Caisse de dépôt: le capitaine ou le bateau?

Réplique - Comment M. Courville peut-il conclure que la Caisse de dépôt est trop grosse à partir de quelques exemples d'erreurs. Où est la rigueur dans cet exposé?

L'affaire de la CDP - les réformes


La Caisse de dépôt est un comme un bijou de famille; on n'ose pas trop remettre en question sa présence et son utilité. Pourtant, elle a un passé lourd de conséquences que l'on refuse souvent de regarder en face. On s'en tient beaucoup trop à ses promesses sans déplorer qu'elle ne les tienne pas. On placote beaucoup sur son mandat, son prestige et je ne sais quoi d'autre. Il convient parfois de peser et de mesurer, après tout c'est un bas de laine.
Or, l'histoire de la Caisse est parsemée de sérieux revers que l'on a occultés. Son destin est intimement relié à la personne qui la dirige; nous argumentons qu'une gouvernance déficiente confère au président un pouvoir disproportionné qui fut une source de désastres et d'excès disproportionnés.
Depuis 1980, la Caisse a connu quatre régimes présidentiels: Jean Campeau, le tandem Jean-Claude Delorme-Guy Savard, Jean-Claude Scraire et finalement Henri-Paul Rousseau. De tous ces ex, il n'y a que Jean Campeau dont l'étoile semble encore briller. On ne parle pas de Guy Savard ou de Jean-Claude Delorme (alors que leur bilan est sans reproche) et l'on sait dans quel état Scraire et Rousseau sont partis.
Pourtant, même l'époque Campeau a laissé des bavures sérieuses. Si on lit La Machine à milliards de Mario Pelletier, un hommage à Jean Campeau pour son départ de la Caisse, certains des grands coups mentionnés se sont soldés plus tard par de sérieuses débâcles. Jean Campeau parachute, en jouant le poids de la Caisse, Pierre Lortie à la direction de Provigo, écartant Pierre Lessard (la personne responsable aujourd'hui des immenses succès de Métro-Richelieu) de la succession à Antoine Turmel, le fondateur. Provigo, une entreprise québécoise de grande envergure, n'existe plus aujourd'hui, conséquence directe de cette initiative et des frasques de Pierre Lortie que semblait entériner Jean Campeau. Puis, la transaction refusée de fusionner Domtar et Consolidated Bathurst sous prétexte que le titre de Domtar alors détenu par la Caisse et la SGF est sous-évalué; une autre erreur d'immense proportion. Je ne mentionnerai encore de cette époque que l'alliance avec les Bronfman pour l'acquisition de Noranda sous le chapeau de Brascade et la transaction de Gaz Metro qui elles aussi ont assez mal tourné, merci. Dans le cas de Brascade, l'aventure s'est soldée par une perte de plus de 800 millions, près de 4 milliards en dollars de 2009.
Inutile de parler du cas de Scraire ou de Rousseau, la démonstration est déjà faite. Sauf que dans le cas présent, il vaut quand même la peine de mettre les choses en proportion, ce qui nous mettra sur la piste des vices dont la Caisse souffre. On dit que la Caisse annoncera des pertes de l'ordre de 38 milliards. Retenons ce chiffre à des fins pédagogiques. Pour bien du monde, 38 milliards, surtout dans la valse des chiffres que l'on nous présente ces jours-ci un peu partout dans le monde, demeure un chiffre difficile à apprécier. Au Québec, nous sommes 7 millions de personnes; c'est le per capita qui absorbe et paiera pour ces 38 milliards de pots cassés. Les Américains sont 300 millions. Une perte de cette proportion aux États-Unis se chiffrerait à 1 billion, 628 milliards, soit un montant plus élevé que tous les programmes de stimulants économiques votés par ce pays. Ce n'est pas un problème, c'est un dégât de gigantesques proportions. Pire qu'Enron. Il est presque certain qu'à terme les pertes s'avéreront inférieures à ce montant. Mais pour le moment voilà l'ampleur du gouffre à combler!
La gouvernance
La source de ces déboires réside dans la gouvernance de la Caisse. Je ne montre pas du doigt ceux que l'on a nommés à son Conseil même si, par moments, l'expertise n'apparaissait même pas comme un critère de sélection. Au contraire, leur tâche est presque impossible. La gouvernance est la conséquence du mandat que l'on a donné à ce conseil au fil du temps, mandat imprécis et ambigu.
Les principales failles de gouvernance sont le manque d'indépendance, une opacité digne des barons industriels du XIXe siècle et la négligence de sa supervision. Contrairement à ce que l'on nous laisse entendre, le président de la Caisse relève aussi du gouvernement, pas seulement de son conseil, ne serait-ce qu'à cause des liens l'unissant à ces déposants, la plupart des organismes gouvernementaux, qui imposent aux gestionnaires de la Caisse des contraintes au niveau du placement. Cette dépendance est plus ou moins grande selon les gouvernements; Jacques Parizeau répète constamment que si l'on a un problème économique quelconque au Québec, un coup de fil à la Caisse suffit pour le régler.
L'opacité, on l'a vu dans le monde financier ou économique, est une arme pernicieuse. Elle permet l'accumulation d'erreurs et de bévues, puisque l'on se met à l'abri de toute évaluation et critique. La Caisse n'a aucunement besoin de se cacher pour obtenir de bons résultats, au contraire.
Enfin, abordons la négligence, sorte d'explosif dans ce cocktail endormant la gouvernance. À la Caisse, l'actionnaire ne se comporte pas comme tel. En fait, pas d'assemblée annuelle, pas de circulaire d'information ou de documents détaillant stratégie et perspectives. La Caisse est sans contrepoids, sans compte à rendre, sans concurrence. Elle n'est pas soumise à la recherche des courtiers, aux normes des agences de valeurs mobilières. En fait, aucune réglementation ne la touche. Si bien que, depuis quarante ans, la Caisse est l'oeuvre d'un seul homme, son p.-d.g. qui fait la pluie et le beau temps.
Il n'y a pas de magie à instaurer une meilleure gouvernance; les exemples abondent. Mais il faut ajouter un autre élément. La Caisse est trop grosse! Elle n'a pas besoin de cette taille disproportionnée à notre économie et notre société pour opérer efficacement. Au contraire, si l'on veut éviter des pertes dont l'équivalent aux États-Unis dépasserait le billion (mille milliards), il convient de diversifier les risques, critère numéro 1 du placement. Diversifier, ça veut dire ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. On ne serait donc plus à la merci d'une école de pensée et d'un seul modèle organique. D'ailleurs, pour les principales opérations de la Caisse, une taille trois fois plus petite est amplement suffisante. Et un modèle à trois Caisses en plus d'introduire une saine concurrence, multiplierait l'expertise financière rendant le milieu québécois encore plus riche en talents. Et, ce modèle diversifié pourrait fort bien s'accommoder d'un lien organique entre les unités à la manière d'un holding financier; cette parenté n'est pas nécessaire, mais pourrait satisfaire les appréhensions des nostalgiques de la grosseur. Peut-être qu'à ses débuts, on pouvait argumenter que le milieu québécois manquait de ressources humaines. C'est un peu l'inverse aujourd'hui, la Caisse perdant souvent de bons talents ne pouvant tous les promouvoir.
J'aimerais résumer en répétant qu'à part le tandem Delorme-Savard, les présidents passés de la Caisse ont laissé un héritage douteux, très coûteux pour la société québécoise. Leurs intentions, leur bonne foi et leur intégrité ne sont pas remises en cause. Mais les faits sont là, indiscutables. Et la faille est la structure organisationnelle de la Caisse, y compris sa taille. Il est temps d'oublier la grosseur et de restaurer la grandeur par l'instauration d'un modèle de gouvernance basé sur un minimum de transparence et instaurant des contrepoids à la gestion débridée sans responsabilité.
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Léon Courville, Économiste
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Réplique - "Le capitaine ou le bateau ?"

