La fin de l'ALÉNA ? Pourquoi pas !

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Pas la fin du monde





Donald Trump a encore agité, il y a quelques jours, le spectre de la fin de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), estimant que ses partenaires mexicains et canadiens étaient des négociateurs difficiles. La menace n’est pas inusitée et a été martelée par Trump tant en campagne que depuis les débuts de sa présidence. Est-ce un argument de négociation ou tout simplement une manière de reparler à sa base électorale alors que sa cote de popularité est en chute ? Mais, est-ce tout simplement que Donald Trump est... Donald Trump ? Une chose est certaine : il y a probablement tout un monde entre les déclarations du président sur Twitter et ce qui se passe réellement à la table de négociations. Il faut donc être très prudent et ne pas prendre ça « pour du cash ».


Quoi qu’il en soit, sur la gestion de l’offre, la culture, le travail et l’environnement, les points de vue sont diamétralement opposés et on voit difficilement comment les demandes canadiennes pourraient être couronnées de succès. Les entreprises transnationales sont très puissantes aux États-Unis et cette donne est loin d’être négligeable. Nous sommes extrêmement loin d’un nouveau traité qui révolutionnerait le commerce afin que celui-ci se place au service de l’être humain.


Puisqu’il n’y a pas de scénario idéal et qu’on ignore encore vers où les renégociations s’en vont, penchons-nous sur l’autre possibilité, celui d’une abolition pure et simple de l’Accord.


Est-ce que cela représenterait la catastrophe annoncée pour le Québec ?


La réponse courte est non, et ce, pour une raison toute simple : l’ALÉNA se superpose à l’ALÉ (Accord de libre-échange). L’ALÉ a été ratifié par le Canada et les États-Unis en 1988, donc six ans avant l’entrée en vigueur de l’ALÉNA qui l’a supplanté. La fin de l’ALÉNA ramène normalement, tout simplement, à l’ALÉ. D’un point de vue strictement économique, les différences entre les deux traités sont marginales, les deux favorisant la circulation de biens et services entre les partenaires.


Néanmoins, s’il y a une distinction substantielle (outre l’absence du Mexique dans la première mouture), c’est celle du chapitre sur les investisseurs. Tout cela paraît très technique et juridique, mais le Diable est toujours dans les détails et l’ALÉNA ajoute un élément extrêmement pervers : celui de permettre aux entreprises étrangères de poursuivre les États si elles estiment que leurs profits sont menacés. Des compagnies à but lucratif peuvent ainsi démanteler des lois démocratiquement votées.


Voici quelques exemples aberrants de ce système permettant de compter les cadavres tout en savourant les profits :


en 1997, le Canada a décidé de restreindre l’importation et le transfert de l’additif à carburant MTM, vu les risques qu’il soit toxique. Ethyl Corporation a poursuivi le gouvernement canadien pour lui arracher des excuses... et des millions de dollars ;


en 1998, S.D. Myers Inc. a déposé une plainte contre le Canada pour l’interdiction, entre 1995 et 1997, de l’exportation de déchets contenant des BPC. Les BPC sont des produits chimiques synthétiques employés dans l’équipement électrique qui sont extrêmement toxiques ;


en 2008 : Dow AgroSciences a déposé une plainte après l’adoption de plusieurs mesures adoptées par le Québec pour interdire la vente et l’utilisation de certains pesticides sur les surfaces de gazon ;


en 2010, AbitibiBowater a fermé certaines de ses installations terre-neuviennes et mis à pied des centaines d’employés, ce à quoi le gouvernement de la province avait répondu en reprenant l’actif hydro-électrique. N’acceptant pas la chose, AbitibiBowater a alors intenté une poursuite, exigeant 500 millions de dollars. Pour éviter un long conflit juridique, Ottawa a offert 130 millions à l’entreprise. Comment AbitibiBowater, dont le siège social est à Montréal, a-t-elle donc pu se présenter comme un investisseur étranger lésé par l’État canadien ? En s’incorporant au Delaware, un paradis fiscal, aux États-Unis ;


en 2012, la pharmaceutique Eli Lilly a poursuivi le gouvernement canadien, qui venait d’invalider des brevets pour deux médicaments à la qualité douteuse ;


en 2013 : la compagnie Lone Pine Resources a annoncé sa volonté de poursuivre Ottawa à cause du moratoire québécois sur les forages sous les eaux du fleuve Saint-Laurent.


Et nous n’avons ici qu’un échantillon microscopique de toutes ces offensives.


C’est le Canada qui, en vertu de l’ALÉNA, reçoit le plus de ces poursuites. Les entreprises ne l’emportent pas toujours devant les tribunaux, certes, mais la possibilité d’un recours judiciaire crée un climat de peur dans les officines gouvernementales. Une ancienne ministre du gouvernement de Pauline Marois me le confiait récemment : derrière les portes closes, il arrive fréquemment que les décideurs publics reculent sur certaines politiques pour ne pas avoir à faire face à d’éventuelles poursuites venant d’entreprises étrangères.


L’ALÉ ne contient pas de dispositions de la sorte. Une entreprise étrangère peut certes poursuivre l’État où elle a investi, mais à condition que l’État de son pays d’origine l’y autorise, ce qui change totalement la donne. L’ALÉ a bien des défauts, mais il ressemble beaucoup plus à un véritable traité de libre-échange qu’à une dictature de la grosse corporation étrangère, ce qu’est l’ALÉNA dans sa forme actuelle. Ce ne serait donc pas un scénario foncièrement négatif que d’y retourner. Pour le Québec, ce sont les États-Unis qui sont le plus important partenaire commercial, mais rien n’empêcherait une entente avec le Mexique.


Puis, même si l’ALÉ n’était pas effectif, le Canada, les États-Unis et le Mexique demeureraient toujours membres de l’Organisation mondiale du commerce et seraient  astreints à ses règles favorisant la libre-circulation des marchandises et, alors, le libre-échange. C’est le scénario qu’a privilégié Claude Vaillancourt dans un récent texte. La donne serait ici probablement changée étant donné qu’il n’y aurait pas de canal direct entre les partenaires comme seul un traité entre pays peut l’offrir. Ceci dit, cela nous rappelle aussi qu’il est faux d’affirmer que la fin de l’ALÉNA est synonyme d’un repli sur soi ou de la fin du commerce.


Rien dans tout cela ne paraît bien emballant, j’en conviens. Mais il faut bien parfois savoir se consoler en attendant le véritable coup de barre...



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Simon-Pierre Savard-Tremblay179 articles

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).





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