Ceux qui voient “large”...

Chronique de José Fontaine


Fatalement, le Québec étant moins grand que le Canada, il est toujours possible aux adversaires de son indépendance de dire qu’ils veulent se replier sur eux-mêmes et refuser de vivre avec les autres qui sont différents d’eux. Autant bien voir cet argument en face. Le fait est qu’il est difficile de s’y opposer, non pas pour les gens qui veulent réfléchir, les gens de bonne foi, mais lorsque l’on est dans une polémique ou une joute. Ou bien lorsqu’un présentateur télé vous dit que vous avez deux minutes pour vous exprimer. C’était le cas avant-hier quand la RTBF a présenté une grande émission intitulée “Que font les Wallons?”, une émission sur les Wallons, après une sur les Flamands, et la troisième à venir sur les Bruxellois, avec cette caractéristique que les Wallons forment quasiment tout le public de la RTBF mais qu’ils auront été traités comme un groupe extérieur par leur propre télé ressentie comme avant tout bruxelloise, vu son implantation. Cela fait bizarre d’entendre dire dans ce genre d’émissions “on est en Wallonie” (l’émission avait lieu à partir de Liège), comme si un présentateur d’une télé française ou norvégienne disait “on est en France" ou “on est en Norvège”.
Mais sans doute que, aux yeux de ceux qui voient “large”, je suis déjà mesquin. Il est vrai qu’aux yeux de beaucoup de monde, hors de Belgique, la querelle entre Flamands et Wallons prête à sourire. Ce matin, je discutais du vingtième anniversaire de notre revue avec une amie à qui je disais que j’avais contacté pour cet anniversaire un historien irlandais s’exprimant aisément en français et qui a beaucoup étudié la question belge. Mais lorsqu’on le lit, lorsqu’on l’entend, il attaque cette question comme un vrai problème intellectuel, sans commencer par s’excuser d’en parler. Et cette manière intellectuelle d’aborder les choses est finalement plus respectueuse qu’on ne le suppose.
Après tout, en 2007, on peut vraiment dire que la question des rapports entre Flamands et Wallons se pose depuis plus d’un siècle. Elle a été sensible dans le mouvement ouvrier déjà même en 1890 avec cette lettre d’un leader important qui avait même fondé un Parti socialiste wallon. Dans ce texte qui est tout sauf anodin, la rivalité ne vient pas à proprement parler d’une domination des Flamands mais du fait que la Flandre moins industrialisée que la Wallonie a une classe paysanne majoritaire qui donne une majorité à un Parti catholique flamand extrêmement conservateur, clérical, hostile au progrès, aux réformes sociales. Dès lors quand les socialistes wallons veulent la grève générale pour conquérir le suffrage universel, les socialistes flamands évoluant dans un milieu plus hostile ne le veulent pas.
Ce que je viens de dire n’est pas à retenir nécessairement. Ce qui est à retenir c’est que lorsque deux peuples différents vivent dans un même Etat, cet Etat veut évidemment à tout prix réduire ce qui les différencie l’un de l’autre et les deux peuples en question ne sont pas acquis à cette normalisation. Ils n’ont pas tort. Où peut-on trouver un argument en faveur de l’idée que l’uniformisation serait la seule chance d’avenir de l’humanité?
En outre, même si les Wallons et les Flamands avaient tort de vouloir demeurer eux-mêmes, c’est bien en face de cela que l’on se trouve lorsque l’on examine un siècle d’histoire derrière soi. Et aussi – surtout – lorsque l’on se rend compte que dans presque tous les domaines (la vie syndicale, associative, économique, culturelle, religieuse, politique, les médias etc.), les Wallons et les Flamands choisissent de s’organiser sur une base soit flamande, soit wallonne, et ne désirent rien modifier à cet égard. Y compris pas ceux qui disent que "se battre pour la Wallonie, c’est se replier sur soi".
Ce qui étonne aussi, c’est que cela dure depuis longtemps puisque plusieurs ordres religieux ont estimé dès le début du 17e siècle qu’il fallait qu’il y ait chez nous une province wallonne et une province flamande. Dans l’ouvrage offert au Professeur Jean Pirotte pour son éméritat, il y a un bel article à ce sujet, dont j’ai tiré parti sur l’encyclopédie Wikipédia
Personne ne dira qu’il faut se restreindre à l’horizon de son seul pays. Ce que les autonomistes disent, tant au Québec qu’en Wallonie, c’est que le monde ne s’offre à nous, avec ses mille ouvertures, qu’à partir de ce que l’on est et que se dire citoyen du monde comme si cela allait de soi, c’est mentir. Oui, mille fois oui! qu’il faut être citoyen du monde! mais en sachant que l’on ne comprend un pays qu’après l’avoir longtemps visité et habité, appris sa langue, etc. Et y avoir rencontré des gens qui y étaient profondément enracinés. Si tout le monde commençait par se proclamer citoyen du monde sans plus, cela ne ferait pas un chant puissant mais une horrible cacophonie. Les grandes oeuvres musicales naissent de lents et infinis rapprochements entre les notes, les instruments, les voix humaines, un grand auteur, les musiciens et un public. C’est ainsi aussi que le monde aura un coeur fait du coeur de tous les peuples et non de broyer l’âme de l’Homme d’emblée différent de l’Homme.
José Fontaine

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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