Concilier indépendance et action électoraliste ? Agiter le flacon avec précaution!

Indépendance - le peuple québécois s'approche toujours davantage du but!


Il faut distinguer le désir d'indépendance nationale, aspiration naturelle — chez tout peuple, des individus à mesure qu'ils prennent conscience de la nécessité vitale d'assurer une pérennité collective en fondant un État circonscrit par les limites d'un territoire qu'ils ont développé — , et les différentes orientations économiques et sociales qui donnent naissance à des idéologies plus ou moins formalisées par la création de partis, inspirés ou contrôlés par un groupe particulier où domine soit l'intérêt égoïste des supporters (une oligarchie), soit un idéal. Dans tous les cas, quel que soit le régime politique, tout parti comptera son lot de carriéristes et de cyniques, dont le spectre sera plus ou moins étendu selon la fin visée et les circonstances favorables à la prise ou au maintien du pouvoir. À terme, aucun parti politique, nulle part, ne peut demeurer totalement exempt de corruption, de démagogie et de tous les travers humains.
Il y a donc forcément contradiction entre l'aspiration à l'indépendance nationale — dont la réalisation et le maintien doivent reposer sur l'autorité suprême que constitue l'ensemble du peuple — et la gouvernance — qui, dans une véritable démocratie, est assurée par des partis relevant, formellement ou non, de manière avouée ou non, d'un corps idéologique plus ou moins articulé. Les idéologies passent, la nation demeure.
Il est donc toujours risqué de confier la réalisation de l'indépendance nationale à un parti politique. Or il est impossible d'atteindre le but sans en passer par la formation d'un gouvernement et son contrôle réel par le peuple, pas par une coterie idéologique, sauf peut-être dans le cas maintenant rarissime d'une société où perdure une mentalité fondée sur le règne d'une tradition figée, partagée par tous les dirigeants politiques.
On peut sans doute estimer que, jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale et même un peu après, le Québec se trouvait dans ce cas : la mentalité traditionnelle ne s'est pas estompée d'un coup, quoi qu'on prétende aujourd'hui. Je suis assez vieux pour avoir vécu le sentiment de passer d'une société presque archaïque à une société qui découvrait un monde et farfouillait anarchiquement et avidement, parfois avec exaltation, dans le fatras des idées, des modèles et des modes sur tous les plans, dans tous les domaines.
Le premier mouvement d'après-guerre fondé sur l'indépendantisme, l'Alliance laurentienne, tenait, m'a-t-il semblé, à la fois de la mentalité traditionnelle catholique et d'une sympathie assez marquée pour les régimes autoritaires ; on le situerait aujourd'hui à l'extrême-droite sur l'échiquier politique actuel. Le R.I.N. originel, fondé en 1960 et devenu parti politique en 1963, nous paraîtrait aujourd'hui de centre-gauche, alors qu'on lui faisait à l'époque la réputation de nicher à l'extrême-gauche et de prôner la violence, invention des médias et de l'establishment canadien et québécois qui eut du succès parce que la mentalité générale, sous la Révolution tranquille, n'était pas encore en rupture profonde avec la mentalité traditionnelle. Par ailleurs, l'aspiration à l'indépendance, si elle se faisait lentement jour, relevait encore (et relève toujours, pour une part) du rêve coupable d'un esprit général mentalement assujetti.
Ce qui suivit, soit la fondation du Parti québécois par René Lévesque, à partir du Mouvement souveraineté-association, accoucha certes d'un parti souverainiste mais à la base beaucoup moins de gauche qu'on a bien voulu le croire à ce moment puisque qu'une part importante de ses membres initiaux était constituée d'ex-créditistes. Ce qui a soudé les diverses tendances était, quoi qu'on en dise, l'aspiration à la souveraineté nationale, mais une souveraineté contrainte, au fond, par un corset confédéral. Jusque dans les années quatre-vingts, cette précaution (cette pusillanimité, diraient d'autres) était justifiée : l'économie québécoise reposait principalement sur le marché canadien et l'élite anglo-saxonne québécoise occupait encore, à toutes fins utiles, 90% des fonctions importantes dans les entreprises commerciales, industrielles et financières d'envergure.