Comment M. Courville peut-il conclure que la Caisse de dépôt est trop grosse à partir de quelques exemples d'erreurs. Où est la rigueur dans cet exposé?
Quelques commentaires sur les erreurs:
- La nomination de Pierre Lortie chez Provigo s'inscrivait dans une stratégie de diversification de l'entreprise, décidée par son conseil d'administration. C'était un choix stratégique que des milliers d'entreprises ont fait dans les années 1980. Critiquer cette stratégie à la mode de l'époque, c'est critiquer tout un mouvement de management soutenu par de nombreuses écoles de gestion. Il est certes facile aujourd'hui de ne retenir de cet échec que la nomination d'un homme par la Caisse, car cela évite l'analyse rigoureuse.
- La transaction refusée de fusionner Domtar à Consolidated Bathurst était un coup de relations publiques de Power. Je suis étonné que ce refus d'une proposition spontanée qui n'en était pas une ait fait autant de millage jusqu'à ce jour.
- Brascade était une erreur où un investissement minoritaire dans un «holding» rendait la Caisse prisonnière de l'actionnaire majoritaire. Cette erreur, coûteuse certes, a amené les caisses de retraite à être plus actives dans la gestion de leurs placements et à rechercher un minimum de liquidité dans leurs placements privés.
Savard et Delorme sans reproches? Les rendements très moyens et l'immobilisme de cette époque ne pouvaient être soulignés par un avocat d'une gouvernance de contrepoids. Cette absence de reproches ne serait-elle pas le fruit d'une philosophie qui préconise qu'une caisse qui ne fait rien (donc qui ne fait pas d'erreurs) est meilleure qu'une caisse active et «proactive»?
«La démonstration des cas de Scraire et de Rousseau est déjà faite!» Quelle démonstration? Celle faite par des journalistes brouillons en mal de gros titres? Celle faite par des politiciens en mal de photos devant l'immeuble de la Caisse? Et pourquoi occulter les bons coups, les performances exceptionnelles de la majorité des périodes?
Comment peut-on conclure de façon aussi désinvolte un sujet qui aurait eu besoin d'une analyse plus rigoureuse? Profiter de résultats désastreux pour lancer le débat sur la taille de la Caisse ne présage pas d'un débat sérieux et serein.
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Jean-Claude Cyr, Le 24 février 2009


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