Robert Dutrisac - Le mauvais rendement de la Caisse de dépôt ramène à l'ordre du jour des critiques incisives sur son organisation. Trop grosse, la Caisse? Sans contrepoids, ni concurrence?
«Quarante milliards, c'est beaucoup d'argent pour sept millions de pauvres», a lancé cette semaine Léon Courville, qui n'en est pas à ses premiers propos cinglants. Mais pour cet ancien dirigeant de la Banque Nationale maintenant à la retraite, les déboires de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) sont une illustration de plus de la nécessité de scinder l'institution devenue trop grosse avec le temps, a-t-il expliqué au Devoir.
Quarante milliards pour le Québec, c'est l'équivalent de 1,63 billion de dollars pour les États-Unis, une somme supérieure à la valeur du plan de relance de Barack Obama, calcule Léon Courville. C'est pire qu'Enron, compare-t-il.
À ses yeux, la Caisse souffre d'une «gouvernance déficiente» qui confère à son président et chef de la direction «un pouvoir disproportionné qui fut source de désastres et d'excès disproportionnés», aujourd'hui comme hier.
«À la Caisse, il n'y a jamais de succession. Il faut toujours chercher quelqu'un de l'extérieur et la personne est érigée comme une espèce de dieu tout-puissant. Tout est centré autour de sa personne. Ce n'est pas correct. Une équipe de gestion, ce n'est pas une ou deux personnes», fait-il remarquer.
Le conseil d'administration de la Caisse «manque d'indépendance» et son mandat est «imprécis et ambigu», croit Léon Courville. La Caisse, dont il dénonce l'opacité, est laissée sans contrepoids, sans concurrence. «C'est trop gros pour notre société», juge-t-il.
Le fondateur de la firme de gestion de portefeuilles Jarislowsky Fraser est du même avis. «La Caisse est trop grande pour le Québec et le Canada», estime Stephen Jarislowsky. Il cite l'exemple de l'Ontario où plusieurs caisses font le travail que la CDPQ s'est réservée à elle seule.
Trois entités
En 2007, la Caisse gérait un avoir net de 155 milliards de dollars qui a reculé à 120 milliards en raison de sa sous-performance de 2008. Elle compte 25 déposants, dont, parmi les plus importants, la Régie des rentes du Québec, les régimes de retraite des employés de l'État, la Commission de la santé et de la sécurité au travail et la Société d'assurance automobile du Québec.
En Ontario, les déposants ont créé des caisses distinctes. Ainsi, la caisse de retraite des enseignants de l'Ontario, Teachers, gère des fonds totalisant 108 milliards et la caisse de retraite des employés municipaux, OMERS, chapeaute 52 milliards. La plus grosse caisse de retraite en Amérique du Nord, CalPERS, qui dessert les employés de l'État de la Californie, gère des avoirs d'une valeur de 183 milliards $US.
Léon Courville propose de scinder la CDPQ en trois entités d'une taille moyenne de 50 milliards de dollars. À sa création en 1965, il était sans doute nécessaire de n'avoir qu'une seule caisse mais ce n'est plus le cas, soutient-il. «Il n'y a pas d'économie d'échelle dans la gestion de portefeuilles.»
Claude Béland, cet ancien président du Mouvement Desjardins maintenant à la tête du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MEDAC), a siégé 13 ans au conseil d'administration de la CDPQ. Bien qu'il soit en désaccord avec l'idée de scinder la Caisse, il fait les mêmes constats que Léon Courville sur sa gouvernance. «Henri-Paul Rousseau menait un one man show», rappelle-t-il. Le conseil d'administration de la Caisse n'a jamais été guère plus qu'un comité consultatif.
«C'est encore plus vrai aujourd'hui», en a déduit M. Béland en entendant l'actuel président du c.a., Pierre Brunet, dire, lors du dévoilement des résultats de la Caisse cette semaine, que son conseil se contentait d'établir les grandes orientations de l'institution et que la direction le consultait parfois pour les gros placements. M. Béland est même d'avis que la responsabilité d'édicter les grandes orientations de la Caisse relève plutôt du chef de la direction et du gouvernement.
L'avantage de la masse
Interrogé cette semaine par Le Devoir, Jacques Parizeau, l'un des concepteurs de la Caisse en 1965, rejette cette idée de scinder le bas de laine des Québécois. L'ancien premier ministre dit «regretter infiniment» que la Caisse n'ait pas conservé la propriété d'Alcan au Québec. Rio Tinto a fait l'acquisition d'Alcan pour la somme de 38 milliards $US en 2007.
La Caisse devrait aussi se préparer à assurer le contrôle québécois de certains de nos fleurons devenus des proies possibles en raison de la baisse des cours boursiers. C'est le cas, par exemple, de SNC-Lavalin, relève-t-il. «Il y a un très grand avantage à disposer d'une grande masse d'argent qui peut servir quand on en a besoin pour l'intérêt national», fait valoir Jacques Parizeau. On ne peut manquer de penser tout de suite au plan O -- cette réserve de plusieurs milliards -- concocté en prévision du référendum.
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