Beaucoup l'ont oublié depuis ou n'ont jamais semblé l'avoir même déjà su. Une déclaration unilatérale d'indépendance à ce moment eût déclenché, au détriment des Québécois, une longue période plutôt tourmentée, et c'est probablement ce qui a mené Lévesque et d'autres à passer en douce d'une élection référendaire à un référendum sur un mandat de négocier, suivi d'un second sur les résultats de la négociation. Soit, mais, à cause même de ce contexte, de l'échec du référendum et du coup de force de Trudeau, le Parti québécois est devenu bien davantage un parti de gouvernance qu'un parti d'abord au service d'un programme d'État. Ses succès électoraux de 1976 et de 1981 ont considérablement encouragé sa transformation graduelle en parti conventionnel, constituant donc une plateforme pour le carriérisme et l'opportunisme. Jacques Parizeau a pu, après sa démission du Cabinet, plusieurs années d'opposition et un très court passage au pouvoir, renverser la vapeur. Après l'échec ou le vol du référendum, le parti est redevenu une machine de gouvernance, plusieurs indépendantistes ont abandonné le navire ou ont été, si l'on peut dire, encouragés à se jeter à la mer.
Quelques-uns ont surnagé un temps, quelques autres ont réussi à s'approprier une chaloupe qui n'a pas pris l'eau, ce qui a donné naissance entre autres à Québec solidaire, mais ce parti défend avant tout un programme économique et social, l'indépendance vient en second. Le Parti indépendantiste promeut l'indépendance d'abord et une ébauche de programme ensuite, dans un contexte où l'esprit revanchard anti-péquiste et une rhétorique parfois assez vaine ne suscitent pas nécessairement la faveur populaire. Une partie des Verts arrive de chez les rescapés mais se préoccupe presque exclusivement d'écologie. Les moins regardants ont été repêchés par l'Action démocratique, à peine nationaliste et bien davantage préoccupée de garder sa droite.
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Quelles sont, sur les plans électoral et partisan, les possibilités d'accéder à l'indépendance ? Et où, dans ce fouillis, a-t-on échappé quelque part non seulement l'idée de l'indépendance mais la volonté suprême et démocratique du peuple ? Comment concilier l'objectif de l'indépendance et les objectifs purement partisans ou idéologiques ?
La plupart des Québécois croient que l'indépendance est en soi une bonne chose, une majorité confortable prétend qu'elle est réalisable, mais la plus grande majorité ne croit pas qu'elle advienne. Cette apparente contradiction en est-elle réellement une ? Examinons le terrain, si l'on peut dire, arithmétique de la politique québécoise. Où nichent les tenants (en principe) de l'indépendance ? Au Parti québécois, chez Québec solidaire, au Parti indépendantiste, sans en oublier une certaine proportion, au forçail, chez les Verts et à l'Action démocratique. En tenant compte des intentions depuis plusieurs semaines, comment se répartiraient en gros les votes advenant une élection ? Parti libéral : 30% ; Parti québécois : environ 41% ; Q .S. : 8% ; ADQ : 13% ; Verts : 5% ; P.I. : 1%. On peut dire sans crainte de se tromper que, toutes choses égales par ailleurs, le gouvernement, majoritaire, serait formé par le PQ et l'opposition officielle, par les Libéraux. Bien. Combien
de députés pour les autres partis ? Compte tenu de ce que ces pourcentages, disséminés dans les 125 comtés, représentent en possibilité de majorité, absolue ou relative, dans certains comtés, on ne peut se permettre de croire élus plus de deux Solidaires. Le seul parti présumé indépendantiste et ayant voix au chapitre serait donc le PQ.
Or quel sera vraisemblablement le programme du PQ ? Pas de programme d'État mais strictement un programme de gouvernance tendant à l'affirmation nationale à la pièce, et dont ladite affirmation nationale consiste à aller chercher un par un, par des négociations avec le fédéral, des morceaux de souveraineté relevant, pour la plupart, de champs de compétence provinciale que le fédéral a saccagés, alors qu'il est clair pour tous les esprits le moindrement renseignés qu'il n'y a aucune possibilité de négociation et que, sur ce terrain, le rapport des forces ne joue plus en faveur du Québec. La seule manière d'en sortir consisterait alors à tenir des référendums sectoriels à répétition, alors que, depuis la Constitution de 1982, il est juridiquement impossible au fédéral seul, sans l'aval de pratiquement toutes les provinces, de négocier sur le plan constitutionnel.
