C’est la rentrée des classes, et nous avons droit à une offensive concertée cette semaine en faveur de l’« école du futur ». L’an dernier, la rectrice de l’Université McGill, Suzanne Fortier, proposait une nouvelle concertation entre l’enseignement et les entreprises pour relever le défi de la « quatrième révolution industrielle », désignant ce nouveau stade de fusion des « sciences physiques avec le numérique et la biologie ». Dans son texte ponctué de citations du président du Forum économique mondial comme s'il s'agissait de l'Évangile, Suzanne Fortier souhaitait pousser « nos entreprises à accélérer le rythme en matière d’innovation ». Le Conseil du patronat réclamait avant-hier dans Le Devoir que l’apprentissage technologique fasse « partie des compétences de base » et qu'on puisse « raffermir les liens entre les milieux éducatifs et les différents acteurs de la communauté » des affaires. Puis, hier également, un article du Journal de Montréal concernant l’apprentissage du codage et de la programmation informatique en Colombie-Britannique a fait réagir tous nos pressés de la robotisation de nos enfants, alertés contre le retard du Québec en la matière. Le français en arrache, mais il faudrait que les jeunes soient des experts en codage. Construisons des analphabètes fonctionnels, mais qui seront surqualifiés au travail.
Puisqu'il faut toujours préciser à l'avance l'ensemble des nuances, je ne suis pas contre l'enseignement de certaines techniques informatiques. Mais, disons que ça ne devrait pas être exactement la fonction première de l'école. Ne faudrait-il pas principalement former des jeunes cultivés, bien au fait du monde auquel ils appartiennent et armés de solides connaissances, avant de les lancer à bras raccourcis dans le monde des machines ? Le gros bon sens nous dicterait que oui, mais la logique, ici, est toute autre. L’« école du futur » repose sur des besoins corporatistes et non sur des objectifs de formation.
Depuis les années 90, la littérature managériale est claire sur le sujet, à l’instar des grandes consignes des organismes mondiaux comme l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’Organisation internationale du travail ou le Forum économique mondiale : l’éducation doit être réorientée vers les besoins de l’« économie ». Quand on creuse un peu tout cela, on constate que la logique est limpide : le capital, nous dit-on, à juste titre, est de plus en plus mobile, bougeant d’un territoire à l’autre. Les grandes entreprises ont des besoins très précis pour « croître » (sur-accumuler le profit) et l’innovation technologique permanente en est une, pour qu’elles puissent toujours mettre sur le marché une quantité impressionnante de gadgets. Les gouvernements ont alors le « devoir » de consacrer l’ensemble de leurs politiques et effectifs à gâter ces entreprises qui s’installent momentanément pour que celles-ci y trouvent leur compte, et donc qu’elles ne décampent pas rapidement.
Pour encadrer cette concurrence entre les nations, il existe toute une industrie du classement, qui construit, année après année, des palmarès nous indiquant quels pays sont les plus charmants pour les investisseurs. Officiellement, c’est la « compétitivité » des nations qui est évaluée. Les systèmes d’éducation, comme on s’en doute, y occupent une grande place. Et une très grande portion de ces rapports sont fondés sur des sondages auprès des chefs d’entreprise de chaque pays. Pour le rapport annuel de l’International institute for management development, situé dans ce haut-lieu bancaire qu’est la Suisse, les cadres des plus importantes entreprises de chaque pays évalué sont appelés, entre autres, à donner une note d’appréciation -entre 1 et 7- à l’énoncé « Qualified engineers are available in your labor market ». Pour celui, aussi publié sur une base annuelle, du Forum économique mondial, on demande également aux dirigeants des principales compagnies d’accorder une note entre 1 et 7 aux énoncés « In your country, how well does the education system meet the needs of a competitive economy? » et « In your country, to what extent is the Internet used in schools for learning purposes? ».
Pour plaire à des institutions à but lucratif, on transforme ainsi en profondeur des services publics pour lesquels la recherche du profit ne devrait aucunement être une obsession. Robotiser les enfants au nom de la « croissance » illimitée sur une planète qui en arrache de plus en plus ? Et, pour ce faire, remplacer la culture par l'informatique ? Traiter les élèves comme des petits soldats de la concurrence économique mondiale ?
On nage ici en plein délire.
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