Pétro-économie québécoise: les risques

Démontrer qu’une exploitation des gisements du golfe est rentable, faisable et viable sur le plan environnemental.

Une telle stratégie énergétique ne pourrait être acceptable qu’à quatre conditions
Éric Pineault
Professeur au département de sociologie de l’UQAM 23 novembre 2012

Une plateforme de forage en mer de Norvège. L’adoption du modèle norvégien d’exploitation publique et de gestion de la rente pétrolière devrait être une des conditions du développement pétrolier au Québec. Le gouvernement du Parti québécois semble déterminé à ouvrir la filière de l’exploitation pétrolière au Québec. Tout en faisant miroiter les millions que cela pourrait générer pour la société, on nous promet un développement qui obéira aux plus stricts critères de l’acceptabilité sociale et environnementale. Dans ces temps d’austérité et de grande stagnation économique, la rente pétrolière fait rêver : remboursement de la dette, garderies, routes, ponts et hôpitaux. Et pourtant, quand on regarde de près les implications écologiques et économiques, une saine hésitation s’impose avant de se jeter bras ouverts dans l’huile schisteuse.
Il est important de rappeler d’abord que l’essentiel des gisements du Québec consiste en des réserves non conventionnelles dont l’exploitation est très risquée sur le plan environnemental (le pétrole de schiste a un bilan de carbone désastreux, parfois pire que les sables bitumineux), et dont la rentabilité est très sensible aux fluctuations du prix.
Effets questionnables
Il est indéniable que l’ouverture d’une filière d’exploitation pétrolière aura des impacts économiques importants. Rappelons que le développement soudain, rapide et non encadré d’un secteur pétrolier significatif dans une économie industrielle complexe et diversifiée porte un nom : mal hollandais. Inflation des salaires, explosion du coût de la vie dans les régions ressources, diminution de la productivité, absorption démesurée de l’investissement par les filières pétrolières, saturation rapide du tissu industriel et recours à des fournisseurs étrangers, extrême sensibilité de l’économie et des finances publiques aux cycles de prix du pétrole sont tous des effets du développement d’une « pétro-économie ». N’oublions pas que les économies de l’Alberta, de Terre-Neuve, du Dakota du Nord étaient relativement simples et peu diversifiées avant le développement de leur secteur pétrolier, et donc, on ne peut pas les comparer au Québec comme certains le font.
Et le pire des scénarios est justement celui de la « rente sociale » pétrolière évoquée par la première ministre. Grâce aux redevances, on va se payer des garderies, des hôpitaux et des politiques sociales qui auront tous une belle odeur d’essence ! Dans une économie mature, afin de contrer le développement du mal hollandais, il faut neutraliser l’effet de la rente pétrolière, pas la multiplier ! C’est ce qu’ont fait il y a plus de 20 ans, avec succès, les Norvégiens.
Quelle révolution énergétique?
Mais une question de fond demeure : voulons-nous enfermer notre économie et le développement de nos politiques sociales dans la révolution énergétique du siècle dernier ? Cette révolution qui a vu le pétrole remplacer le charbon comme source d’énergie. Nous sommes au seuil d’une nouvelle révolution des énergies dites décarbonifiées, et le Québec est très bien placé pour se lancer dans s’y lancer en particulier grâce à nos immenses ressources hydroélectriques. Alors qu’ailleurs, le défi de l’énergie verte est de la produire efficacement par le solaire et l’éolien, ici, nous l’avons et même nous en exportons. Il s’agit donc pour nous de savoir comment