en usent donc sans vergogne.
Il n'est évidemment pas question d'interdire le voile dans les lieux publics, une entrave à la liberté individuelle, mais plutôt dans des fonctions publiques. Par ailleurs, celles qui se voilent se rendent bien compte que leur présence, ainsi distinguée, est décodée de façon souvent négative. Le respect de la différence ne s'applique pas toujours envers elles. Mais toute conviction ou croyance affichée comporte sa part d'inconvénients. Les catholiques québécois qui se déclarent pratiquants sont la risée de plusieurs, et ce, depuis des décennies, dans les médias entre autres. Il faut donc avoir le courage de ses convictions. Les femmes musulmanes sont discriminées au Québec, assure la présidente de la FFQ. Demandez à celles qui s'opposent à l'avortement et qui militent dans l'Église comment elles se sentent, a-t-on envie de dire à Mme Asselin.
Pour sa part, la ministre de la Condition féminine, Christine St-Pierre, n'a rien eu à dire sur le sujet dans un premier temps. Or nous savons tous que la journaliste Christine St-Pierre a payé par une mise à l'écart sa défense publique de la présence de nos soldats en Afghanistan, lieu de toutes les exactions contre les femmes par les talibans. Il est surprenant qu'elle considère désormais le voile comme une coquetterie religieuse plutôt que comme un symbole de sujétion. Sa prise de position en accord avec celle de la FFQ indique qu'elle a choisi le camp des jovialistes en la matière.
Enfin, allons-nous cesser de nous raconter des histoires et de placer sur le même pied la croix et le voile? De parler comme l'a fait la présidente de la FFQ cette semaine de la présence de l'intégrisme catholique en nos murs, qu'elle semble mettre dos à dos avec l'intégrisme musulman? Où sont donc les hordes chrétiennes qui, au nom du Christ, gazent des écoles de filles pour les éloigner de ces lieux incontournables d'affranchissement social, comme cela s'est encore passé cette semaine en Afghanistan et depuis quelque temps dans le nord du Pakistan? La présidente de la FFQ affirmait mercredi son opposition à la récitation de la prière dans les hôtels de ville, mais elle accepte que des femmes voilées enseignent aux enfants... le principe de l'égalité entre les sexes, peut-être!
Décidément, c'est la croix et la bannière que ce débat, réactivé par celles-là mêmes qui crient (avec raison souvent) à l'injustice et à la discrimination sexuelle. Aujourd'hui, leur aveuglement s'apparente à de la bêtise.


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