Afghanistan : au nom de la démocratie, vraiment?

NON à l'aventure afghane

Pour plusieurs, ce qui motive avant tout la guerre en Afghanistan est la lutte au terrorisme. Le recours au terrorisme, quelle qu'en soit la raison, est lâche et inacceptable, surtout lorsque l'on sait qu'il vise non pas des personnalités politiques influentes, mais d'innocents citoyens, qui se retrouvent au mauvais endroit au mauvais moment. Ces attentats, dirons-nous alors, ne peuvent être le fruit que d'une idéologie démente que l'on doit combattre à tout prix.
D'autre part, pour les intellectuels occidentaux réfractaires à l'idée de cette guerre, la raison en est plutôt celle-ci : cette guerre n'a rien à voir avec le terrorisme international et est strictement d'ordre économique. Dans ce cas, la lutte au terrorisme ne serait qu'un sordide prétexte dont se servent les dirigeants occidentaux pour envahir ces pays malgré l'assentiment de la population.
Qu'en est-il de ces deux attitudes ? N'y a-t-il pas derrière elles un dénominateur commun fondé sur une profonde méconnaissance de ce que nous sommes, nous les Occidentaux ?
D'abord, quoi qu'en disent nos intellectuels, sous forme larvée, le fanatisme religieux existe tout autant ici en Amérique qu'au Moyen-Orient. Sauf qu'il se pratique en général chez nous différemment, c'est-à-dire par des gens qui, comme eux, se sont persuadés que nos valeurs de société, (la démocratie, la liberté, etc.), ne sont pas des valeurs religieuses, mais plutôt des valeurs modernes qui relèvent de la raison ou du droit international.
Pourtant, à y regarder de plus près, c'est toujours et encore le même modèle qui s'impose chez nous et ce modèle demeure strictement religieux. Tout l'épistémè occidental est et reste encore foncièrement chrétien. Qu'on le veuille ou non, on n'efface pas du revers de la main deux mille ans de pratique religieuse chrétienne assidue ! Et bien qu'il soit vrai de souligner comme le font nos intellectuels que, dans nos démocraties, l'État ne couche plus comme autrefois avec l'Église, il ne reste pas moins totalement imbu des valeurs prônées par elle. Un simple exemple : alors que la psychanalyse moderne nous parle de déterminismes inconscients qui échappent au contrôle de l'individu, au niveau légal, nous en sommes toujours bêtement à la recherche de l'expression du bien ou du mal chez un individu...
Une laïcisation trompeuse
La laïcisation récente des sociétés occidentales est à cet égard trompeuse. La plupart du temps et particulièrement en Amérique, il ne s'agit que d'une réécriture d'un discours éminemment chrétien. Par exemple, dans les nouveaux manuels d'éducation à la citoyenneté qui sont venus remplacer nos catéchismes d'antan dans les écoles, on préconise toujours les vertus chrétiennes. En Occident et encore plus en Amérique, est-il besoin de le souligner, au niveau moral, nous n'en sommes toujours qu'à une relecture de la Bible.
Pourtant, on dit que le terrorisme islamiste, contre lequel tout l'Occident est entré en guerre le 11 septembre 2001, s'enracine dans l'attachement arriéré des populations du Moyen-Orient à leurs valeurs religieuses. De là, croit-on, les puissances occidentales réunies sous l'égide de l'Otan combattraient pour renverser des régimes dictatoriaux religieux pour les remplacer par des démocraties laïques, et cela, pour le mieux être de populations locales.
La vraie démocratie
C'est là, je crois, se faire une idée tout à fait romantique de l'action de nos démocraties à l'étranger. N'oublions d'abord pas que, contrairement à une idée reçue, la démocratie, chez nous ou ailleurs, n'a jamais été un pouvoir du peuple, mais bien plutôt l'exercice du pouvoir par un nombre restreint de citoyens. Rappelons à cet effet que dans la Grèce ancienne, un petit nombre seulement de citoyens aisés détenaient tous les pouvoir sur les esclaves, les paysans et les artisans, de même que sur l'organisation de la cité. Ce pouvoir était autorisé uniquement grâce à la relation particulière que ces riches citoyens pouvaient se permettre d'entretenir avec le monde du divin. Par leur accès privilégié à la place publique (l'agora) et aux choses de l'esprit qu'on y discutait, (monde supérieur des idées selon Platon), ces citoyens aisés rejoignaient les divinités et pouvaient librement exercer leurs droits exclusifs de citoyen.
Non seulement étaient-ils alors les seuls dans la cité à avoir le droit de vote et le droit de parole, mais également, ils étaient les seuls à pouvoir organiser la cité à leur guise. Aussi, que ce soit à cette époque lointaine ou, plus tard, dans l'usage qu'ont fait les chrétiens de l'exemple grec, l'apanage de la liberté en démocratie n'a jamais été donné à tous. Et, encore aujourd'hui, elle ne se pratique que par ceux qui ont les moyens de se la payer. Le capitalisme sauvage qui anime l'Occident à travers le monde et qui fait de nous les plus grands pollueurs et exploiteurs de la planète, de même que la pauvreté chronique de franges entières de nos populations urbaines sont là pour en témoigner.
Les puissants se sont identifiés au christianisme!
D'ailleurs, des trois grandes religions monothéistes, c'est sûrement le christianisme qui offre le plus de laxisme. Alors que Yahvé et Allah sont sévères et intransigeants et bien hauts dans le ciel, le Dieu des chrétiens est plutôt du style permissif et miséricordieux. Et bien qu'officiellement, le christianisme prône l'amour du prochain et le partage, dans les faits, c'est une religion qui encourage le double discours, la soumission des faibles et le despotisme des forts. On comprend mieux alors pourquoi tant d'hommes politiques puissants se sont associés au christianisme. Au vingtième siècle seulement, il y a eu Hitler et Mussolini mais aussi Pétain, Franco, Pinochet, Salazar, sans oublier, chez nous, Duplessis.
Présentement en Afghanistan, bien avant que de combattre le terrorisme de Ben Laden, c'est d'abord et avant tout la ferme volonté d'installer pour de bon une démocratie chrétienne qui prime. C'est uniquement à travers les privilèges qu'offrira à une classe huppée de citoyens du Moyen-Orient cette démocratie à l'occidentale que sera possible une collaboration efficace et payante, mais également, aux yeux des gens d'ici, tout à fait légitime, parce que chrétienne... Aussi, c'est d'abord le sacrifice de nos soldats sur l'autel de notre belle et grande démocratie qui est en cause dans cette mission dirigée par l'Otan.
Car finalement, ce n'est pas pour combattre le terrorisme international, cette guerre ne peut que l'aggraver, ni pour des raisons d'ordre économique, les dépenses militaires y sont trop élevées pour que cela soit rentable, que l'on envoie nos soldats en Afghanistan. C'est plutôt pour participer de tout coeur avec les forces de l'Otan pour imposer là-bas une démocratie libérale qui, comme envahisseurs chrétiens convaincus de sa valeur, nous est si chère.
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Pierre Desjardins
professeur de philosophie et auteur


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