Le nombre d’avortements a atteint son niveau le plus bas depuis 20 ans au Québec, une bonne nouvelle liée à une meilleure contraception, selon plusieurs.
En 2017, 21 203 femmes ont eu recours à une interruption volontaire de grossesse* (IVG), selon les données compilées par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) pour Le Journal.
Il s’agit d’une baisse marquée de 21 % par rapport à 2003, alors que 26 997 interventions avaient été faites (voir ci-dessous). Selon la RAMQ, jamais aussi peu d’avortements n’ont été enregistrés depuis 1996.
« C’est une bonne nouvelle », réagit Patricia LaRue, directrice générale de la Clinique des femmes de l’Outaouais, qui pratique les IVG.
Bien que le nombre de femmes en âge de procréer (15 à 44 ans) a diminué au Québec depuis 20 ans, cette donnée n’explique qu’une partie de la baisse. Selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), le taux d’avortement (sur 1000 femmes) aurait baissé de pas moins de 25 % depuis 2003.
Quant à la pilule abortive, disponible depuis un an, son utilisation demeure faible, mais elle pourrait augmenter dans le futur.
Hausse des stérilets
Selon les experts, une meilleure contraception est en cause pour expliquer la baisse des IVG. Depuis 2003, la pose de stérilets a explosé, passant de 11 249 à 47 544, en 2017.
« Le stérilet est vraiment le gros changement, le plus efficace », croit le Dr Jean Guimond, qui consacre sa pratique aux IVG.
D’ailleurs, une femme peut se faire installer un stérilet gratuitement après un avortement. Selon le Dr Guimond, cette option est plus efficace que la pilule contraceptive, puisque l’oubli peut mener à une grossesse non désirée.
Par ailleurs, les jeunes femmes (15 à 19 ans) ont un meilleur accès à la contraception depuis 20 ans, grâce à des cliniques à proximité des écoles.
« Le fait d’avoir donné accès, ç’a été efficace pour réduire les taux d’avortements », dit la Dre Édith Guilbert, médecin-conseil à l’INSPQ.
Elle souligne que le taux d’avortement a baissé de 56 % chez les jeunes depuis 2000.
Dur moment
Selon l’Association des obstétriciens gynécologues du Québec (AOGQ), la diminution des IVG est un pas dans la bonne voie.
« Je ne m’attends pas à ce que ça arrive à zéro jamais, dit le Dr Fabien Simard, président. Il ne faut pas jeter la pierre à personne, il faut juste supporter. »
« Il n’y a rien de plaisant pour une femme à découvrir qu’elle a une grossesse non planifiée, ajoute la Dre Guilbert. Ce n’est pas le fun de consulter, de passer à travers les interventions. Ce n’est pas quelque chose qu’on souhaite. »
* Avortements de moins de 24 semaines. Les IVG pratiquées par les médecins payés à salaire ne sont pas comptabilisées.
Nombre d’avortements pratiqués au Québec
Poses de stérilets
- 2017 : 47 544
- 2015 : 45 217
- 2013 : 39 991
- 2011 : 35 491
- 2009 : 31 119
- 2007 : 26 597
- 2005 : 22 143
- 2003 : 11 249
- Augmentation de 323 %
Pas de portrait type
Entre l’adolescente de 14 ans et la femme de 52 ans qui se croyait ménopausée, il n’existe pas de portrait type de la patiente qui a recours à l’avortement.
« On voit des femmes de tous les âges, de toutes les classes sociales. Beaucoup de femmes vulnérables, mais aussi très éduquées. Et de toutes les communautés », explique Patricia LaRue, directrice du Centre des femmes de l’Outaouais.
À titre d’exemple, cette dernière a déjà vu une femme de 52 ans qui croyait être ménopausée.
« La nature humaine dans ce qu’elle est, même les plus éduquées peuvent avoir une bad luck », dit le Dr Fabien Simard, président de l’Association des obstétriciens gynécologues du Québec.
Globalement, 80 % des avortements sont obtenus par des femmes de moins de 30 ans, selon l’Institut national de santé publique du Québec.
Encore des problèmes d’accès
Bien que le Québec soit un leader mondial quant à l’accès à l’avortement, des problèmes d’accessibilité et de résistance de la part de médecins sont encore présents.
« C’est loin d’être parfait, constate Mariane Labrecque, co-coordonnatrice à la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN). Ce n’est pas parce que le Québec est une des provinces qui a le plus de points de services qu’il n’arrive pas des choses aberrantes. »
Par exemple, une femme de Québec a appris durant la période des Fêtes qu’elle allait devoir attendre pour se faire avorter puisque les services de la région étaient fermés, dénonce la FQPN.
Au Québec, des hôpitaux comme Pierre-Le Gardeur et Pierre-Boucher n’offrent pas l’avortement (moins de 24 semaines) aux patientes. Elles sont plutôt référées à des cliniques, ou vers d’autres centres hospitaliers, répondent-ils au Journal.
Résistance de médecins
« Il y a des résistances, des gynécologues en milieu hospitalier qui devraient offrir le service, mais qui refusent systématiquement », constate le Dr Guimond, lequel consacre sa pratique aux avortements.
Résultat, l’accès est difficile pour des patientes qui ont une condition médicale particulière nécessitant un cadre hospitalier.
Enquête réclamée
En Abitibi, des problèmes d’accès ont aussi souvent été dénoncés. Dans ce contexte, la FQPN exige une enquête provinciale pour faire le point sur l’état des services.
« Ce sont des barrières administratives systémiques », dit Mme Labrecque.
Selon l’Association des obstétriciens gynécologues du Québec (AOGQ), un délai raisonnable pour obtenir un avortement est de deux à trois semaines.
La pilule abortive, choix numéro un ?
La pilule abortive deviendra le choix de prédilection des femmes pour mettre fin à une grossesse précoce, croit l’Association des gynécologues.
« Je pense que ça va devenir le premier choix très bientôt, à cause de la facilité », souligne le Dr Fabien Simard, président de l’Association des obstétriciens gynécologues du Québec.
Peu prescrite
Entre janvier et septembre 2018, 543 pilules abortives ont été prescrites, selon la Régie de l’assurance maladie du Québec. Un chiffre qui demeure marginal, considérant que plus de 21 000 avortements sont effectués chaque année.
Offerte au Québec depuis la fin 2017, cette option permet de mettre fin à une grossesse de moins de neuf semaines sans intervention chirurgicale.
Or, plusieurs médecins et organismes déplorent le manque d’accès à cette solution. En fait, les médecins de famille ne peuvent la prescrire sans avoir assisté à une formation, et doivent suivre certaines règles.
« Il ne faut pas mettre des bâtons dans les roues des médecins de famille qui veulent prescrire », dit Mariane Labrecque, de la Fédération du Québec pour le planning des naissances.
Question d’accès
« Actuellement, c’est encore très compliqué de l’obtenir », constate aussi la Dre Édith Guilbert, médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec.
Selon cette dernière, la popularité de cette méthode dépendra de l’accessibilité.
En Finlande, la pilule abortive est choisie par 90 % des femmes en début de grossesse, dit-elle.
À cet égard, le Dr Simard reconnaît que la formation devra être améliorée.
« Comme partout dans le monde, ça va devenir important. Ça vient juste de commencer. »