Charte: la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal demande d'inclure la clause dérogatoire

Résister et renverser l’inique ordre constitutionnel de 1982

La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (SSJBM) recommande au gouvernement Marois d'utiliser la clause dérogatoire afin d'éviter les contestations juridiques contre son projet de charte de la laïcité. Mais cet appui au projet de loi 60 ne fait pas l'unanimité au sein de ses rangs.
La SSJBM a dévoilé en exclusivité au Huffington Post Québec le mémoire qu'elle souhaitait présenter devant la commission parlementaire qui étudie le projet de charte de la laïcité. En raison du déclenchement probable d'élections dans les prochains jours, l'organisme ne pourra pas présenter le document à l'Assemblée nationale. (Le mémoire complet se trouve à la fin de cet article.)
Si la SSJBM accueille favorablement le projet de charte, l'organisme invite le gouvernement à inclure la clause dérogatoire dans le projet de loi 60. Cette clause permet aux provinces de se soustraire à certains articles de la Charte canadienne des droits et libertés. «Bien que nous considérons que le projet de loi 60 repose sur des assises juridiques solides, afin de soustraire la charte de la laïcité à d’éventuelles contestations judiciaires en fonction de la constitution et de la charte canadiennes qui sont imposées au Québec depuis 1982, la SSJBM recommande d’inclure la clause dérogatoire liée à l’article 33 de la dite Charte canadienne des droits et libertés.»
L'article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés permet notamment à une province de se soustraitre à l'article 2A, qui garantit la liberté de conscience et de religion.
Le président de la SSJBM, Mario Beaulieu, craint une «guérilla juridique» si la charte de la laïcité est adoptée sans recourir à la clause dérogatoire. Selon lui, ce scénario serait une répétition des contestations qui ont suivi l'adoption de la loi 101. «On voit déjà que le dénigrement de la charte est relié à une francophobie», estime-t-il. Mario Beaulieu ajoute que des médias anglophones, tel le National Post, font une oeuvre de «diabolisation des Québécois» au sujet de la charte.
Cette «francophobie», dit-il, a permis à la communauté anglophone de se livrer à de la désobéissance civile sans être punie après l'adoption de la loi 101. Il craint que les anglophones du Québec refusent cette fois d'appliquer la charte de la laïcité si elle n'inclut pas la clause dérogatoire. «Ça laisse entendre que l'état de droit s'applique seulement aux francophones et pas aux anglophones», ajoute Mario Beaulieu.
Le ministre responsable des Institutions démocratiques, Bernard Drainville, a toujours refusé d'inclure la clause dérogatoire dans le projet de loi 60. Il estime que les modifications qui sont déjà prévues à la charte québécoises des droits et libertés devraient protéger la charte de la laïcité contre les contestations judiciaires.
Fin des subventions aux écoles confessionnelles
Parmi ses autres propositions, la SSJBM va plus loin que le gouvernement Marois en demandant la fin des subventions aux écoles confessionnelles privées. Mario Beaulieu rappelle que la déconfessionnalisation dans le milieu de l'éducation a d'abord visé les écoles catholiques et protestantes. «Il est faux de dire que la charte vise seulement les minorités, dit-il. La laïcisation a commencé avec les déconfessionnalisations des écoles.»
Au sujet de la langue, la SSJBM propose de remplacer l'expression «primauté de la langue française» dans le projet de loi 60 pour plutôt affirmer que le français est la «langue officielle et commune».
Finalement, le mémoire de la SSJBM suggère de retirer le crucifix de l'Assemblée nationale, de même que tous les symboles liés à la monarchie britannique. L'organisme associe ces derniers à des signes religieux, puisque la reine d'Angleterre est, en théorie, à la tête de l'Église anglicane.
Dissension au sein du Mouvement national
L'automne dernier, l'ex-président de la SSJBM, Jean Dorion, s'était prononcé publiquement contre la charte des valeurs. Celui-ci estimait que le projet nuirait aux efforts de rapprochement des souverainistes avec les communautés culturelles. Jean Dorion a également publié en septembre un livre intitulé «Inclure. Quelle laïcité pour le Québec?».
Mario Beaulieu reconnaît que le conseil général de la SSJBM, sorte de conseil d'administration de l'organisme, est «très divisé» sur le sujet. Jean Dorion, qui y siège à titre de conseiller, a notamment voté contre l'appui au projet de loi 60. «Mais nos membres sont très largement favorables au projet de charte, alors nous l'avons appuyé», dit-il.
Le projet de charte de la laïcité a également amené une certaine dissension au sein du Mouvement national du Québec (MNQ), qui regroupe les dix-huit sociétés nationales, dont la SSJBM. Ces organismes ont notamment le mandat d'organiser les fêtes nationales du 24 juin.
Le MNQ a diffusé mardi une lettre ouverte sur Le Huffington Post Québec en appui au projet de charte. La missive est signée par tous ses organismes membres, sauf la SSJBM. «Il y avait des éléments avec lesquels nous n'étions pas à l'aise, parce que la lettre prend une position plus large [NDLR: que sur l'enjeu de la charte]», dit Mario Beaulieu, sans vouloir dévoiler points en litige.
Le président du MNQ, Gilles Laporte, estime que ce sont les dissensions internes à la SSJBM qui expliquent ce désistement. «Ils ont décidé de ne pas signer la lettre sans nous fournir davantage de précision», dit-il.
Protéger le patrimoine culturel
Dans la lettre, les signataires affirment : «[...] le Québec n’est pas une page blanche où chacun peut imposer sans contrainte des valeurs qui lui soient contraires; qu’au moment d’affirmer son attachement à ces valeurs, le peuple du Québec n’a pas à se laisser dicter sa conduite, ni par le Canada anglais, ni par les juges, ni par une charte canadienne à laquelle il n’a jamais officiellement adhéré; et, enfin, qu’il n’a pas non plus à se laisser guider par la peur ou le sentiment d’urgence, mais au contraire profiter de chaque occasion pour rappeler les principes qui fondent son unité et sa solidarité.»
Le président du MNQ espère que la Charte fera partie des enjeux discutés en campagne électorale. Gilles Laporte croit même que le débat devrait être élargi. Alors que le projet de charte vise uniquement les employés du gouvernement, Gilles Laporte souhaite que le gouvernement fasse «rayonner» la laïcité dans la société. «Ça ne veut pas dire d'interdire les signes religieux, mais nous croyons que le gouvernement doit jouer un rôle d'exemple, il doit envoyer des messages», dit le président du MNQ.
De plus, le MNQ souhaite que les valeurs patrimoniales du Québec soient mieux protégées. «Le groupe historique qui habite le Québec doit faire l'inventaire des valeurs qu'il souhaite voir présider dans l'espace public, explique Gilles Laporte. Il n'est pas question d'interdire, mais de se doter de règles pour que ceux qui s'ajoutent puissent être informés qu'ils arrivent dans une société qui présente telles ou telles caractéristiques.»
Par exemple, Gilles Laporte déplore le retrait des sapins de Noël dans les bureaux de la Société de l'assurance automobile du Québec. «On les a enlevés parce qu'on pensait que ça pouvait être offensant pour ceux qui ne partagent pas le culte chrétien, dit-il. Tout le monde a trouvé ça un peu étrange parce qu'on ne voit pas en quoi un sapin de Noël fait du prosélytisme religieux.»
Gilles Laporte estime qu'une loi pourrait venir protéger cet héritage patrimonial. «Il y a une tendance à l'heure actuelle à gommer, à effacer les signes de notre héritage, notamment religieux. Il faut y mettre fin.»


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