Afghanistan: patience et progrès

Le Canada en Afghanistan



L'Afghanistan est devenu un nom familier pour les Canadiens depuis quelques années. Mais que sait-on de ce pays lointain dont la guerre dévore nos soldats? Existe-t-il une autre réalité afghane dont la connaissance échappe au grand public?
Une histoire tumultueuse
Pays enclavé, à la croisée des chemins entre le Moyen-Orient, l'Asie centrale et le sous-continent indien, le territoire afghan a été convoité par les tribus et empires pendant des siècles. Le sort de l'Afghanistan est intimement lié aux soubresauts du plateau iranien dont les peuples y ont laissé les langues iraniennes pachto et dari.
Durant la période préislamique, à partir du 1er millénaire notamment, le territoire que l'on appelle Afghanistan était profondément marqué par les empires perses. Le bouddhisme et le zoroastrisme étaient des religions dominantes à cette époque.
Alexandre le Grand a traversé le territoire afghan vers 323 av. J.C. dans sa conquête de l'Orient. Les siècles suivants seront marqués par les invasions successives des tribus nomades qui descendaient du nord et nord-est. L'empire sassanide et d'autres forces iraniennes ont aussi dominé l'Afghanistan jusqu'à l'arrivée des troupes islamiques au VIIe siècle.
La période islamique fut marquée par une expansion rapide de la nouvelle foi sous la commande des Turcs. L'Afghanistan et une partie importante du sous-continent indien furent conquis par ces derniers vers le XIe siècle. Comme ce fut le cas au cours de la période précédente, les nouveaux conquérants encourageaient le travail des scientifiques et des hommes de lettres. Cependant, l'invasion du territoire par Gengis Khan, dont l'appel à la soumission a été refusé par les Afghans, a détruit tous signes de civilisation.
D'autres conquérants mongols et perses ont dominé l'Afghanistan jusqu'au milieu du XVIIIe siècle où un jeune guerrier, Ahmad Shah, établit un régime monarchique. Le chaos sera suivi par d'autres guerres, notamment par les guerres anglo-afghanes, après la mort du roi.
Le XIXe siècle sera marqué par la rivalité anglo-russe pour étendre leur influence en Afghanistan. Le «grand jeu» a eu lieu dans un contexte de conflits entre l'Angleterre et l'Iran, d'une part, l'anglo-afghan, de l'autre. Les Russes et Britanniques ont établi les frontières de l'Afghanistan au début du XXe siècle. La troisième guerre anglo-afghane a mis fin au contrôle britannique sur l'Afghanistan qui célèbre désormais le 19 août le jour de son indépendance.
Une relative accalmie s'installe en Afghanistan jusqu'à 1973 lorsque le cousin de Mohammad Zaher Chah met fin à la monarchie en instaurant un système républicain dirigé par un gouvernement de gauche.
Une série de coups d'État précédera l'invasion de l'Afghanistan par l'Union soviétique. Comme les envahisseurs précédents, celle-ci a réussi à occuper l'Afghanistan, mais a échoué à le contrôler. Le désordre imposé aux Afghans par des moudjahidins a facilité la prise de 97 % du territoire par les talibans qui règnent d'une main de fer sur le pays de 1994 à 2001. L'invasion américaine a mis fin à un régime qui rivalisait avec les envahisseurs mongoles dans la brutalisation des Afghans.
Changement de régime
Les événements du 11 septembre 2001 vont plonger une fois de plus l'Afghanistan dans incertitude et le chaos. Si personne ne doutait du résultat de l'invasion de l'Afghanistan par les États-Unis à l'aide des moudjahidins, l'évolution de la situation post-taliban démontre la complexité du terrain afghan et la difficulté historique de le contrôler.
La tâche de construire un pays détruit par des siècles de guerres et d'interventions militaires étrangères et maintenu dans un état de sous-développement avancé est immense. La complexité de sa composition démographique, la difficulté de cultiver un terrain montagneux, l'absence d'eau, l'existence d'un voisin qui fabrique de nouveaux talibans en série, une communauté internationale impatiente qui cherche des résultats rapides à des problèmes très vieux et complexes, une stratégie post-conflit confuse, la corruption et la culture de pavot sont autant d'obstacles parfois difficiles à surmonter.
Que faire?
Le processus politique mis en place à Bonn au lendemain de la chute des talibans a abouti à quelques élections et au début de construction d'institutions politiques, juridiques, économiques et culturelles. Les forces étrangères et le nouveau gouvernement afghan essaient de créer un pouvoir central fort dans un pays où les régions ont toujours bénéficié d'une large autonomie. Il sera très difficile de réaliser un tel projet avec un gouvernement faible, des voies de communication presque inexistantes et une force internationale pressée par des échéances nationales.
Si la force des talibans était dans la faiblesse de leurs rivaux, d'une part, et une lutte acharnée contre la corruption, de l'autre, le gouvernement actuel n'a pas réussi à endiguer une corruption généralisée et endémique. Les contradictions internes entre les intérêts des nouveaux dirigeants du pays compliquent l'effort d'apaisement et de réconciliation nationale. En Afghanistan, l'allégeance va d'abord et souvent seulement au chef de tribu. Le gouvernement central est un corps étranger et lointain. L'appartenance «nationale» y est faible.
Dans ce tableau difficile, parfois désespéré, il se trouve aussi des points positifs et de bonnes nouvelles. Si les confrontations militaires au Kandahar et en Helmand préoccupent les médias étrangers, l'Afghanistan est en train de se doter une société civile dynamique. Le nombre de journaux qui critiquent les différents aspects du système politique émergent est en expansion. Les femmes, victimes des talibans et des traditions souvent rigides, répandent graduellement leur présence dans la société, des écoles aux sphères politiques en passant par les activités économiques
Il paraît qu'une vaste majorité de la population cherche la paix et une vie normale. Fatiguée par la destruction continue de ses maigres avoirs, elle fera confiance au nouveau système s'il arrive à améliorer ses conditions de vie. Elle est pour l'instant attentivement patiente. Il n'y a pas de doute qu'elle pourrait pencher vers les talibans si la corruption actuelle persistait, si le gouvernement n'arrivait pas se doter d'une armée et d'une force de police nationales efficaces.
Cette force de police est frappée par une corruption rampante, situation en partie causée par l'incapacité de l'État à la payer un salaire décent. Aujourd'hui, un soldat gagne 100 $ par mois, deux fois le salaire d'un policier! Un médecin afghan qui exerce son métier reçoit une fraction de ce que les ONG paient pour ses services de traducteur.
Il est aussi urgent pour le gouvernement de trouver des cultures de substitution au pavot dont le revenu est équivalent à la moitié du PNB du pays.
L'Afghanistan est aujourd'hui dans une situation instable. Si l'espoir afghan est une nouvelle fois trahi, le retour des talibans et de leurs associés sera extrêmement dur pour les Afghans, les pays voisins et le reste du monde. La défaite de ce groupe exige de la patience, une volonté et un engagement politiques clairs de la communauté internationale et les ressources techniques et financières nécessaires pour construire le pays.
Le coût de cette entreprise est somme toute moindre que celui de reprendre une autre invasion du pays dans quelques années.
Houchang Hassan-Yari, Professeur et directeur, Département de science politique et d'économique, Collège militaire royal du Canada
*L'auteur rentre d'un séjour en Afghanistan.


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