l’utiliser efficacement. C’est-à-dire comment substituer intelligemment le pétrole pour l’électricité. Nous sommes aussi très bien placés pour développer les biocarburants à partir de sources telles que la biomasse forestière. Cela requiert d’importants investissements et des politiques structurantes. Or, le développement de la filière pétrolière, surtout dans le cas du pétrole extrait de l’huile de schiste, demande lui aussi des politiques structurantes et des dépenses publiques massives ainsi que des investissements privés très élevés. Soit nous renforçons notre pétrodépendance, soit nous nous engageons résolument dans la transition de notre base énergétique.
Mais alors, vous me direz : il est possible de développer les deux filières dans une politique énergétique cohérente ! Je demeure extrêmement sceptique sur la viabilité d’une telle proposition, mais j’en partage tout de même ici les contours. Quatre conditions devraient être réunies pour qu’une telle stratégie énergétique soit envisageable et ait des effets positifs sur le développement du Québec. Chacune implique un interventionnisme écologique et industriel robuste et audacieux.
Démontrer qu’une exploitation des gisements du golfe est rentable, faisable et viable sur le plan environnemental. Il faut qu’une telle démonstration se fasse dans le cadre d’une analyse plus globale des perspectives à long terme de développement durable et de transition énergétique. À la lueur d’une telle interrogation, il faut retenir que les projets d’exploitation, dont les bilans de carbone, sont aussi bons que celui du pétrole que nous achetons actuellement à l’Algérie.
Adoption du modèle norvégien d’exploitation publique et de gestion de la rente pétrolière. Le modèle norvégien implique qu’une partie importante des ressources pétrolières exploitables soit réservée à une entreprise publique. Le rachat d’une partie significative des droits détenus par Junex et Pétrolia par un « Pétro-Québec » lui donnerait une réserve de droits sur les gisements suffisamment grande pour qu’elle puisse s’engager dans l’extraction du pétrole de manière rentable et générer une rente qui appartiendrait à la collectivité.
Mise sur pied de politiques économiques de cantonnement des effets dopants et déstructurants de la rente pétrolière. Trouver les mécanismes qui contreront ces effets problématiques, en particulier le maintien et même le renforcement de la diversité économique du Québec. La rente pétrolière qui sera générée, suivant le modèle norvégien, devra être isolée de l’économie en la confiant en partie à un fonds souverain qui en placerait l’essentiel à l’étranger.
Refuser le modèle de la rente sociale et élaborer une stratégie de « rente de transition ». C’est-à-dire que l’autre partie de la rente pétrolière devrait être affectée à un fonds d’investissement dans la décarbonisation de notre économie. Ce fonds viserait non seulement le développement de technologies et la mise en oeuvre d’infrastructures de production d’énergies vertes, mais surtout des technologies de substitution de l’usage des énergies fossiles par des énergies renouvelables et une mise en oeuvre d’un programme massif de transition. Et ainsi, au moment où nous aurons extrait et vendu la dernière goûte de pétrole du gisement Old Harry, notre économie aurait depuis longtemps cessé de dépendre de cette source d’énergie.
Si et seulement si ces quatre conditions sont réunies, il pourrait être envisageable d’exploiter certains des gisements du golfe.
Une telle stratégie énergétique ne pourrait être acceptable qu’à quatre conditions
Éric Pineault - Professeur au département de sociologie de l’UQAM 23 novembre 2012 Québec

