C’était il y a quarante ans. La Charte de la langue française était adoptée à l’Assemblée nationale. L’admirable Camille Laurin, ministre responsable de la loi 101, ne voulait pas d’une réformette administrative mais d’une politique de reconquête qui allait donner une nouvelle impulsion à la nation québécoise pour la mener à son indépendance.
Une loi qui « balaie d’un seul coup les fatigues et frustrations accumulées au cours de ce long et âpre combat car le but est maintenant atteint », disait le ministre, assurant qu’elle « assure [l’]identité, éloigne les dangers qui le menaçaient, lui procure fierté, dignité et bien-être, lui donne un lieu et les outils dont il a besoin pour faire éclater son dynamisme et travailler à son progrès et son épanouissement ». La Charte de langue française, toujours selon Laurin, renverse « le cours de notre histoire », « oriente dans le sens de la maturité », permet au peuple de « se sentir enfin pleinement chez lui », est « le geste d’un peuple qui est résolu à vivre sa vie » au nom « du respect de soi-même » et fait en sorte que « le fait de parler français ne soit plus chez nous une occasion d’humiliation ». « Dans un Québec désormais et pour toujours français, il est logique de prévoir d’autres reprises en main, d’autres appropriations et d’autres bonds en avant », dont la « souveraineté politique ».
Vaste programme ! On voit bien qu’il ne s’agit pas d’une mesure anecdotique. Nous avions raison de ne pas manquer d’ambition. En faisant en sorte que le français puisse véritablement devenir la langue nationale et publique du Québec, la loi 101 a permis aux Québécois d’intégrer véritablement les nouveaux arrivants à leur nation et à reprendre le contrôle de leur économie, eux qui étaient condamnés à rester au bas de l’échelle. La Charte de la langue française a représenté un électrochoc et a transformé en profondeur le paysage culturel, politique et économique québécois.
Pourtant, à trop de reprises, la hache de la Cour suprême du Canada est tombée, forçant le Québec à amoindrir continuellement la portée –réelle et symbolique- de la loi 101. Jugement après jugement, les hauts tribunaux chargés d’interpréter les lois pour y imposer la logique constitutionnelle du Canada ont donné tort au Québec. Il suffit de lire l'ouvrage du juriste Éric Poirier pour s’en convaincre : elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Sur la langue d’enseignement comme sur celle de l’affichage, la loi 101 a été découpée, cisaillée, déchirée. Ajoutons à cela les démissions à répétition de la classe politique, à l’image d’un Lucien Bouchard craignant de ne plus pouvoir se regarder dans le miroir, et nous avons là un cocktail explosif d’irresponsabilité, de compromissions et de déni. Pourtant, et nous l’avons vu cet été avec la publication des chiffres du dernier recensement fédéral, il y a péril en la demeure.
Il y a dix ans, dans le cadre du trentième anniversaire de la Charte, l’ineffable Stéphane Dion a qualifié la loi 101 de « grande loi canadienne ». La formule a choqué : comment qualifier une loi qui ne survit que de peine et de misère dans le Canada de grand héritage de ce même pays ? N’est-il pas pour le moins baveux de se vanter d’une réussite quand on a tout fait pour l’abattre ? Il est vrai que le Canada a été un véritable champion de la confiscation des symboles : l’appellation « canadienne » pour désigner sa population, le Ô Canada, la feuille d’érable, le castor, etc. Tous étaient des symboles « canadiens-français » avant d’être repris par le conquérant. Même René Lévesque, à sa mort, a été qualifié de great Canadian.
Pourtant, Stéphane Dion a raison : si la loi 101 n’était pas une grande loi canadienne au départ (loin s’en faut, proposant plutôt de rompre avec les limites du système canadien) elle l’est devenue au fil du temps, à mesure qu’on arrachait tout ce qui faisait son mordant. Étant maintenant totalement conforme au régime canadien, elle peut elle aussi faire partie du Panthéon des grands succès from coast to coast. Ce qui reste de la loi 101 remplit si bien sa fonction, aujourd'hui, qu'elle nous est présentée comme un symbole de l'inutilité de l'indépendance. Nous pouvons déjà, comme province, défendre notre langue. Belle manière de se mettre la tête dans le sable et de prendre le chihuahua pour un Saint-Bernard.
Regardez bien, en ce quarantième anniversaire, ces politiciens du Canadian nation building, les Couillard et les Trudeau de ce monde, multipler les hommages creux et mielleux à ce « bel héritage » et à ce « grand moment de notre histoire », comme s’il s’agissait de folklore. Mais il ne faudrait surtout pas vivre dans le passé et penser à réactualiser les législations linguistiques, s'empresseront-ils d'ajouter.
Pour nos champions de l’Avenir avec un grand A, ce qui mérite d’être salué est forcément inoffensif. C’est quand nous ne faisons plus de bruit, quand nous quémandons et que nous revenons bredouille sans trop s’en plaindre que nous devenons soudainement beaux et gentils.
C’est tout ce qui nous attend dans le Canada. Il faudra bien un jour l'assumer.
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