Le ministre responsable de la Langue française, Simon Jolin-Barrette, a trouvé la « formule parfaite » pour « éradiquer » la minorité anglophone du Québec, avertit la présidente du Quebec Community Groups Network (QCGN), Marlene Jennings. Elle ne sait plus en quelle langue le dire pour être prise au sérieux.
« Réveillez-vous ! » lance l’ex-députée fédérale de 1997 à 2011, cherchant à secouer l’apathie des Québécois face aux offensives linguistiques menées à Québec — et à Ottawa — sur la foi, selon elle, de la « fabulation » selon laquelle la langue française est « en danger » dans les milieux de travail.
Le gouvernement est pourtant catégorique : la proportion de travailleurs qui accordent une place prédominante au français au travail s’est effritée au Québec au fil des 15 dernières années, passant de 82 % en 2006 à 79,7 % en 2016.
L’abandon du projet d’agrandissement du cégep Dawson ainsi que le gel des programmes conduisant au diplôme d’études collégiales (DEC) ou encore à l’attestation d’études collégiales (AEC) en anglais prévu dans la version amendée du projet de loi 96 entraîneront des conséquences « pernicieuses » pour les communautés anglophones du Québec, précise Marlene Jennings dans un entretien avec Le Devoir. Il y aura de moins en moins de professionnels « bilingues » dans le réseau de la santé, illustre-t-elle au bout d’une table de conférence dans les quartiers de QCGN dans le centre-ville de Montréal.
« On n’est pas stupides [les caquistes] sont en train d’étrangler le système », ajoute la directrice générale de QCGN, Sylvia Martin-Laforge.
Simon Jolin-Barrette promettait d’assurer le « respect le plus complet des institutions de la communauté anglo-québécoise » lors du dévoilement du projet de loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (projet de loi 96) en mai 2021.
Le groupe de pression soupçonne le gouvernement caquiste de réduire la « communauté anglo-québécoise » — qui est en droit de recevoir des services en anglais, selon lui — à la « communauté historique d’expression anglaise », ce qui exclut près de 500 000 Québécois anglophones, dont les immigrants provenant d’un État anglophone comme la Grande-Bretagne ou la Jamaïque, par exemple.
D’ailleurs, Marlene Jennings se dit lasse d’entendre que la minorité anglophone du Québec est « la mieux traitée », alors que les Québécois d’expression anglaise sont « sous-employés » et « sous-payés ». « La seule minorité linguistique qui se rapproche, qui a les mêmes statistiques dévastatrices, ce sont les Acadiens et les francophones du Nouveau-Brunswick, les seuls. Mais, on ne parle jamais de ça », dit la première personne noire à avoir représenté une circonscription québécoise à la Chambre des communes.
Les projets de loi signés par Simon Jolin-Barrette (96) et par Ginette Petitpas Taylor (C-13) exacerberont à coup sûr non seulement les inégalités économiques entre anglos et franco, mais aussi les tensions sociales, est persuadée Marlene Jennings.
Coût pour le Québec
« Ce n’est pas que l’affaire des anglos, des minorités, c’est l’affaire des francophones », soutient Sylvia Martin-Laforge, selon qui le renforcement de la loi 101 par « 96 » et « C-13 » ne se fera pas sans coût économique et moral pour le Québec.
Les patronnes du QCGN n’arrivent pas à croire que le gouvernement Trudeau puisse donner la possibilité aux entreprises privées de compétence fédérale présentes au Québec de mener « leurs communications avec les consommateurs » dans le respect de la Charte de la langue française du Québec — que Simon Jolin-Barrette s’emploie à blinder notamment au moyen des dispositions de dérogation aux chartes des droits et libertés.
« Quand je vois nos chartes [des droits et libertés] suspendues, et on n’est pas en situation de guerre, on n’est pas en Ukraine […], je suis découragée », indique Marlene Jennings au Devoir, ce qui n’est pas sans rappeler son gazouillis du 24 février, aujourd’hui disparu. La Montréalaise exprimait son étonnement de voir François Legault appuyer la démocratie ukrainienne face à l’assaut de la Russie alors qu’il a la « volonté de suspendre tous les droits et libertés de tous les Québécois avec son projet de loi 96 ».
« J’ai une grande gueule et j’en suis fière. I’m a Jennings et une Garand ! » s’exclame la « femme noire d’origine ethnique diverse » dans des locaux presque vides. Marlene Jennings est le fruit de l’union d’un homme noir émigré de l’Alabama et d’une femme blanche francophone, dont les ancêtres, français et belges, avaient défriché le Manitoba, dont un aux côtés du grand défenseur des Autochtones et de la langue française Louis Riel. « J’ai toujours été en faveur de Louis Riel », précise-t-elle.
Marlene Jennings, qui s’enorgueillit aussi d’avoir voté, en 1976, pour le chef du Parti québécois René Lévesque dans la circonscription de Taillon, et ce, même si sa mère « voulait [la] tuer », mène aujourd’hui la résistance au nom de la minorité linguistique anglophone du Québec. Et elle fait flèche de tout bois.
Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, n’est pas épargné. L’ex-élue du Parti libéral du Canada l’accuse de « rompre avec les valeurs fondamentales de notre société canadienne », dont celle de la dualité linguistique, en conférant aux travailleurs des entreprises privées de compétence fédérale du Québec notamment « le droit d’effectuer leur travail et d’être supervisés en français » et « le droit de recevoir toute communication et toute documentation […] en français ». « On a des employés anglophones qui travaillent [dans une banque] en français, mais pour une raison ou une autre, ils voudraient avoir leurs communications en anglais. Ils n’auront pas ce droit-là avec C-13 dans son format actuel. Alors quel genre d’atmosphère, de climat de travail ça va créer ? » demande Marlene Jennings, qui se défend d’être une « angryphone », comme la dépeignent ses détracteurs.
Mauvais « timing »
Marlene Jennings attribue la faible mobilisation contre les projets de loi 96 et C-13, à commencer au sein des communautés anglophones du Québec, aux occasions de socialisation — les discussions sur l’actualité autour de la machine à café du bureau, par exemple — qui se sont faites rares durant la pandémie de COVID-19, mais aussi, plus largement, à la montée de l’individualisme et de la désinformation dans la société canadienne.
Cela dit, la présidente de QCGN a pris bonne note de la décision du Parti libéral du Québec de s’opposer à l’adoption du projet de loi 96, qui a été officialisée par sa cheffe, Dominique Anglade, lors d’une visite du cégep Dawson il y a près d’un mois. « Je suis contente qu’elle se soit finalement ralliée, avec ses députés. Elle ne peut plus reculer là-dessus maintenant », fait remarquer Marlene Jennings. Le PLQ n’a pas mis son cahier de « 27 propositions pour l’avenir de la langue française » au rebut pour autant, lui signale Le Devoir. « Ça, c’est toute une autre question. »