Bref, le seul avantage d'élections prochaines signifierait la défaite des Libéraux, ce qui, évidemment, est une bonne nouvelle, mais, pour l'indépendance, on repassera après 2014, peut-être en 2016, encore que...
On a beaucoup critiqué dans Vigile, ces derniers temps, l'idée avancée par le Collectif du 5 mai et son Appel citoyen du 20 mai d'une Union transpartisane où (dit sommairement) tous les partis prétendus indépendantistes formeraient une coalition nationale (dès avant les élections, avec un système prévoyant le désistement de candidats au bénéfice du candidat du parti de la coalition le mieux à même de gagner) et partageraient, indépendamment de leur propre programme de gouvernance, un programme commun d'État qui les engagerait à invalider l'État illégitime du Canada au Québec, rapatrier à Québec toute la députation du Bloc, rédiger et voter une Constitution républicaine primordiale (et provisoire), mettre sur pied une constituante générale où tous les citoyens pourraient participer, et soumettre le résultat à un référendum. (Pour le détail, voir http://www.jesignequebec.com/detail...)
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Ainsi, sans avoir à mettre de côté leur idéologie et sans négliger les futures élections normales tenues après l'indépendance, les partis de la coalition nationale assureraient une majorité de sièges et de voix au programme d'État et oeuvreraient à la primauté de la souveraineté démocratique du peuple dans le processus menant à l'indépendance.
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Dans l'état actuel des partis au Québec, compte tenu de leurs programmes, de leurs appuis respectifs et de la méthode habituelle d'électoralisme partisan, cela me paraît la seule manière de parvenir à un résultat en fonction de l'indépendance. Et plus de gens signeront l'Appel citoyen du 20 mai, plus les partis devront, de bon ou de mauvais gré, en tenir compte. Sans pression populaire, il n'y aura vraisemblablement pas d'union transpartisane.
Certains en reviennent toujours à l'idée traditionnelle : l'unité de tous les indépendantistes dans un seul parti. Les dizaines de milliers d'indépendantistes qui ont quitté le Parti québécois n'y reviendront pas, c'est devenu une évidence, surtout là où il en est quant à son programme et à sa manière d'agir. Et aucun des petits partis ne bouffera le PQ. Parmi les centaines de milliers de citoyens favorables à l'indépendance, non membres d'un parti, qui ont cessé de voter par écoeurement, la plupart continueront de bouder les élections tant qu'ils n'auront pas la certitude que oui, on a mis le pays avant les partis, et qu'au lieu de les prendre pour des machines à voter pour le bien des politiciens, on reconnaît leur rôle de citoyens, soit la collectivité constituant l'autorité suprême et démocratique du peuple souverain.
M. Michel Rolland affirmait récemment : « Il est clair pour moi que tous ces appels, à l'union des forces indépendantistes, ne profiteront qu'à ces deux partis caméléons [soit le BQ et le PQ] , et non à la réalisation de notre indépendance nationale. » Si ceux qui croient cela lisent ce que propose le Collectif du 5 mai, de même que son Appel citoyen du 20 mai, ils constateront que ça n'a rien à voir. Par ailleurs, qu'on m'explique ce qu'ont à gagner le P.I., Q.S., le R.I.N. et autres à agir en solo, sinon exercer une vengeance, sous la forme d'une capacité de nuisance qui ne leur assure aucun siège dans presque tous les cas mais contribue, peu ou prou, à retarder la possibilité de l'indépendance plutôt qu'à l'accélérer.
Quant au Collectif du 5 mai, dont on peut vérifier la liste des participants, je précise une fois de plus que, sauf à présenter des propositions et l'Appel citoyen du 20 mai, il ne représente aucun parti, n'en favorise aucun (chaque membre du Collectif conserve sa liberté personnelle) et ne sera pas l'organisateur de l'union transpartisane souhaitée ni d'une éventuelle constituante. Chacun d'eux a choisi de contribuer à susciter une action qui, au mieux, pourra rapprocher tous les indépendantistes du but. Au pire, comme la soupe au poulet, cette tentative n'aura causé de tort à personne, ce qui, par les temps qui courent, est déjà un bien en soi.
Auteur : Raymond Poulin


