Essais québécois

Comprendre le populisme adéquiste

Livres - 2008

«M. Dumont, êtes-vous populiste?» demandait Bernard Derome au chef de l'Action démocratique du Québec le 22 mars 2007, en pleine campagne électorale. Si le populisme «ça veut dire que, quand moi je parle, les gens comprennent, [alors] j'aime ça», répondait ce dernier, confirmant ainsi qu'il était bel et bien populiste puisque cette réponse laissait entendre que le discours de ses adversaires (Charest et Boisclair) était trop complexe!
Mais qu'est-ce, au juste, que le populisme? Et l'ADQ appartient-elle vraiment à cette famille politique? Voilà les questions auxquelles s'attaque le politologue Frédéric Boily, spécialiste de Lionel Groulx et du conservatisme au Canada, dans Mario Dumont et l'Action démocratique du Québec: entre populisme et démocratie.
Les intellectuels, note le professeur du Campus Saint-Jean de l'Université de l'Alberta, ont posé, à ce jour, un «regard distrait, parfois dédaigneux et souvent dénonciateur» sur l'ADQ. L'idéologie ouvertement de droite de cette formation politique expliquerait ce rejet. Malgré la constante progression électorale de ce parti depuis sa fondation en 1994, les intellectuels (je fus de ceux-là) ont moins cherché à le comprendre qu'à le diaboliser. Aussi, constate Boily, «le discours adéquiste a donc été peu étudié de manière rigoureuse, sauf exception». Le politologue se propose donc d'étudier «l'architecture de son idéologie» à partir du concept de populisme.
Son collègue Gérard Boismenu, qui a déjà réalisé ce type de travail en 2003, mais dans une perspective plus critique qu'analytique, résumait ainsi, selon Boily, les principaux traits du populisme: «rejet du système politique en place, accent accordé à l'individualisme, valorisation du marché et, partant, restriction du rôle de l'État». Il ajoutait le rejet de l'égalité comme valeur, l'opposition aux groupes marginalisés et la xénophobie. Ce dernier trait, il faut le reconnaître, s'applique mal à l'ADQ, mais tous les autres lui conviennent assez bien.
Sans rejeter totalement l'analyse de son collègue, Boily la conteste et lui en préfère une autre. Reprenant une idée de Taguieff, il présente le populisme comme «un style politique plutôt que comme une idéologie». Chávez, en effet, est aussi populiste, mais de gauche, rappelle-t-il pour justifier ce point de vue.
Un populisme protestataire
Un premier type de populisme, qualifié ici de protestataire, se caractérise «par la dénonciation d'une coupure fondamentale entre le peuple et les élites, ces dernières étant accusées d'avoir abusé du peuple». Un deuxième type, identitaire, «oppose plutôt «ceux d'ici» à «ceux d'en face» et peut flirter avec la xénophobie. Dans les deux cas, il est porté par une figure charismatique qui mène la charge.
Or le populisme, dans les démocraties libérales, n'a pas bonne presse. On l'accuse, justement, de saper les fondements de la démocratie. La politique, comme l'explique Boily, «nécessite du temps pour la réflexion», elle exige une délibération entre les acteurs et la reconnaissance de la complexité des problèmes et des solutions, ce que rejettent les populistes. Ces derniers, pourtant, jouent le jeu démocratique, prétendent donner la parole à ceux qui ne l'ont pas, mais contestent du même souffle la démocratie représentative, qualifiée d'affaire des élites. Guy Laforest, pour sa part, parle du «populisme démocratique» de l'ADQ. Qu'en est-il?
Il est évident, selon Boily, que la formation de Dumont, de 1994 à 2006, fait dans le populisme protestataire. Dès sa fondation, elle se présente comme la voix du peuple en quête d'un «redressement national». En 1998, cette protestation prend la forme d'un programme résolument de droite qui propose d'en finir avec le «modèle québécois», essentiellement profitable aux élites, selon elle. En 2003, les choses sont encore plus claires. Pratiquant une «personnalisation du pouvoir» qui rappelle l'Union nationale de Duplessis, l'ADQ s'organise autour de son chef, qui se présente comme «un homme du commun, plus précisément un homme de la terre qui connaît la valeur du travail, soit le travail à la ferme, celui qui doit être fait parce qu'il n'attend pas». Fort d'un charisme de rhétoricien qui s'exprime dans de petites «phrases assassines» plutôt que dans des discours-fleuves, Dumont défend un programme qui s'attaque à la «clique animée de solutions périmées» et qui «n'agit pas pour l'intérêt du peuple». Dénonciation des groupes de pression, particulièrement des syndicats, qui imposent leurs intérêts particuliers, plaidoyer en faveur d'une cure minceur de l'État et d'une réforme de la démocratie et discours prodécentralisation constituent la charpente de ce qu'on présente comme «une protestation de la classe moyenne et des régions contre une forme d'intervention étatique jugée trop dirigiste».
Un populisme identitaire
Aux élections de 2007, plusieurs éléments de ce programme seront repris dans le cadre d'une campagne plus méthodique qui mettra l'accent sur la famille et sur un discours sécuritaire à caractère punitif. Pour la première fois, l'ADQ emprunte aussi la voie du populisme identitaire, à la faveur du débat sur les accommodements raisonnables. Apparaît, de même, son autonomisme flou qui, écrit Boily, peut «évoquer une chose et son contraire».
S'il s'inquiète prudemment du populisme identitaire de l'ADQ, Boily, pour le reste, s'efforce essentiellement de comprendre le phénomène adéquiste et son relatif succès sans les juger. Il se fait même un peu complaisant avec cette formation politique en affirmant qu'elle a su, dans une certaine mesure, prendre «la défense de ceux se croyant exclus des lieux de prise de décision, bref du pouvoir».
Les intellectuels qui critiquent durement l'ADQ, pourtant, montrent justement que cette prétention ne tient pas la route. Libérer le marché, réduire le rôle de l'État, miner l'influence des syndicats et pratiquer une justice punitive au nom du respect de l'autonomie individuelle et régionale ne libèrent pas le peuple, bien au contraire. Ces recettes néolibérales, qualifiées d'audacieuses par les populistes qui les avancent, ont nui à «ceux d'en bas» partout où elles ont été appliquées. C'est en ce sens qu'on peut dire du populisme de droite qu'il est un traquenard: il tourne la frustration, souvent légitime, du peuple à l'égard des élites contre le peuple lui-même.
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louisco@sympatico.ca
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Mario Dumont et l'Action démocratique du Québec: entre populisme et démocratie
Frédéric Boily, Presses de l'Université Laval, Québec, 2008, 176 pages


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