Affaire des «appels frauduleux »

Au service secret de Sa Majesté...

Chronique de Louis Lapointe

Code criminel

Fraude

Article 380. (1) Quiconque, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, constituant ou non un faux semblant au sens de la présente loi, frustre le public ou toute personne , déterminée ou non, de quelque bien, service, argent ou valeur ; a) est coupable d’un acte criminel (…)
_ Le premier ministre n’est pas au-dessus des lois

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Je ne me fais aucune illusion au sujet des résultats que pourrait donner une éventuelle enquête menée par Élections Canada sur le stratagème qu'auraient pu mettre en œuvre des proches du Parti conservateur afin de tromper des électeurs dans certains comtés chauds du Canada lors de l’élection fédérale du 2 mai 2011.

Bien sûr, des responsables seront appréhendés. Mais ce ne seront que des sous-fifres désignés pour jouer les boucs émissaires, comme nous l’avons déjà vu lors de l’enquête sur les commandites où le bon juge Gomery avait lui-même vicié la preuve qui aurait pu nous conduire au bureau du premier ministre.
_ Trompeuses apparences : autopsie de l’échec de la commission d’enquête sur les commandites

Les spectateurs, trop éblouis par l’apparent courage de ce bon père de famille qui ne se gênait pas pour dire leurs quatre vérités aux mauvais garnements qui se présentaient devant lui, n’ont pas vu l’absurdité de la situation qui dégénérait alors au profit de ceux qu’ils voyaient déjà condamnés tant leur culpabilité était évidente et les propos du juge limpides. C’est cette apparente limpidité des paroles du juge qui a justement nui à la qualité de la preuve. Étonnamment, loin de retenir le juge, les experts qui l’entouraient en rajoutaient, comme si cette commission avait été initiée seulement pour les profanes.

Dans le cas de l’affaire Airbus, Stephen Harper avait tellement restreint le mandat du juge Oliphant que nous n’avons rien pu savoir au sujet des ramifications que cette affaire auraient pu avoir auprès des membres du cabinet de Bryan Mulroney.
_ Retour sur l’affaire Airbus

Donc, ce n’est pas tant le rapport entre Karlheinz Schreiber et Brian Mulroney qui devrait d’abord attirer notre attention dans cette affaire, mais bien l’existence d’un système qui aurait pu être mis en place par Frank Moores grâce aux 10 millions$ d’Airbus et qui aurait visé des ministres du cabinet de Bryan Mulroney. Comme disait Norman Spector avec justesse, suivez l’argent !

Et que dire de l’affaire Bellemare qui a donné lieu à un véritable cirque, digne de la plus pure tradition de la commedia dell'arte, mené par le commissaire Bastarache, un ancien juge totalement inexpérimenté dans ce genre d’enquête?
_ Autopsie d’une pantalonnade

Les hauts fonctionnaires et chefs de cabinet savent l’essentiel ce qui se passe dans le bureau de leur ministre et doivent rapporter au premier ministre tout ce qui pourrait éventuellement devenir problématique pour la stabilité de son gouvernement. C’est à ce dernier qu’ils ont juré fidélité. C’est le premier ministre qui nomme les sous ministres et les chefs de cabinets. Un fait que n’a pas manqué de rappeler Jean Charest au commissaire Bastarache.

Un haut fonctionnaire ne peut pas trahir un premier ministre toujours en fonction sans risquer de compromettre sa carrière, minant également la confiance que pourrait éventuellement lui témoigner tout successeur désigné, même ceux d’une autre allégeance politique. À ce haut niveau, le meilleur gage de loyauté envers le chef de l’exécutif n’est pas l’allégeance, mais la confidentialité absolue témoignée par le passé au chef de l’exécutif. Qui a trahi trahira !

***

Or, dans le cas particulier du scandale du Watergate, c’est précisément le témoignage d’un intime du premier cercle de Richard Nixon qui avait conduit à la démission de ce dernier.

C’est John Dean, un ancien conseiller juridique de Richard Nixon, qui a confirmé que John Mitchell, ancien président du Comité de Réélection du Président Nixon et Attorney général, avait ordonné le cambriolage et que Richard Nixon l’avait encouragé à étouffer l’affaire.

C’est la Cour suprême qui a ordonné à Richard Nixon de remettre toutes les bandes enregistrées de ses conversations tenues à la Maison-Blanche. Ce sont ces bandes qui nous apprirent que le président avait demandé au FBI d’arrêter toute enquête sur l’effraction du Watergate. Révélations qui ont conduit à la démission de Richard Nixon.

C’est parce que Richard Nixon a voulu étouffer l’affaire qu’il a dû démissionner, pas parce que ses mercenaires se sont faits prendre la main dans le sac.

C’est à l’aune de cette célèbre affaire qu’il faut considéré le changement de stratégie de Stephen Harper qui dit maintenant vouloir de collaborer avec Élections Canada à l’éclaircissement de toute cette affaire. Appels électoraux frauduleux - «Inacceptable», dit maintenant Harper

***

Comme on l’a vu lors des affaires Bellemare et des commandites, il n’y aura personne pour venir témoigner de l’existence d’un éventuel lien entre le bureau du premier ministre et les stratèges qui auraient ourdi cette supercherie qui a probablement contribué à l’élection d’un gouvernement conservateur majoritaire avec seulement 38% du vote populaire.

