Personne n’a dû être plus soulagé de voir Gilles Vaillancourt se retrouver derrière les barreaux que le premier ministre Couillard et sa ministre de la Justice, Stéphanie Vallée. S’il avait fallu que l’ancien maire de Laval échappe à la justice, le tollé aurait été immense.
Il est impossible d’établir dans quelle mesure la perspective d’un arrêt des procédures, en invoquant l’arrêt de la Cour suprême sur les délais déraisonnables, a pu influer sur les négociations qui ont mené à l’aveu de culpabilité de M. Vaillancourt et à l’abandon de l’accusation de gangstérisme, comme l’a suggéré Jean-François Lisée. De toute évidence, ses avocats ont jugé bien incertain le résultat d’une éventuelle requête, puisqu’il a préféré négocier.
De l’aveu même du juge en chef de la Cour supérieure, Jacques Fournier, l’arrêt Jordan n’en constitue pas moins une épée de Damoclès qui menace le système de justice. Dans une entrevue accordée au Journal de Montréal, M. Fournier a clairement évoqué la possibilité que des meurtriers soient remis en liberté, faute de ressources pour qu’ils soient traduits en justice dans des délais jugés raisonnables.
« C’est très grave. Nous avons un bon système, mais il est débordé. On fait tout ce qui est humainement possible, nous mobilisons toutes nos ressources, mais nous avons nos limites, a-t-il expliqué. […] La crise est maintenant. Ça va être long à réparer, et plus on fait vite, mieux ce sera. »
Le juge en chef associé, Robert Pidgeon, a renchéri dans une entrevue donnée à Radio-Canada. « Ça n’a pas de bon sens. On est à l’âge de pierre en matière de services juridiques. Il y a des efforts qui sont déployés par le système judiciaire, mais nous allons avoir besoin d’aide du monde politique pour nous fournir des ressources et aussi moderniser notre système. »
Il est inhabituel et certainement anormal que la magistrature sente le besoin de lancer un tel cri d’alarme sur la place publique. Si elle s’y est résignée, c’est de toute évidence que les canaux usuels ne permettaient pas de faire passer le message de façon suffisamment efficace. Alors que l’Ontario venait d’annoncer l’ajout de 13 juges et 32 procureurs, le gouvernement Couillard ne donnait pas l’impression d’être habité par un grand sentiment d’urgence.
Vendredi matin, la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, déclarait encore à l’Assemblée nationale qu’elle en était à « analyser les ressources dans un contexte de changement de culture ». Il n’était pas question de faire une « annonce à l’emporte-pièce ». Clairement, elle ne semblait pas comprendre que la crise qui menace le système judiciaire risquait aussi de se transformer en crise politique.
De toute évidence, quelqu’un au bureau du premier ministre a pris conscience du fait que cette procrastination devenait de plus en plus incompréhensible pour la population. Le moins qu’on est en droit d’attendre d’un gouvernement est de faire en sorte que le système judiciaire fonctionne convenablement et d’éviter que des criminels soient remis en liberté parce qu’on manque de juges, de procureurs ou de locaux.
Il est vrai que les finances publiques ontariennes ont pris du mieux, mais le budget pour l’année 2016-2017 n’en prévoit pas moins un déficit de 4,3 milliards. Si la province voisine a pu trouver des fonds pour permettre au système judiciaire de s’ajuster à la situation créée par l’arrêt Jordan, comment expliquer que le Québec, qui a dégagé des surplus de 2,2 milliards, en soit incapable ?
Le réinvestissement de 200 millions en quatre ans, qui a été annoncé en catastrophe vendredi après-midi, sera certainement le bienvenu, mais il demeure inquiétant qu’on a attendu que le système arrive à un point de rupture avant d’agir. Ce n’est pourtant pas d’hier que la ministre a été avertie des conséquences néfastes des compressions budgétaires décrétées par son gouvernement sur l’administration de la justice.
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