Blanchi, Jean Charest blâme Bellemare

Les «pressions colossales» dénoncées par l'ex-ministre de la Justice n'ont pas eu lieu, selon le rapport Bastarache

Commission Bastarache



- Consultez le rapport de la commission Bastarache: http://www.cepnj.gouv.qc.ca/rapport.html
- À ré-écouter: la baladodiffusion du Devoir de l'automne dernier, Le théâtre de la commission Bastarache, au [www.ledevoir.com/resonance#bastarache->www.ledevoir.com/resonance#bastarache]

Québec — On se serait attendu à ce qu'il soit triomphant, soulagé. C'est plutôt un Jean Charest solennel et hargneux qui s'est présenté devant les médias hier après-midi pour réagir au dépôt du rapport Bastarache. Aux yeux du premier ministre, les 6 millions qu'a coûté la commission mise sur pied par lui le 14 avril, il faut les imputer à son ex-ministre de la Justice Marc Bellemare, qui a mis en péril, avec de «fausses accusations», l'intégrité même du système judiciaire. «Ce que ça a coûté, il en est directement responsable», a soutenu M. Charest, expliquant que l'ancien ministre savait bien «qu'en formulant ces accusations [...] le gouvernement n'avait pas d'autre choix que de prendre des moyens [...] pour aller au fond des choses».
Jean Charest a insisté: non seulement Marc Bellemare lui a fait vivre «une des années les plus difficiles de [sa] vie sur le plan personnel», mais en plus, ses allégations «et le traitement médiatique qui ont été faits» lui ont «causé des torts considérables», comme au Parti libéral du Québec, au gouvernement et à la magistrature. «Des torts qui vont mettre du temps à être réparés», a souligné au crayon gras Jean Charest, qui maintient sa poursuite en diffamation contre son ancien ministre pour 700 000 $. «L'affaire procédera bientôt devant les tribunaux», a d'ailleurs souligné le premier ministre, qui a mis en relief que M. Bellemare, à aucun moment, «n'a offert de rétractation sur ce qu'il a dit».
Aux yeux du premier ministre, le rapport de l'ex-juge de la Cour suprême est «précis, étoffé et très détaillé». Mettant en relief la conclusion du commissaire qui, à ses yeux, le blanchit, il a fait valoir que c'est «après le Directeur général des élections, la deuxième institution indépendante et crédible qui en vient à la conclusion que les allégations de M. Bellemare ne sont pas fondées».
Les avocats du Parti libéral et de Jean Charest ont salué le rapport. André Ryan, qui représentait le premier ministre, en soulignant le niveau de preuve «extrêmement élevé», a soutenu que les faits étaient «rétablis». Quant à l'avocat du PLQ, André Dugas, M. Bastarache a cru Me Fava et M. Rondeau et «n'a pas cru Marc Bellemare». «Pour la crédibilité de M. Bellemare, c'est un désastre», a-t-il dit. Au fond, l'ancien ministre a «jeté un pavé dans la mare». Il en est «sorti très mouillé», a-t-il conclu.
Pas de «pressions colossales»
Dans son rapport de 290 pages déposé hier, Michel Bastarache soutient en effet que Marc Bellemare, qui a été ministre de la Justice d'avril 2003 à avril 2004, n'a pas agi «sous la pression ou la dictée» des financiers Franco Fava et de Charles Rondeau, lorsqu'il a nommé des juges en tant que ministre de la Justice. Les «pressions colossales» qu'il a dénoncées n'ont pas eu lieu, ni pour nommer Marc Bisson et Line Gosselin-Després, ni pour promouvoir le juge Michel Simard.
«La prépondérance de la preuve m'amène à conclure que ces nominations étaient celles de M. Bellemare. Celui-ci n'a pas été contraint d'agir contre son gré», écrit M. Bastarache.
