Une femme massaï participait hier à des cérémonies en marge de la Journée internationale des populations autochtones, près de Nairobi, au Kenya.
Photo: Agence Reuters
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Alors que se célèbre partout dans le monde aujourd'hui la Journée internationale des populations autochtones, le gouvernement du Canada continue de s'opposer à l'adoption de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, qui sera soumise à un vote final lors de l'assemblée de clôture de la 61e session des Nations unies, en septembre.
Percevant ce refus comme un affront, plusieurs groupes de défense des droits de la personne et des autochtones exhortent Ottawa à revoir sa position. «On ne comprend pas vraiment pourquoi le gouvernement s'entête à refuser l'adoption du texte. [...] À notre avis, ses arguments ne tiennent pas la route», estime Marie Léger, directrice du programme «Droits des autochtones» pour l'organisme Droits et Démocratie.
Élaboré pendant près de 20 ans, ce texte, qui affirme le droit à l'autodétermination des peuples autochtones ainsi que divers droits sur leurs territoires d'origine et sur leurs ressources naturelles, avait été adopté par le Conseil des droits de l'homme en juin 2006 par un vote de 30 voix contre 2. Le Canada et la Russie avaient ainsi été les deux seuls opposants.
Depuis, Amnesty International dénonce le lobbying du Canada auprès de certains pays pour les convaincre de renoncer à appuyer le texte, qui devrait être adopté aux Nations unies début septembre. Cette organisation de défense des droits de la personne déplore que plusieurs pays d'Afrique, qui s'étaient prononcés en faveur de la déclaration au Conseil des droits de l'homme, aient ensuite radicalement changé de position à la suite des pressions du Canada.
Le mois dernier, le Canada (appuyé par l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Russie, la Colombie, la Guyane et Surinam) aurait demandé au président de l'Assemblée générale des Nations unies de reprendre les négociations sur la déclaration afin de récrire au moins 16 articles. «Le gouvernement fait de la magouille. Il insiste sur des détails du texte. C'est une course à obstacles sans fin. Jamais notre organisation n'aura été aussi en colère contre le Canada», a insisté la responsable des communications, Anne Sainte-Marie. Son organisme a lancé une pétition pour que soit adoptée cette déclaration, qui a déjà récolté plus de 18 000 signatures.
Pour sa part, l'Assemblée des Premières Nations se dit consternée de voir que le Canada perd une occasion en or de donner le bon exemple. «La réputation du Canada comme étant un pays juste et équitable souffre à l'échelle mondiale», a indiqué Phil Fontaine, chef de l'Assemblée des Premières Nations, par voie de communiqué. Depuis hier et jusqu'à demain, le chef ojibway du Manitoba est en compagnie de plusieurs leaders autochtones à la réunion du Conseil de la fédération, à Moncton. Il s'y trouve pour demander aux premiers ministres de faire pression sur le gouvernement de Stephen Harper afin qu'il honore ses engagements envers les autochtones.
Changement de cap du gouvernement
Les organisations de défense des droits des autochtones et certains députés de l'opposition ont du mal à s'expliquer l'objection du gouvernement fédéral qui, historiquement, a appuyé ce projet de texte au cours des deux décennies de son élaboration. En 2006, à travers une demande d'accès à l'information, Amnesty International a appris que les ministères des Affaires indiennes, des Affaires étrangères et de la Défense nationale avaient recommandé l'adoption du texte au premier ministre Stephen Harper. Ce dernier avait balayé cet avis favorable du revers de la main.
La critique du NPD en matière d'affaires autochtones, Jean Crowder, se désole de ce changement de cap du gouvernement conservateur, qu'elle qualifie d'«irrespectueux». Alors qu'à ses tout débuts, le gouvernement Harper semblait démontrer une certaine ouverture, il y a eu un changement radical de position en 2006, «un manque de volonté soudain du gouvernement de régler des cas de discrimination visant les autochtones», note-t-elle. «Il [le gouvernement] ne veut plus inviter les Premières Nations à sa table», croit Mme Crowder. Selon elle, cette nouvelle ligne de pensée s'explique par des changements à l'échelon international et par le peu d'argent neuf investi dans les affaires indiennes lors du dernier budget. «J'espère que la pression du public fera son oeuvre pour que le gouvernement finisse par avoir honte.»
Au cabinet du ministre des Affaires indiennes, on confirme que la position du gouvernement demeure la même. «Nous avons toujours dit que nous appuierions une telle déclaration, mais présentement, le texte tel qu'il est ne pourrait être appuyé par aucun gouvernement responsable», soutient Deirdra McCracken, attachée de presse du ministre Jim Prentice. «Quoi qu'en disent M. [Stéphane] Dion ou l'ancien premier ministre Paul Martin, aucun gouvernement n'a jamais appuyé le document dans sa forme actuelle», poursuit-elle. Selon Mme McCracken, le libellé de la déclaration n'est pas conforme à la Charte canadienne des droits et libertés, à la Charte constitutionnelle, à certaines décisions de la Cour suprême et aux politiques dans le cadre desquelles certains traités ont été négociés. Un point de vue aussitôt réfuté par des sympathisants dans la défense des droits des autochtones.
«Je ne connais aucun argument juridique qui soutienne ce point de vue. Aucun professeur ni expert en droit au pays n'a relevé une telle contradiction. Je pense plutôt, et j'espère que ce n'est pas le cas, que le gouvernement croit que les droits des peuples autochtones ne méritent pas d'être pleinement satisfaits», a fait savoir David MacDonald, ancien ministre conservateur et interlocuteur pour les métis et les non-autochtones à la fin des années 80. «Je ne vois pas comment on peut d'une part vouloir réparer les dommages causés par l'enfermement des autochtones dans les pensionnats et d'autre part refuser de vouloir appuyer une déclaration universelle qui reconnaît leurs droits», poursuit-il.
Une lettre signée notamment par l'Assemblée des Premières Nations, l'Association des femmes autochtones du Canada, Amnesty International et Droits et démocratie sera remise à M. Harper aujourd'hui. «Le Canada a une immense responsabilité historique. S'il revenait sur sa position, cela ferait une énorme différence», croit Marie Léger, de Droits et Démocratie.
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Vos réactions (Le Devoir)
La paille et la poutre
Michel Seymour
Envoyé Le jeudi 09 août 2007 06:00
Les nouvelles télévisuelles de Radio-Canada faisaient état hier des initiatives de «Canadiens» en faveur d'un Tibet libre et de leur dénonciation de la violation des droits de la personne en Chine. Mais on n'entend moins des «Canadiens» dénoncer l'attitude du gouvernement canadien face à la Déclaration sur les droits des peuples autochtones. On n'entend moins des «Canadiens» parler de l'intransigeance de l'État canadien face au peuple acadien ou face au peuple québécois. Comme quoi les nouvelles à Radio-Canada sont de plus en plus d'inspiration nationaliste, tout comme les «Canadiens» eux-mêmes d'ailleurs. Michel Seymour
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