Hier, dans Le Devoir, l’ineffable Claude Morin décidait de se mêler du débat politique au Québec. Fidèle à son habitude, c’est à un débat étroitement provincial qu’il s’invite, lui qui a contribué comme nul autre par le passé à ce que même la question de la rupture avec le Canada soit traitée à l’intérieur du cadre voulu par ce pays. Claude Morin, c’est celui qui a convaincu un Parti québécois qui était en pleine ascension en promettant clairement l’indépendance advenant son élection (de 23 pourcent en 1970, il augmenté de sept points en 1973 malgré la Crise d’octobre) qu’il faisait fausse route.
Pour ce « grand tacticien », qui admettait lui-même être allergique à la culture militante de son parti, le fait de se convertir à la gouvernance provinciale apparaissait être une voie couronnée de succès. Comment rompre avec un régime politique ? En se convertissant à ses règles. Comment vaincre un adversaire ? En allant sur son terrain plutôt qu’en définissant le nôtre. Comment surpasser les limites de la gouvernance provinciale ? En les acceptant et en les intériorisant comme schéma de pensée. Claude Morin a même déjà avoué, dans un de ses ouvrages, que cette scission entre l’exercice du pouvoir par un parti souverainiste et la raison d’être de celui-ci émanait d’une recommandation, lors d’un souper arrosé, de hauts-fonctionnaires fédéraux. Un « [u]tile avis du fédéral », écrivait-il.
Quand un gouvernement souverainiste allait solliciter, par référendum, le mandat de réaliser la souveraineté, il allait devoir évoquer les insuffisances de la province de Québec après l’avoir gouverné. En gouvernant bien et en vantant son bilan, un parti souverainiste au pouvoir n’allait que témoigner que la province de Québec se suffit déjà amplement, et que de le transformer en pays est inutile. En gouvernant mal, il ne donnera envie à personne de faire l’indépendance avec lui. Et il va de soi que tout le succès de l'opération repose sur la croyance qu'Ottawa reconnaîtra de bonne foi le verdict du référendum, suite à une belle campagne discursive. Tel est, en grande partie, l’héritage empoisonné de Claude Morin.
Or, voilà qu’hier, ledit Morin a récidivé. Sa solution, aujourd’hui, est que le PQ se cantonne sur le thème de l’identité nationale. Pour lui, la nation québécoise doit refuser de disparaître et les souverainistes doivent éviter d'avoir peur de leur ombre sur les enjeux qui y sont liés. Jusque-là, j'en suis.
Le problème, avec ce constat en apparence lucide, c’est que Morin rejette –et sa lettre d’hier le réitère- la rupture avec le Canada. Comment protéger l’identité québécoise dans un pays qui nie l'existence nation québécoise au-delà du domaine symbolique ? Par une nouvelle loi 101 plus offensive ? Il faudrait rappeler qu’il s’opposait à la première mouture de la Charte de la langue française, et qu’il avait tenté d’humilier Camille Laurin devant le caucus péquiste en l’accusant de vouloir casser de l’Anglais. Une telle opposition était parfaitement cohérente avec la pensée de l'homme, s'opposant à tout renversement substantiel des rapports de force. Une nouvelle loi 101 serait, de toute manière, grandement déclarée anticonstitutionnelle par les juges canadiens. Même chose par rapport à des mesures fortes en matière de laïcité. Serait-il prêt à assumer de tels gestes, qui impliqueraient une part de rupture vis-à-vis des vieilles habitudes ? Soutiendrait-il un État québécois qui n’aurait pas peur d’aller à l’encontre de la rectitude politique canadienne ? À la lumière du parcours de l’homme, rien n'est moins certain.
Fidèle à lui-même, Claude Morin tente de nous faire croire que l’identité nationale peut être défendue en respectant les règles d'un Canada fondé sur l'idéologie du multiculturalisme. Il ne fait qu’être cohérent par rapport à sa perpétuelle défense du modèle du « bon gouvernement » provincial où règnerait la bonne entente. Morin a beau, aujourd’hui, dénoncer les « suites délétères de la Constitution imposée au Québec en 1982 : multiculturalisme, diminution des pouvoirs de notre Assemblée nationale, réduction de notre nation au rang de minorité ethnique parmi les autres », il ne propose, au final, rien d’autre que de s’y plier. Défendre l’identité de notre nation, mais en étant toujours une minorité sous un État contrôlé par une autre nation et en étant contraint de lui demander en permanence la permission, voilà ce à quoi nous convie Claude Morin. Il se fait, ainsi, le porte-parole d’un identitarisme de province, suite naturelle du gouvernement de province, de l’économie de province, de la culture de province, et, bien entendu, du souverainisme de province qu’il a façonné.
Après près de cinquante ans d’errances, on ne peut pas dire, au moins, qu’il manque de suite dans les idées.
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