« Il est essentiel qu’une relation de confiance absolue existe entre le premier ministre et ses conseillers les plus proches, sans laquelle l’exercice du pouvoir deviendrait quasi impossible. Comment pourrait-on gouverner, délibérer, discuter, agir, sans pouvoir compter sur la loyauté sans réserve de son conseiller le plus proche ? (…) L’obligation de discrétion qui découle de cette relation intime serait tellement évidente que le législateur n’a jamais cru nécessaire d’en faire une obligation juridique. (…) À certains égards, la transgression par Norman Spector de son obligation de réserve est même une faute plus grave que ne pourraient l’être les gestes prétendus de prévarication qu’il entend dénoncer. » Louis Bernard, ancien chef de cabinet, Le Devoir, 31 janvier 2008

Dans cette perspective, il faut comprendre que la loyauté des membres du premier cercle envers le premier ministre est perçue au sein du gouvernement de Sa Majesté comme une vertu d’une très grande valeur morale, alors que leur silence est la réponse à une règle éthique qui s’impose moralement à eux, même dans un contexte de prétendus gestes de prévarication.

Cette conception du pouvoir nous en dit long sur l’idée que ces éminences grises entretiennent au sujet de l’administration des affaires de la nation. Ce serait une affaire privée entre initiés à laquelle le commun des mortels n’aurait pas accès, loyauté oblige. Curieuse vision de l’État ! À l’encontre d’une dangereuse unanimité : l’exemple du Watergate

Sinon, comment expliquer que les gouvernants de ce pays ne sont jamais responsables de rien ! Ce n’est un secret pour personne, depuis le scandale des chemins de fer du Canadien Pacifique, la Confédération canadienne a grandi à l’ombre de nombreux mensonges et scandales camouflés dans le but de conserver le Canada uni face au géant américain, l’éventuelle sécession du Québec risquant à tout moment de faire éclater l’union des anciennes colonies anglaises qui la compose. C’est inscrit dans les gênes de ce pays ! (…)
Après tout, les États-Unis sont bien le pays du Watergate et du Washington Post et le Canada celui des chemins de fer du Canadien Pacifique. L’art d’éviter un scandale, cinq cas types

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    10 mars 2012

    Tout cela est très intéressant. L'article et les commentaires.
    Soudain une question me vient à l'esprit: À quoi riment les cafouillages autour de l'enquête sur la construction? C'est pas encore commencé, et les hiatus se succèdent.
    Pourquoi le système d'information électronique s'est-il révélé si peu fiable?
    Tellement que si je savais des choses et que je voulais les révéler, je les garderais maintenant pour moi. En effet ils m'ont démontré qu'ils ne pouvaient pas assurer la confidentialité des informations recueillies par cette méthode...
    On peut donc orienter les enquêtes pour s'assurer qu'elles ne mènent nulle part. Mais on peut saboter aussi une enquête de diverses manières.
    Par exemple en nommant un commissaire qui arrive en disant qu'il ne croyait pas aux enquêtes publiques. N'est-ce pas ce que le «phénix» de McGill a déclaré quelques semaines avant d'être nommé?
    Et puis on laisse savoir au bon peuple que la Commission rencontre des difficultés de communications.
    Étrange vous trouvez pas ?

  • Laurent Desbois Répondre

    9 mars 2012

    Collecteur harcelant: inadmissible, mais pas criminel
    http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-canadienne/201203/08/01-4503813-collecteur-harcelant-inadmissible-mais-pas-criminel.php
    Il me fait très curieux d’entendre les partis de l'opposition (Libéral et NDP) exprimer leur «dégoût» face aux méthodes du Parti conservateur, quand ces deux partis ont été impliqués directement dans le RÉFÉRENDUM VOLÉ de 1995!!!!
    Maudites couleuvres fédéralistes!!! Et maintenant, ces même fédéralistes s’acharnent sur les soit disant dépenses illégales de Gilles Duceppe, chef du Bloc Québécois!
    «C'est complètement inacceptable, a affirmé le chef libéral et ex chef NDP, Bob Rae. Des appels harcelants, personne ne pourrait accepter ou appuyer cela.»
    Son collègue NDP Alexandre Boulerice a lui aussi exprimé son «dégoût» concernant les enregistrements. Il trace un parallèle entre les méthodes de financement des conservateurs et l'affaire des appels frauduleux qui plonge le gouvernement Harper dans l'embarras depuis deux semaines.
    Le Référendum volé
    Par Robin Philpot ISBN : 978-2-89549-189-7
    http://lesintouchables.com/livre-606-Le-Referendum-vole.php
    Tel un Michael Moore, il a obtenu des confidences étonnantes de Brian Tobin, idéateur et organisateur du mal nommé love-in du 27 octobre 1995, de l'ineffable Sheila Copps (candidate à la présidence nationale du Parti libéral du Canada) qui souhaitait « écraser » les souverainistes en 1995 « We have the cash. They follow the money ! » et encore plus après, de John Rae (frère du chef du PLC et ex-chef NDP!), responsable des affaires politiques de Power Corporation et homme à tout faire de Jean Chrétien.

  • Raymond Poulin Répondre

    8 mars 2012

    D’où l’on voit qu’il n’existe pas de différence de nature entre la loyauté dans les hautes sphères du pouvoir et celle de ce que la mafia appelle des hommes d’honneur. Cela est aussi vrai en censée démocratie qu’en dictature.