L'ex-juge n'a pas été impressionné, c'est le moins qu'on puisse dire, par les éléments de preuve apportés par M. Bellemare et l'unique témoin qui l'a appuyé, l'ancien sous-ministre associé, Georges Lalande. Au sujet du carton brandi par l'ex-ministre pour accompagner ses dires, M. Bastarache soutient qu'il est «de facture inhabituelle, incompatible avec l'importance des informations qu'on y a inscrites». L'expertise controversée de l'encre sur le carton effectué lors des audiences aura servi: le juge conclut que «Me Bellemare n'a pas fourni une explication satisfaisante en ce qui concerne le fait que seules les allusions aux nominations de juges sont écrites dans une encre différente et disposées dans le texte d'une façon tout à fait non usuelle». Quant aux post-it sur lesquels M. Lalande avait prétendument recopié des notes datant de 2003, M. Bastarache est dubitatif: «Il est aussi difficile de comprendre pourquoi Me Lalande aurait épuré ses agendas en ne gardant principalement que les autocollants portant sur les questions qui, dans l'avenir, intéresseraient la commission.» Il conclut que les «autocollants ne satisfont pas aux règles de fiabilité applicables».
Au sujet de la fameuse rencontre entre le premier ministre et Marc Bellemare, le 2 septembre 2003, M. Bastarache refuse de trancher puisque la preuve est «entièrement contradictoire». L'ancien ministre dit qu'elle a eu lieu, le premier ministre, non.
Même s'il conclut qu'une autre rencontre entre les deux hommes a eu lieu le 8 janvier 2004, durant laquelle M. Bellemare soutient qu'il a aussi été question des influences de deux argentiers libéraux, M. Bastarache évite là aussi de conclure, préférant laisser ce débat au tribunal qui entendra les poursuites civiles.
«La teneur des propos du premier ministre lors des rencontres du 2 septembre 2003 et du 8 janvier 2004, selon les allégations de M. Bellemare, est l'objet même du débat devant la Cour supérieure dans le cadre de la poursuite en diffamation déposée par Jean Charest», écrit M. Bastarache.
Devoir de réserve
Michel Bastarache a soutenu que son rapport «parle de lui-même». Ainsi s'est-il s'est imposé, de même qu'à ses procureurs, un «devoir de réserve» permanent. Il n'a répondu à aucune question des journalistes. Aux yeux de l'ancien juge, ce n'est pas le rôle du commissaire d'expliquer son rapport, surtout «quand il comporte une dimension juridique».
Le contexte est miné sur le plan judiciaire, a-t-il fait valoir dans sa déclaration, soulignant plusieurs actions en justice: d'abord, la poursuite en diffamation du premier ministre contre Marc Bellemare, lancée le 14 avril, le jour même de la création de la commission. Ensuite, la contre-poursuite, intentée par l'ancien ministre de la Justice en juillet, en réponse à celle du premier ministre. Enfin, la requête de Me Bellemare, «toujours pendante», par laquelle l'ancien ministre de la Justice cherche à faire annuler la commission.
Climat délétère
M. Bastarache a déploré le «climat politique extraordinaire» dans lequel la commission a effectué ses travaux. Une situation où l'utilité de la commission a constamment été remise en question: «Ce climat délétère et le scepticisme généralisé dans lesquels elle a dû fonctionner sont regrettables.»
M. Bastarache a fermement défendu l'existence d'une telle commission en se disant «pleinement convaincu» qu'elle avait «une très réelle et importante raison d'être». Les allégations de M. Bellemare étaient trop graves pour être laissées sans suite.
L'ex-juge dénonce aussi ceux qui ont soutenu que sa commission avait fait diversion, et empêché la création d'une commission d'enquête sur la construction. Selon lui, «il est inapproprié de relativiser cet enjeu en prétextant qu'il aurait été plus important pour le gouvernement de procéder à une différente commission d'enquête sur une autre question qui préoccupe la population du Québec; ce sont deux sujets distincts».


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