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5 commentaires

  • Raymond Poulin Répondre

    9 août 2010

    @ Michel Gendron.
    En effet, M. Gendron, plus il y aura d'initiatives citoyennes non partisanes, mieux ce sera. Il finira bien par s'en dégager une convergence. Ce n'est certainement pas par la guerre perpétuelle des clans et des partis indépendantistes que nous atteindrons le but.

  • Archives de Vigile Répondre

    9 août 2010

    Monsieur Poulin,
    C'est très solidairement que j'écris ce commentaire. En tant que porte-parole du Collectif sur Vigile, je dois dire que vous en exprimez parfaitement l'esprit.
    J'ai signé l'appel du 20 mai. Je suis en accord avec ce que propose le Collectif du 5 mai. Je sais surtout qu'il ne s'agit pas d'une fin en soi, mais d'une proposition dans le but de faire progresser le débat dans un sens positif. Ce qu'on propose se tient et répond à mes désirs d'engagement. Le collectif contribue à l'évolution du mouvement global. Il avance des idées, une ébauche de stratégie qui va dans le sens de l'émergence de la république. D'autres approchent peuvent exister et cohabiter. C'est même plus que souhaitable.
    Advenant le cas qu'il y ait des États généraux sur l'indépendance, comme le souhaite plusieurs indépendantistes, il va de soi que le collectif devra y participer et, pourquoi pas, y être représenté. Et d'autres regroupements, s'entend.
    D'autres militants oeuvrent pour une convergence citoyenne. Certains se targuent d'avoir la solution, alors que d'autres proposent en sachant très bien que tout est en perpétuel mouvement et que la voie à suivre ne saurait être préalablement déterminée à l'avance. Ce qui est vrai aujourd'hui peut s'avérer inefficace demain. Se fondre dans le réel et comprendre les contradictions qui l'anime est l'ABC de la politique. Facile à écrire, mais difficile à assumer, je l'admets. Ce qui est certain, cependant, c'est que toute lutte pour l'indépendance d'une nation ne fera jamais partie de ce qu'on appelle (souvent à tort) les sciences exactes.
    Quant au RIN de monsieur Lachance, si j'ai bien compris, cela se veut un mouvement citoyen, ce avec quoi je suis d'accord. L'appellation du regroupement se veut accrocheuse. Quelques-uns s'en offusquent à tort, à mon avis. Le RIN de monsieur Lachance ne vise pas à devenir un parti et je dis bravo.
    Collectif du 5 mai, RIN, ou toute autre initiative citoyenne visant l'indépendance se doit de dénicher son créneau d'intervention. Pour converger le temps venu en assumant pleinement ses responsabilités. Évidemment, tout dogmatisme groupusculaire est à proscrire. Nous sommes tous de la même confrérie. Différence ne veut pas dire nécessairement divergence fondamentale. La théorie des ensembles s'impose. Bref, notre liberté d'action, comme citoyens, ne doit pas s'enliser en un débat sectaire et démobilisateur.
    Alors je dis : vive les initiatives citoyennes, même si je suis pas en guerre contre le BLOC, PQ et QS.
    Mes salutations au Collectif

  • Archives de Vigile Répondre

    9 août 2010

    Sauf qu'il est trop tard pour faire un tel virage , mieux vaut élire le PQ et obliger le PQ à réaliser l'Indépendance en l'envahissant sinon c'est encore Charest qui va être élu. Suite à l'indépendance ceux qui ont votés PQ pourront retrouver leurs différents partis et entreprendre le combat contre le PQ
    Le temps est à l'unité indépendantiste et pas aux divisions
    Car l'indépendance ça presse les anglicisés et angliciseurs augmentent à vue d'oeil

  • Archives de Vigile Répondre

    9 août 2010

    Ce matin, Facal reprend ce que je dis depuis des années à savoir que le PQ fait de la politique provinciale et le BQ de la politique fédérale.
    «Confort
    Le PQ et le Bloc sont devenus, malgré eux, des institutions centrales du système qu'ils veulent que le Québec quitte. Faute de mieux, le PQ vise le pouvoir provincial et le Bloc lutte souvent pour améliorer tel ou tel projet de loi fédéral. Prenez un député souverainiste: combien d'heures par semaine consacre-t-il réellement à la promotion de la souveraineté?»
    Plus loin, Facal explique pourquoi ça n'avance plus:
    http://lejournaldemontreal.canoe.ca/journaldemontreal/chroniques/josephfacal/archives/2010/08/20100809-054118.html

  • Archives de Vigile Répondre

    8 août 2010

    "Le Parti indépendantiste promeut l’indépendance d’abord et une ébauche de programme ensuite, dans un contexte où l’esprit revanchard anti-péquiste et une rhétorique parfois assez vaine ne suscitent pas nécessairement la faveur populaire."
    Le PQ n'est pas indépendantiste. Comme le dit le chef du PI, Éric Tremblay, depuis 1995 le PQ c'est la démmission historique nationale québécoise la plus totale. De plus nous ne croyons pas à un référendum. Comme l'aurait dit Pierre Bourgault: "on donne une chance à notre adversaire (Canada) de nous battre une seconde fois." Quant au programme du PI allez le consulter ici: http://parti-independantiste.org/le-programme-du-parti-independantiste