Casse-toi, pauv'con

C'est bien connu, le président français a horreur des importuns. Puisque le Québec ne semblait pas vouloir comprendre que le Canada était sa nouvelle flamme, il a décidé de lui expliquer les choses à sa façon: «Casse-toi pauv' con».

Sarko décore Charest - février 2009

Nicolas Sarkozy devait être bien irrité après son [passage éclair au Sommet francophone->rub738] de voir ses subordonnés tenter d'atténuer les propos pourtant très clairs qu'il avait tenus à l'issue de son tête-à-tête avec Stephen Harper à la Citadelle de Québec.
Selon le secrétaire d'État à la Francophonie et aux Affaires européennes dans le gouvernement Fillon, [Alain Joyandet, un brin condescendant->15678], cette «petite polémique» était simplement le fruit d'une «animation journalistique» typiquement québécoise.
Comment pouvait-on s'intéresser à ces peccadilles au moment où le président de la République, qui avait eu la bonté de s'arrêter à Québec malgré une situation économique alarmante, s'affairait à rien de moins qu'à «refonder le capitalisme»?
Pas question que M. Sarkozy laisse l'impression qu'il pouvait hésiter à dire le fond de sa pensée! Qu'il s'agisse d'un chat ou de la «racaille», il faut bien appeler les choses par leur nom.
C'est bien connu, le président français a horreur des importuns. Puisque le Québec ne semblait pas vouloir comprendre que le Canada était sa nouvelle flamme, il a décidé de lui expliquer les choses à sa façon: «Casse-toi pauv' con».
Le plus remarquable n'était pas sa diatribe contre les souverainistes québécois, mais plutôt le malaise que cela a provoqué chez le premier ministre Charest, qui conservera un souvenir doux-amer du jour où il a été décoré de la Légion d'honneur.
Dans son acharnement à casser du séparatiste, M. Sarkozy ne s'est peut-être pas rendu compte de l'embarras dans lequel il plongeait son invité. Ou encore, cela lui était totalement indifférent.
Ce qui aurait dû être un moment d'intense satisfaction pour M. Charest demeurera un souvenir doux-amer. Il ne pourra jamais regarder sa médaille de la Légion d'honneur sans penser que le président de la France a profité de l'occasion pour insulter la moitié des Québécois.
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Bien entendu, M. Sarkozy a parfaitement le droit d'être opposé à la souveraineté et de le dire. On s'attend néanmoins du chef d'un État membre du G8 qu'il sache minimalement de quoi il parle.
M. Charest ne pouvait pas dénoncer l'«ignorance crasse» du président, comme l'a fait Gilles Duceppe, mais les allusions de M. Sarkozy au «sectarisme» et à «l'enfermement sur soi-même» l'ont visiblement gêné.
Même Bob Rae, qui ne peut pas être soupçonné de sympathie excessive pour le nationalisme québécois, a constaté que le président français avait «beaucoup d'opinions sur beaucoup de sujets». Autrement dit, qu'il parle souvent à travers son chapeau.
Il est vrai que M. Sarkozy ne semble pas connaître le Canada mieux qu'il ne connaît le Québec. Quand il déplore «cette obligation de définir son identité par opposition féroce à l'autre», il décrit parfaitement le problème identitaire du Canada anglais face aux États-Unis.
Le mot «détestation», également utilisé par le président, aurait pu s'appliquer à cette députée libérale, Carolyn Parrish, qui avait été expulsée du caucus de son parti après avoir qualifié publiquement les Américains de «salauds» et participé à un sketch télévisé dans lequel elle piétinait une poupée représentant George W. Bush.
Cela dit, on peut très comprendre que le «modèle québécois» ne corresponde pas à celui dont rêve le président. Même les parachutes dorés dont on se scandalise ici semblent minables par rapport à ceux qu'on accorde aux dirigeants d'entreprises françaises qui les mènent au bord de la faillite.
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M. Charest a sans doute raison de dire que, dans l'hypothèse où il y aurait un autre référendum et que le Oui l'emportait, la France reviendrait à sa position traditionnelle et «accompagnerait» le Québec dans la voie qu'il choisirait. Même M. Sarkozy pourrait difficilement ignorer le mouvement de sympathie que cela provoquerait dans l'opinion française.
De toute manière, si jamais il y a un autre référendum un jour, M. Sarkozy sera probablement à la retraite, même s'il a droit à un deuxième quinquennat. En attendant, la nouvelle politique française ne peut que nuire au Québec, même s'il demeure une province canadienne, surtout s'il demeure une province canadienne.
Le président ne semble pas mesurer -- Paul Desmarais a dû omettre de lui expliquer -- les difficultés qu'un gouvernement, même aussi fédéraliste que celui de M. Charest, éprouve à préserver le rapport de forces du Québec au sein de la fédération.
Dans les années 1960, les gouvernements qui se sont tournés vers la France n'étaient pas souverainistes. Ils cherchaient simplement l'oxygène dont une société française aussi isolée en Amérique du Nord avait un besoin vital. Il faut certainement se réjouir du resserrement des liens économiques avec la France, mais il ne rend pas son appui politique moins nécessaire.
Égal à lui-même, le maire de Québec, Régis Labeaume, a applaudi «l'honnêteté et la transparence» de M. Sarkozy. Puisqu'il est de passage à Paris, M. Labeaume pourrait en profiter pour l'inviter à présider la commémoration de la défaite des plaines d'Abraham. Il goûterait certainement le spectacle.
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mdavid@ledevoir.com


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