Bas de laine, pécule pour spéculer ou levier de développement? - Que faire de la Caisse en temps de crise?

L'affaire de la CDP - les réformes


Les assises de la crise remontent à 2004, le gouvernement Charest, réagissant à ce qui était perçu comme de l'ingérence politique dans l'activité de la Caisse et à la mauvaise gouvernance qui en résultait, a revu et corrigé le mandat de l'institution en lui demandant une chose: rendement, rendement et rendement. Le syllogisme de l'efficience des marchés financiers adopté par Henri-Paul Rousseau reprenait une idée véhiculée aux État-Unis sur GM dans les années 1950: «ce qui était bon pour GM était bon pour l'Amérique». Ici, ce qui est bon pour les rendements financiers est bon pour le développement économique du Québec.
La Caisse s'est donc lancée tête baissée dans l'innovation financière. Toute l'imagination et la créativité de l'organisation furent mobilisées par une culture de l'activité spéculative. Résultat, en 2007, 40 % des rendements de la Caisse proviennent de l'arbitrage sur le marché des changes. La spéculation sur le change n'est qu'un des segments des nouveaux marchés où elle agit. La Caisse, comme beaucoup d'autres fonds, participe activement au mouvement de financiarisation de l'économie qui, selon plusieurs, a préparé le terrain à la crise économique actuelle. Il faut rappeler que la Caisse demeure de loin un des plus importants acteurs sur les marchés financiers canadiens.
Problème de gouvernance ou nouveau mandat interventionniste?
Les pertes de 38 milliards sont associées à la participation de la Caisse au marché des PCAA, papier commercial adossé à des actifs. Ce marché était au coeur du mécanisme de titrisation des créances de consommateurs américains et canadiens. Essentiel au maintient de la croissance depuis une décennie, il a permis l'expansion de l'endettement des ménages salariés à des niveaux inédits dans l'histoire économique moderne et «l'intoxication» des marchés par les fameux hypothèques subprimes. On associe actuellement les pertes de la Caisse à un problème de gouvernance et de mauvaise gestion. Nous croyons plutôt que la Caisse a agi conformément à son nouveau mandat qui finalement s'avère tout aussi interventionniste que son mandat précédent. La Caisse n'a pas joué un rôle passif ou secondaire dans le développement du marché des créances mobilisées au Canada. Il est important de rappeler qu'en 2007 au Canada, lors de l'éclatement du resserrement du crédit qui a mené à la crise économique que nous connaissons, les acteurs du marché du papier commercial se sont tous retrouvés à Montréal dans les bureaux de la Caisse pour tenter, en vain, de trouver une solution à l'effondrement de ce secteur des marchés financiers et monétaires. La Caisse était perçue par tous les acteurs comme le «market maker» des PCAA, le «teneur» de marché, l'acheteur en dernier recours. Pourquoi la Caisse est-elle devenue un joueur central au point où presque 25 % des PCAA lui appartenaient?
Depuis que la Caisse a fait de la recherche de rendements élevés son seul objectif, elle a mis en place des dispositifs incitatifs internes, essentiellement des primes au rendement à court terme, qui renforcent une culture de la spéculation. La mesure du rendement dans le milieu financier est relativement simple. Pour être récompensé, il faut «faire mieux que le marché» (beat the market), que l'on mesure par l'écart positif (ou négatif) du rendement des placements d'un gestionnaire par rapport au rendement moyen de placements similaires. À très court terme et à l'occasion, une bonne gageure, un bon calcul et l'accès à une information privilégiée permettent de «battre le marché», mais généralement, la seule manière de s'écarter systématiquement du rendement moyen est de jouer sur le niveau de risque du portefeuille. Faire des placements plus risqués rapporte plus à court terme. La Caisse, sous Henri-Paul Rousseau, a diversifié ses stratégies de placements et a participé activement à l'innovation financière qui a caractérisé la période qui a précédé la crise actuelle. Année après année, elle a «battu le marché» et la honte associée aux ratés de l'investissement dans Québec inc. et les entrepreneurs proches de la classe politique se sont fait oublier.
L'économie croit au rythme annuel de 2 à 5 %; pourtant la Caisse rapporte presque bon an, mal an, un rendement supérieur à 10 %. Quel génie! En 2008, elle se fait prendre à son propre jeu et essuie des pertes massives du marché qu'elle a contribué à mettre sur pied.
Bas de laine ou levier de développement ?
Il faut le rappeler, l'actif de la Caisse représente 40 % du produit intérieur brut du Québec. Elle a donc la possibilité de marquer profondément la structure et la dynamique de notre activité économique, comme en témoigne d'ailleurs l'appui de la Caisse au développement du marché de la titrisation au Canada. Ce qui démontre d'ailleurs que la tentative en 2004 de «neutraliser» l'impact politique de la Caisse était un leurre. Cantonner la Caisse dans un mandat de rendement financier signifiait d'orienter son activité vers le développement d'une sphère financière de plus en plus spéculative, à court terme et vorace de rendements, sans égard à son impact sur l'économie réelle. Il faut d'ailleurs souligner que toutes proportions gardées, les pertes associées à cette débâcle font paraître comme dérisoires les pertes associées à l'appui des projets douteux de Québec inc. pendant les années Scraire.
La Caisse, dès son origine, a été conçue pour être plus qu'un «bas de laine». Elle est un outil d'intervention et de souveraineté économique. Avoir voulu d'un bas de laine, il aurait suffi de mettre en concurrence plusieurs gestionnaires de fonds en leur confiant une partie du magot de l'épargne institutionnalisée des Québécois. Des vérificateurs externes et des représentants du gouvernement auraient supervisé la gestion des diverses épargnes et notre actif aurait cru et fondu suivant les aléas du marché et de notre tolérance au risque. Les artisans de la Révolution tranquille ont plutôt choisi de centraliser cette épargne et d'en faire un levier de développement dans un moment décisif de l'histoire du Québec.
Nous devons à nouveau faire face à des défis économiques cruciaux pour notre avenir. D'un côté, tous prêchent pour une relance d'un modèle économique en crise qui a montré ses limites sur le plan social: inégalités, endettement, surconsommation, infrastructures publiques délabrées. D'un autre côté, nous sommes aux prises avec une crise écologique de plus en plus palpable qui remet en question l'idée même d'une relance par la croissance de la consommation. Plusieurs analystes plaident pour un plan de sortie de crise qui réorienterait significativement le développement de nos économies vers un modèle plus écologique, moins dépendant des marchés internationaux et plus solidaire. La Caisse, tant le poids de son actif que l'imagination et la créativité de ses travailleurs, pourrait être mise au service de ce projet de sortie de crise. Et, je suis certain que de miser sur le développement de notre souveraineté économique rapportera à long terme les rendements nécessaires au maintien de la croissance responsable et réaliste de nos épargnes collectives.
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Éric Pineault, Professeur au département de sociologie et directeur de recherche à la chaire de recherche du Canada en mondialisation, citoyenneté et démocratie de l'UQAM

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Éric Pineault, Professeur au département de sociologie de l'Université du Québec à Montréal, directeur de recherche à la Chaire de recherche du Canada sur la mondialisation, la citoyenneté et la démocratie ainsi que membre du Collectif d'analyse de la financiarisation du capitalisme avancé (CAFCA)





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