Une plateforme de forage en mer de Norvège. L’adoption du modèle norvégien d’exploitation publique et de gestion de la rente pétrolière devrait être une des conditions du développement pétrolier au Québec.e gouvernement du Parti québécois semble déterminé à ouvrir la filière de l’exploitation pétrolière au Québec. Tout en faisant miroiter les millions que cela pourrait générer pour la société, on nous promet un développement qui obéira aux plus stricts critères de l’acceptabilité sociale et environnementale. Dans ces temps d’austérité et de grande stagnation économique, la rente pétrolière fait rêver : remboursement de la dette, garderies, routes, ponts et hôpitaux. Et pourtant, quand on regarde de près les implications écologiques et économiques, une saine hésitation s’impose avant de se jeter bras ouverts dans l’huile schisteuse.
Il est important de rappeler d’abord que l’essentiel des gisements du Québec consiste en des réserves non conventionnelles dont l’exploitation est très risquée sur le plan environnemental (le pétrole de schiste a un bilan de carbone désastreux, parfois pire que les sables bitumineux), et dont la rentabilité est très sensible aux fluctuations du prix.
Effets questionnables
Il est indéniable que l’ouverture d’une filière d’exploitation pétrolière aura des impacts économiques importants. Rappelons que le développement soudain, rapide et non encadré d’un secteur pétrolier significatif dans une économie industrielle complexe et diversifiée porte un nom : mal hollandais. Inflation des salaires, explosion du coût de la vie dans les régions ressources, diminution de la productivité, absorption démesurée de l’investissement par les filières pétrolières, saturation rapide du tissu industriel et recours à des fournisseurs étrangers, extrême sensibilité de l’économie et des finances publiques aux cycles de prix du pétrole sont tous des effets du développement d’une « pétro-économie ». N’oublions pas que les économies de l’Alberta, de Terre-Neuve, du Dakota du Nord étaient relativement simples et peu diversifiées avant le développement de leur secteur pétrolier, et donc, on ne peut pas les comparer au Québec comme certains le font.
Et le pire des scénarios est justement celui de la « rente sociale » pétrolière évoquée par la première ministre. Grâce aux redevances, on va se payer des garderies, des hôpitaux et des politiques sociales qui auront tous une belle odeur d’essence ! Dans une économie mature, afin de contrer le développement du mal hollandais, il faut neutraliser l’effet de la rente pétrolière, pas la multiplier ! C’est ce qu’ont fait il y a plus de 20 ans, avec succès, les Norvégiens.
Quelle révolution énergétique?
Mais une question de fond demeure : voulons-nous enfermer notre économie et le développement de nos politiques sociales dans la révolution énergétique du siècle dernier ? Cette révolution qui a vu le pétrole remplacer le charbon comme source d’énergie. Nous sommes au seuil d’une nouvelle révolution des énergies dites décarbonifiées, et le Québec est très bien placé pour se lancer dans s’y lancer en particulier grâce à nos immenses ressources hydroélectriques. Alors qu’ailleurs, le défi de l’énergie verte est de la produire efficacement par le solaire et l’éolien, ici, nous l’avons et même nous en exportons. Il s’agit donc pour nous de savoir comment l’utiliser efficacement. C’est-à-dire comment substituer intelligemment le pétrole pour l’électricité. Nous sommes aussi très bien placés pour développer les biocarburants à partir de sources telles que la biomasse forestière. Cela requiert d’importants investissements et des politiques structurantes. Or, le développement de la filière pétrolière, surtout dans le cas du pétrole extrait de l’huile de schiste, demande lui aussi des politiques structurantes et des dépenses publiques massives ainsi que des investissements privés très élevés. Soit nous renforçons notre pétrodépendance, soit nous nous engageons résolument dans la transition de notre base énergétique.
Mais alors, vous me direz : il est possible de développer les deux filières dans une politique énergétique cohérente ! Je demeure extrêmement sceptique sur la viabilité d’une telle proposition, mais j’en partage tout de même ici les contours. Quatre conditions devraient être réunies pour qu’une telle stratégie énergétique soit envisageable et ait des effets positifs sur le développement du Québec. Chacune implique un interventionnisme écologique et industriel robuste et audacieux.
Démontrer qu’une exploitation des gisements du golfe est rentable, faisable et viable sur le plan environnemental. Il faut qu’une telle démonstration se fasse dans le cadre d’une analyse plus globale des perspectives à long terme de développement durable et de transition énergétique. À la lueur d’une telle interrogation, il faut retenir que les projets d’exploitation, dont les bilans de carbone, sont aussi bons que celui du pétrole que nous achetons actuellement à l’Algérie.
Adoption du modèle norvégien d’exploitation publique et de gestion de la rente pétrolière. Le modèle norvégien implique qu’une partie importante des ressources pétrolières exploitables soit réservée à une entreprise publique. Le rachat d’une partie significative des droits détenus par Junex et Pétrolia par un « Pétro-Québec » lui donnerait une réserve de droits sur les gisements suffisamment grande pour qu’elle puisse s’engager dans l’extraction du pétrole de manière rentable et générer une rente qui appartiendrait à la collectivité.
Mise sur pied de politiques économiques de cantonnement des effets dopants et déstructurants de la rente pétrolière. Trouver les mécanismes qui contreront ces effets problématiques, en particulier le maintien et même le renforcement de la diversité économique du Québec. La rente pétrolière qui sera générée, suivant le modèle norvégien, devra être isolée de l’économie en la confiant en partie à un fonds souverain qui en placerait l’essentiel à l’étranger.
Refuser le modèle de la rente sociale et élaborer une stratégie de « rente de transition ». C’est-à-dire que l’autre partie de la rente pétrolière devrait être affectée à un fonds d’investissement dans la décarbonisation de notre économie. Ce fonds viserait non seulement le développement de technologies et la mise en oeuvre d’infrastructures de production d’énergies vertes, mais surtout des technologies de substitution de l’usage des énergies fossiles par des énergies renouvelables et une mise en oeuvre d’un programme massif de transition. Et ainsi, au moment où nous aurons extrait et vendu la dernière goûte de pétrole du gisement Old Harry, notre économie aurait depuis longtemps cessé de dépendre de cette source d’énergie.
Si et seulement si ces quatre conditions sont réunies, il pourrait être envisageable d’exploiter certains des gisements du golfe.

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Éric Pineault7 articles

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Éric Pineault, Professeur au département de sociologie de l'Université du Québec à Montréal, directeur de recherche à la Chaire de recherche du Canada sur la mondialisation, la citoyenneté et la démocratie ainsi que membre du Collectif d'analyse de la financiarisation du capitalisme avancé (CAFCA)





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